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6. Modéliser les changements de la végétation terrestre

6.1. Modéliser de façon prospective la couverture végétale ?

6.1.3. Modélisation du défrichement de la Forêt Classée du Haut Sassandra

Pendant une décennie, la Côte d’Ivoire a connu des conflits qui ont affecté l’équilibre social des populations (Chauveau and Richards 2008, Dabalen and Paul 2014) et l’environnement. En effet les activités liées à la guerre ont des impacts négatifs directs ou indirects sur l’environnement (Nackoney et al., 2014) parmi lesquelles nous intéressent ici les activités des réfugiés et autres personnes déplacées ou le retrait du personnel de la conservation des forêts (Draulans and Van Krunkelsven 2002). La région du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire est de loin, la région la plus affectée par ces conflits (Dabalen and Paul 2014) : importants déplacements de populations, baisse de revenu, pertes agricoles,

perte de bétail, nombre élevé de victimes, etc. La situation de conflits dans cette région a aussi fait ressortir les problèmes liés à la ressource foncière dans la zone. Les nombreux mouvements de populations ont amplifié les conflits fonciers déjà récurrents dans cette région. Pourtant, les populations du Centre-Ouest ivoirien sont fortement tributaires de la forêt et de ses fonctions, non seulement pour l'agriculture mais aussi pour les produits forestiers non-ligneux qu’elle procure (FAO 2007). Or, cette région abrite aussi l’une des plus importantes forêts protégées de Côte d’Ivoire : la forêt classée du Haut Sassandra. De par sa position, elle était fortement sujette à d’importantes infiltrations par les populations locales et par les immigrants pour l’exploitation du bois et surtout pour la culture du cacaoyer (Chauveau and Bobo 2005, Gyau et al. 2014, Kouakou et al. 2015). L’objectif de cette étude était de modéliser l'impact de ces conflits sur les évolutions spatiales et temporelles des paysages de la forêt classée du Haut Sassandra.

Premièrement, il convient de signaler que le modèle est, pour cela, issu du couplage d’un automate cellulaire (Guermond, 2005) et d’un système multi-agents (Guermond, 2005 ; Murayama, 2012 ; Edmonds et Meyer, 2013). Ce couplage se justifie par le fait que le défrichement est conditionné tant par une configuration environnementale que par les décisions des acteurs et que l’environnement et les décisions s’influencent mutuellement. L’automate cellulaire permet de modéliser l’évolution des pixels d’occupation du sol en fonction de règles temporelles (simulation de l’enfrichement après l’abandon) ou spatiales (création et expansion des villages en fonction de la répartition de la population et des villages pré-existants) Brown et al., 2000 ; Wood et al., 2004. En parallèle, le système multi-agents permet de modéliser le comportement des acteurs dont un certain nombre de décisions modifient l’occupation du sol (Berger, 2001 ; Elliston et Beare, 2006). Nous avons établi quatre types d’acteurs : le migrant chef d’exploitation, le migrant ouvrier agricole, le villageois des alentours de la forêt classée et l’agent de la société de gestion de la forêt. Les règles du modèle permettent de simuler des comportements indépendants de ces acteurs (ex : l’ouvrier agricole arrive dans la zone d’étude, se déplace et rejoint une exploitation), des interactions entre acteurs (mission des agents de la société de gestion de la forêt pour expulser des migrants hors de la forêt classée du Haut Sassandra) ou des changements de rôle (l’ouvrier agricole devient chef d’exploitation).

Le processus considéré comme la principale sortie de modèle est le défrichement de forêt. Ainsi, le choix des lieux d’installation de nouvelles cultures est d’une importance majeure. Les proportions annuelles sont calibrées par le croisement de l’enquête et de la télédétection. Leur localisation est simulée, à la fois par :

- Des règles de comportement (mode de déplacement et distance entre le point de départ et les sites potentiellement sélectionnés),

- La carte de l’indice de potentialité de défrichement qui transcrit la perception du milieu par l’agent et donc la probabilité qu’il choisisse un site plutôt qu’un autre et participe ainsi à spatialiser le processus

- Une part d’aléatoire, notamment permise par la possibilité de paramétrer le modèle de telle sorte que la perception du milieu par les agents se modifie

Enfin, nous avons inséré dans le modèle un assez grand nombre d’interactions entre acteurs (de même catégorie ou de catégories différentes) de sorte à simuler les phénomènes sociaux : les réseaux de collaborations, la concurrence, les alliances, les rapports de force, etc. Ce modèle est descriptif, avec un grand nombre de règles. Des tests ont donc été effectués sur ces règles de sorte à choisir un calibrage optimal qui est celui à la fois juste en termes de superficies globales défrichées en 2013 et présentant des structures spatiales similaires entre simulation et réalité (Vignal, 2016).

Comme développé ci-dessus, il est important pour moi de valider les modèles le plus possible. Avec la figure 70, on peut avoir une carte de confrontation du modèle et de la télédétection ainsi que les indices qui en résultent (tableau 8).

FIGURE 70 : CONFRONTATION DE LA SIMULATION ET DE LA TELEDETECTION DU DEFRICHEMENT DE LA FORET CLASSEE DU HAUT SASSANDRA

Nous avons précisément ajusté le modèle jusqu’à une correspondance parfaite de ces superficies (indicateur quantitatif égal à 1). Pour aller au-delà de cette « justesse » dans la simulation, ont été calculés des variogrammes des taches agricoles modélisées et observées et ceux-ci présentent une grande similarité avec une corrélation (r²) de 0,97. Cependant, si l’on valide carte à carte, pixel à pixel, cette modélisation qui produit les bonnes superficies et les bonnes structures spatiales mais n’est pas capable de cartographier, au pixel près, puisque seulement 0,6 d’indice kappa est observé.

TABLEAU 8 : INDICES DE VALIDITE DU MODELE RETROPROSPECTIF DE DEFRICHEMENT DE LA FCHS

Indicateurs Résultats

Indicateur quantitatif 1 Comparaison de variogrammes 0,97

Indice Kappa 0,60

Ce paramétrage qui nous est apparu comme satisfaisant permet de faire ressortir des hypothèses qui, selon cette méthode de modélisation, apparaitraient comme validées. Le tableau 9 en donne une liste des principales. Cela nous apporte donc quelques éclairages sur des phénomènes sociaux et sociétaux qui ont eu lieu, en clandestinité dans une forêt classée durant une guerre civile. A ce jour, la population de la forêt n’est pas encore connue, cette estimation est donc particulièrement intéressantes pour les gestionnaires, autorités etc.

TABLEAU 9 : HYPOTHESES CONFORTEES PAR LE MODELE

Hypothèses Résultats

Nombre d’individus dans la FCHS. 1 800 en 2002 et 15 600 en 2013. Deux temporalités du taux

d’évolution de la population

2002/2006 = 0,05 et 2007/2013 = 0,6. Deux secteurs aux dynamiques

différentes.

2002/2006, incursions uniquement dans le nord. 2007/2013 incursions réparties de façon homogène.

Déplacement des migrants

burkinabés.

Arrivée dans les villages Déplacement sur les pistes. Taille des exploitations. Entre 3 et 23 hectares,

Accroissement d’un hectare par an et par employé. Efficacité des missions des agents de

protection de la SODEFOR.

Doubler le nombre d’agents de protection de la SODEFOR engendre une baisse de 1 % des défrichements.

En conclusion de ce volet sur la modélisation de l’occupation du sol, je reste avant tout un chercheur spécialiste de l’analyse des changements plus qu’un modélisateur de ceux-ci, mais je pénètre progressivement dans cette sphère de la recherche et essayer d’en intégrer progressivement des savoirs et savoir-faire. Ici, l’expérience a été extrêmement satisfaisante pour cette approche hypothético-déductive puisque nous modélisions une déforestation passée que nous pouvions cartographier par « simple » télédétection, la modélisation n’avait pas d’intérêt spatial. En revanche, elle nous a permis de tester des hypothèses sociales. Cette première expérience de modélisation a été d’autant plus intéressante pour moi qu’elle se situait dans une approche englobant végétation et société.