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2. Fondements de l’analyse spatiale de la végétation terrestre appliquée aux données

2.2. Géographie de l’aire de répartition

2.2.2. Méthodes d’observation de terrain des aires de répartition par les grands transects

2.2.2. Méthodes d’observation de terrain des aires de répartition par les grands transects régionaux.

Les transects régionaux et continus pour étudier la structure spatiale de la flore ont constitué mon initiation à la recherche en maîtrise (Andrieu, 2004), lorsque les biogéographes « continuistes » de l’école de Michel Lecompte (dont les auteurs du manuel précédemment cité) réalisaient, presque en série, ce genre de méthodes, précisément pour discuter les questions de discontinuité dans la répartition des espèces. Les transects réalisés du Queyras au Pô, des Baronnies aux Alpes de Haute Provence, dans les Cévennes, ou au Maroc constituaient un ensemble d’études de terrain visant à la démonstration de la théorie continuiste. Pour ce faire, il était nécessaire de délimiter, du moins le long d’un ligne échantillon (en deux dimensions, l’axe du transect et l’altitude) un certain nombre de limites d’espèces (à l’échelle macrorégionale). La co-occurrence de ces limites d’aires dans l’espace était activement recherchée et comparée à un échelonnement régulier des limites dans l’espace. Lorsque des seuils biogéographiques étaient décelés (allant des légères solutions de continuités à de véritables révolutions floristiques) les seuils climatiques correspondant étaient alors mis en évidence (Alexandre et al., 1998b). Ma participation au transect allant des Baronnies aux Alpes de Haute Provence, tant sur le terrain que dans les analyses statistiques, avait permis de présenter une chaîne de traitements originale en analyses fréquentielles associées à la théorie de l’information.

Sans reprendre ni lister l’ensemble des calculs effectués ou publiés issus d’analyses fréquentielles associées à la théorie de l’information il est possible d’en illustrer deux étapes sur deux sites d’études différents. Le transect, d’axe Nord Sud sur 160 km, réalisé au Sénégal et en Gambie peut être considéré comme en une seule dimension étant donné l’absence de relief. Les analyses de ce jeu de données ont permis de démontrer que les espèces forment un gradient quasiment parfait avec un échelonnement très régulier des espèces du nord (sec) au sud (humide) (Andrieu, 2013). La figure 5 montre une sélection d’espèces de répartition septentrionales, avec les valeurs du calcul de l’information délivrée par la connaissance de la limite de répartition décrite ci-dessous. Il s’agit de calculer d’une part le nombre de présences observées, le nombre total de relevés et la position de la première ou de la dernière présence observée.

soit H = log2 C SF

en appelant S le nombre de segments et F le nombre de présences de l'espèce.

La première étape de l’analyse de la structure horizontale des présences consiste à voir la localisation de la première présence de l’espèce. Quand on a appris le début des présences, l'indétermination qui reste au sujet des positions des présences de l’espèce dans les segments qui restent est le nombre de combinaisons des présences au sein de l’aire de répartition (au moins jusqu’à la limite de l’échantillon). La réduction de l’indétermination est une quantité d’information, qui est très exactement l’information acquise quand on observe la position de la limite d’aire. La formule générale est :

IDEB = H – log 2 CS-DF-1

en appelant S le nombre de segments, F la fréquence de l’espèce et enfin D la position du début.

Dans la figure 5, l’espèce dont la limite méridionale apporte la plus grande information est le Jujubier (Ziziphus mauritiana) avec 51 relevés (ici paires de relevés), 14 présences observées entre le nord du transect et le 22ème relevé. La probabilité que 14 présences sur 51 relevés se répartissent dans les 22 relevés les plus au Nord était la plus faible de cet échantillon. Son observation est la démonstration que cette espèce présente une aire de répartition densément remplie avec une limite nette latitudinale, climatique, du moins là où le transect l’a échantillonné.

FIGURE 5 : ESPECES SEPTENTRIONALES ORDONNEES PAR LA VALEUR DE L’INFORMATION DE LA LIMITE MERIDIONALE SUR UN TRANSECT NORD/SUD AU SENEGAL (ANDRIEU ET ALEXANDRE, 2011)

Les analyses de géographie botanique sont généralement une va et vient entre, d’une part, les analyses espèce par espèces, qui sont difficiles à rendre lisibles et encore moins pédagogiques et, d’autre part, des synthèses de l’ensemble du corpus étudié. Or, rares sont les calculs portant sur tout un corpus et qui apportent une grande information géographique en un seul résultat. Le calcul de la limite optimale en est un. Ce calcul mesure l’homogénéité de deux parties du transect, de façon répétée à chaque césure (sur un transect de 100 relevés d’axe est-ouest : 1 relevé est - 99 relevés ouest ; 2 relevés est - 98 relevés ouest ; … ; 99 relevés est - 1 relevé ouest). Pour illustrer le calcul, reprenons l’exemple de la répartition de la Raiponce Campanula rapunculus, dans le transect des Baronnes (Godron et Andrieu, 2013) :

Est Ouest

. . . 1 . . . 1 . 1 1 . 1 1 1 1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26

Pour la première césure, entre le premier et le deuxième segment, la partie du transect située à l’est de la limite est constituée d’une absence observée et la partie située à l’ouest contient 8 présences sur 25 segments. La mesure d’hétérogénéité de la partie occidentale et de la partie orientale, pour la première limite, grâce à la formule de Brillouin :

L’hétérogénéité de la partie occidentale vaut : log2 C10 = 0 binons L’hétérogénéité de la partie orientale vaut :

log2 C258 = 20,045 binons Puisque l’hétérogénéité totale de la ligne vaut :

log2 C268 = 20,575 binons La valeur de la limite placée à la première césure vaut :

20,575 binons – (0 binons + 20,045 binons) = 0,53 binons

Je passe sur la répétition du calcul à chaque césure ; jusqu’à la limite optimale. En effet, la valeur de la 16ème limite est :

20,575 binons – (log2 C161 binons + log2 C107 binons) soit 20,575– (4 binons + 6,907 binons) = 9,668 binons.

C’est la limite optimale puisque la valeur de la limite va décroître avec les césures au sein de la répartition de la Raiponce.

L'extensivité de l'information nous autorise à faire ensuite la moyenne des valeurs des limites pour toutes les espèces et pour toutes les césures. Dans les Baronnies (figure 6), nous observons d’ouest en est un relief aux altitudes basses à moyennes assez accidentée vers l’Ouvèze, se trouve ensuite une zone d’altitudes moyennes assez plane selon cet échantillon suivi de quelques sommets assez hauts et une rapide descente vers de basses altitudes vers la Durance. La limite optimale croît rapidement de la première à la 23 césure, stagne légèrement et reprend la croissance jusqu’à la 31ème césure qui constitue la limite optimale entre l’ouest assez nettement méditerranéen et l’est plus montagnard.

FIGURE 6 : COURBE DE LA LIMITE OPTIMALE POUR LA FLORE DES BARONNIES SUR UN AXE EST-OUEST (GODRON ET ANDRIEU, 2013)

Ces grands transects sont chronophages pour la phase de terrain mais constituent des jeux de données exceptionnels (par leur échantillon en continu et par leur échelle régionale) pour les questions de répartition. Ils ne permettent pas, en général, à cette échelle, de cerner les deux limites des aires de répartition mais s’ils échantillonnent une région de transition phytoclimatique, permettent de spatialiser un ensemble de limites d’aires.

La réalisation d’un transect entre le littoral azuréen, un sommet du Massif Argentera-Mercantour-descente vers la plaine du Pô a débuté à l’été 2016. D’une part celui-ci apportera à l’ensemble des grands transects régionaux méditerranéens un cas complet du climat thermo-méditerranéen au climat alpin, si ce n’est nival. D’autre part, il apportera un cas à part où la succession des climats en altitude se fait sur une distance géographique très réduite, dont les modalités de structuration des aires de répartition ne sont pas encore connues dans le détail. Enfin et surtout, ce projet est celui qui devrait permettre une fusion des anciennes méthodes de ma formation et des nouvelles méthodes d’analyse spatiale géomatique en cours de développement et appliquées à la question de l’impact du changement climatique sur les aires de répartition des espèces dont la première étape est développée ci-après.