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5. Expliquer les changements de la biosphère

5.3. Vérifier les liens cause – processus

Il me semble nécessaire ici de prendre du recul vis-à-vis de ce qui a été écrit au 5.2. En effet, les méthodes de mise en relation des causes et des changements sont capitales et incontournables mais il ne s’agit nullement d’une science exacte là où une prudence la plus grande possible est à avoir. Je vais ici développer un argumentaire (de plus) pour une utilisation majeure du terrain et une observation majeure et meilleure de la végétation. L’idée ici est que le plus parfaite des corrélations spatiales peut toujours être à l’origine d’une « erreur écologique » et d’une confusion entre co-occurrence et causalité. Pour éviter un telle erreur je propose d’effectuer une vérification des liens entre les causes dont on démontre la co-occurrence et le processus de changement de la végétation qu’il soit physionomiques (5.3.1), physiologiques (5.3.2) ou floristiques (5.3.3).

5.3.1. Comment est modifiée la physionomie ?

La physionomie de la végétation peut être modifiée par quatre processus majeurs : l’ouverture de la végétation, la fermeture de la végétation, l’augmentation de la hauteur de la strate végétale supérieure des végétaux ou la diminution de celle-ci. On peut ajouter des processus plus complexes comme la modification de la structure spatiale du semis d’individus à égale densité ou des modifications des strates inférieures de la végétation.

L’observation du processus en liaison avec la cause du changement permet une démonstration bien plus sure. Dans Barima et al., 2016 nous avons produit la figure 58. On y voit le processus de changement physiologique de la forêt vers le champ de cacao.

FIGURE 58 : PROCESSUS DE MISE EN PLACE DE LA CACAOYERE AU SEIN DE LA FORET CLASSEE DU HAUT-SASSANDRA (BARIMA ET

AL., 2016). (1) FORET A L’ETAT INITIAL PRESENTANT DE GROS ARBRES, UN HOUPPIER JOINTIF ET DE NOMBREUSES LIANES. (2)

ELIMINATION DU SOUS-BOIS ET SEMIS DU CACAOYER. (3) REGROUPEMENT DES BOIS MORTS AUTOUR DES GROS ARBRES. (4) BRULIS DES AMAS DE BOIS ET FEUILLES AUTOUR DES GROS ARBRES. (5) PLANTATION DE CACAOYERS AVEC DES ARBRES MORTS SUR PIED. (6) CHUTE DES BOIS MORTS SUR PIED. PLANTATION DE CACAOYERS AVEC PEU OU SANS BOIS.

5.3.2. Comment est modifiée la physiologie ?

Nous avons pu décrire l’apparent paradoxe de la Forêt classée du Haut Sassandra où à l’approche phénologique par séries temporelles du NDVI montrait une stabilité accompagnée d’un renforcement du caractère bimodal ce qui pourrait être considéré comme une « amélioration » sur le plan phénologique. En revanche, une forte dégradation physionomique et floristique ont été observées par analyse diachronique de cartes d’occupation du sol et par comparaison des flores. Cela démontre, s’il en est besoin, la nécessité des validations dans les études des causes de changement.

Les hypothèses élémentaires pouvant expliquer une modification phénologique sont les suivantes : - Le tapis végétal réagit physiologiquement sans que ne se perçoive de changement de la

physionomie ou de la flore (départ précoce ou tardif de la saison d’activité ; fonctionnement végétatif maximal ou réduit)

- Le tapis végétal montre un rythme saisonniers différent parce que la physionomie de la couverture végétale a changé (augmentation ou diminution de la biomasse, en hauteur et ou en densité)

- Le tapis végétal a connu un changement floristique avec des types bionomiques différents à un tel point que le rythme saisonnier de l’ensemble de la végétation apparaisse différent. L’hypothèse générale de la communauté des chercheurs qui travaillent sur les séries temporelles est la relation entre NDVI et production de biomasse (Herrmann et al., 2005). Le retour de conditions relativement pluvieuses a produit, une augmentation du NDVI, lequel, au regard de cette hypothèse correspondrait à une augmentation des biomasses. Les relevés de quantification et qualification des fourrages associées aux enquêtes sur les fourrages et leurs variations menées dans le cadre de l’ANR ECLIS (Andrieu et al., 2010, San Emeterio et al., 2013) ont contribué à valider cette hypothèse. Plus exactement, en parallèle aux études de séries temporelles de NDVI, ont été examinées les biomasses et compositions floristiques des fourrages d’un échantillon de village le long du gradient. Dans l’ensemble du transect au départ du Bénin, la variation est celle du gradient bioclimatique du sud à la végétation dense où même le tapis herbacé annuel est très important (figure 59) au nord où le tapis herbacé annuel n’est pas continu (figure 60). Dans l’examen plus d’échelle plus grande au Niger il a pu être observé que « si les relevés botaniques ne révèlent guère de différences dans le cortège floristique entre le nord et le sud de l’espace étudié (disparition progressive des espèces sahéliennes, les plus exigeantes en eau), la biomasse végétale et, conséquemment la ressource fourragère, est nettement plus élevée au sud : les taux de recouvrement du tapis herbacé observés dans la brousse tigrée sont proches de 100 % à Farey (département de Dosso, 12°52) alors qu’il n’est que de 50 % environ dans la partie nord du Fakara, à Kirib Kaina (département de Filingué, commune de Tondikandja, 13°54) ou Maourey Tonkobinkani (département de Kollo, commune de Dantiandou, 13°41). » (San Emeterio et al., 2013).

FIGURE 59 : TAPIS VEGETAL D’UNE SAVANE ARBOREE DENSE AU BENIN

FIGURE 60 : TAPIS VEGETAL D’UNE SAVANE ARBUSTIVE OUVERTE AU NIGER

Or, si la validation (déjà délicate en soi) de la correspondance entre caractéristiques d’une série de NDVI et la qualité et quantité d’une ressource végétale dans l’espace peut être acceptable, en déduire que la correspondance est valable dans les changements est encore plus délicate. Pour cela, dans ce

même programme ont été réalisées des enquêtes sur les perceptions dans les villages des variations des pluies, des variations des ressources fourragère et de la vulnérabilité qui en résulte. Il est ressorti de ces enquêtes que sur ces questions, les villages du Bénin et ceux des Dallols au Niger ne perçoivent pas de grandes variations dans leurs ressources fourragères dans le sens où celles-ci sont satisfaisantes et le sont restées même pendant les périodes sèches. En revanche, les villages du Fakara et plus au Nord perçoivent leur ressource comme limitée et variable en fonction des fluctuations de la pluviosité et se savent vulnérables face à ce risque (San Emeterio et al., 2013).

5.3.3. Comment est modifiée la flore

Expliquer la modification de l’aire de répartition d’une espèce nécessite d’expliquer la disparition de l’espèce d’un espace de taille significative en limite d’aire ou l’inverse l’apparition au-delà de la limite d’aire. Quelques processus peuvent être nets et rapides comme l’élimination du milieu de l’espèce (urbanisation, assèchement de zones humides, etc). Dans la forêt classée du Haut Sassandra, la perte de 40 % de la flore entre 1998 et 2013 est due à la conversion forêt-cultures qui part génère :

- la destruction de végétaux, - la perte d’habitats,

- la fragmentation de la trame forestière.

Il s’agit, dans ce genre de cas de modification de la flore, de réaliser une analyse spatiale qui mette en relation l’aire de distribution et les habitats détruits ou les lieux où la population de l’espèce est décimée par une activité humaine ou par un facteur naturel. Le processus inverse s’étudierait, bien évidemment de la même manière avec de la reconstitution (naturelle ou assistée) d’habitat et du retour (ici aussi naturel ou assisté) d’une population.

Cependant, la plupart des changements de la flore procèdent des évolutions démographiques progressives, dans l’espace et dans le temps. Dès lors, la modification de l’aire de répartition d’une espèce passe, en chaque lieu, par un certain nombre de processus : mortalité, production de graines, dissémination des graines, germinations, survie juvénile, compétition interspécifique etc. La validation passe ici par une spatialisation, au sein de l’aire de distribution, du processus (passage de population fertile à population relique ; taux de mortalité supérieur à celui de germination etc.). Pour la progression ou du déplacement hors de l’aire actuelle, il faut réaliser la spatialisation, dans des lieux nouvellement viables pour l’espèce, des processus de dissémination des graines, de survie juvénile, de compétitions interspécifiques, etc. Il ne faut pas oublier, même si cette question ne fait pas partie des thèmes de mes travaux, que la flore est modifiée également par l’extension des espèces invasives qui connaissent souvent des progressions spatiales très rapides en l’absence de prédateurs, de parasites ou de concurrents.

Nous avons développé plus haut l’exemple d’Avicennia africana dont le passage d’un seuil hydrologique, ici la salinité de l’eau libre, permet ou empêche le dépôt des propagules et a fait passer l’espèce à un stade de relique en quelques décennies. Il est important de noter qu’en une partie seulement des lieux où la germination d’Avicennia africana s’est arrêtée, l’espèce a connu en adition une importante mortalité. Ces questions et mes méthodes d’analyses spatiales qui y répondent sont en plein développement dans le cadre des travaux sur les conséquences du changement climatique sur la flore et seront développées plus loin.

Ce court rappel de l’intérêt de la prise en compte des processus du changement, en addition d’une « simple » co-spatialisation du changement et de sa cause montre la grande plus-value des connaissances de terrain et des données qui en résultent. En même temps cela nous rappelle la difficulté de l’approche spatiale et quantitative dans la récolte de données naturalistes, ce qui

explique la difficulté d’y ajouter des exemples concrets. Mais cette faiblesse d’aujourd’hui sera repris dans le dernier chapitre « projet de recherche ».