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2. Fondements de l’analyse spatiale de la végétation terrestre appliquée aux données

2.2. Géographie de l’aire de répartition

2.2.3. La modélisation d’une aire de répartition

2.2.3. La modélisation d’une aire de répartition

La définition de Da Lage et Métailié (2015) se termine par la note suivante « l’étude des aires nécessite une expression cartographique ». Je ne puis être plus d’accord. La question de recherche sur la spatialisation d’aires de répartitions7 m’a été posée, pour la première fois, par deux collègues travaillant sur la Baie du Mont Saint-Michel et les espèces hydro-halophytes des marais salants. L’une possédait un ensemble de relevés floristiques en transects d’axe terre-mer, l’autre possédait une base de données altimétrique et une couverture de photographie aérienne de grandes qualités. J’ai proposé, dès lors, une méthode de classification par ensembles flous sur la base des points d’observation des espèces, pondérées par la fréquence locale des espèces, avec, pour base spatiale, à la fois l’altitude comme principale variable écologique et la photographie aérienne où certaines espèces dominantes pouvaient être, dans une certaine mesure, détectées (Bilodeau et al., 2008). L’organigramme (figure 7) montre l’ensemble des analyses d’images permettant de retirer le maximum d’information de l’orthophotographie : couleurs et textures à différentes échelles. Il montre ensuite le traitement par classification d’ensemble flous et les seuillages pour la réalisation cartographique.

7 Il s’agit ici pour être précis de répartition de populations à une échelle locale et non de répartition à l’échelle de l’aire de l’espèce. Cependant la méthode n’en reste pas moins ici intéressante à présenter.

FIGURE 7 : ORGANIGRAMME METHODOLOGIQUE DE LA CARTOGRAPHIE DES ESPECES DANS LES VASIERES DU MONT-ST-MICHEL. (BILODEAU ET AL., 2008)

Figure 8, on peut voir le résultat de la classification par ensemble flous, pour Halimione portulacoides. La carte A montre le degré d’appartenance à la classe espèce dominante, la carte B montre le degré d’appartenance à la classe espèce présente et la carte C montre le degré d’appartenance à la classe espèce absente. La carte D est une composition colorée combinant les trois premières images dans l’ordre rouge, vert et bleu. Cela donne à la fois une carte de synthèse où les secteurs de forte probabilité de présence ou dominance apparaissent mais respecte une sémiologie continue dans les couleurs et dans l’espace réaliste au regard de la répartition des espèces observées sur le terrain.

FIGURE 8 : RESULTATS DE LA CLASSIFICATION PAR LES ENSEMBLES FLOUS POUR L’ESPECE HALIMIONE PORTULACOIDES (BILODEAU ET AL., 2008)

Quelques années plus tard, dans le cadre du contrat de recherche entre le Parc National du Mercantour et l’UMR ESPACE autour des études de biogéographie nécessaires au dossier d’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, un besoin s’est présenté de cartographier des aires de répartition. Pour un tout petit nombre d’espèces endémiques, certains collègues biologistes avaient déjà produit des cartes présentant un polygone digitalisé approximativement sur la base de l’ensemble des présences connues de l’espèce. Or, d’une part, il était nécessaire de réaliser de telles cartes pour un grand nombre d’espèces aux répartition parfois complexes et dont les points d’observation n’étaient pas réunis dans une base de données permettant un tracé manuel de polygone englobant toutes les présences connues. Par chance, j’ai eu l’occasion de pouvoir travailler avec les données de la base SILENE Flore (Système d’Information et de Localisation des Espèces Natives et Envahissantes) à ce moment, grâce aux réseaux de chercheurs et d’aires protégées de ce projet. Contrairement à l’exemple précédent sur le Mont-St-Michel, d’une part, il n’est pas possible de détecter les espèces par la télédétection mais, en revanche, une base de données écologique plus complète a pu être mise en place avec climat, géologie, topographie. Il m’a donc été possible de tester des algorithmes de modélisation d’aires de répartition que je vais présenter ici.

Lors de mes premières réflexions sur cette question, j’avais connaissance de l’existence de quelques outils de classification dirigée en deux classes (présence et absence) de pixels pour un certain nombre d’images géographiques décrivant différentes variables quantitatives en fonction de pixels de présence certaine. De tels outils permettent de réaliser une spatialisation de la niche écologique. C’est d’abord la classification par les parallélépipèdes qui a été testée mais cet algorithme est très (trop) simple et, en télédétection, génère de grandes marges d’erreur. Ainsi, d’autres outils ont été testés.

La modélisation des présences absences par le calcul de la distance de Mahalanobis (Mahalanobis, 1936) a été utilisé sur un certain nombre d’espèces. Après avoir appliqué, pendant un an, la modélisation par la distance de Mahalanobis, une – tardive – recherche bibliographique a révélé que la communauté scientifique qui travaille sur la question est unanime sur la performance de l’algorithme de l’entropie maximale (Jeynes, 1957). Un ensemble de tests de comparaison de ces trois méthodes est envisagé à court terme. Mais c’est avec le Mahalanobis que les études ont à ce jour été menées et publiées (Vignal et Andrieu, 2016 A).

La distance de Mahalanobis (Mahalanobis, 1936) calcule la probabilité de chaque pixel, en fonction de la valeur pour ce pixel des variables écologiques renseignées en imagerie géographique, d’appartenance à la classe « présence » calculée sur l’ensemble des pixels de présence assurée, eux aussi au regard des variables écologiques. Bien évidemment, ce calcule ne mesure que la différence écologique entre les pixels de présence certifiée et tous les autres pixels. Il s’agit donc bien de la spatialisation de la niche écologique et non de la répartition de la population. Sont donc produites des cartes aux valeurs comprises entre 0 (pour la non correspondance à la niche écologique) et 1 (pour la parfaite correspondance à la niche écologique). Pour obtenir une aire de correspondance à la niche écologique de logique booléenne, il faut réaliser un seuillage avec la difficulté que pose le seuillage : un risque de surestimation ou de sous-estimation de l’aire de répartition si le choix est faux. La figure 9 montre un exemple de carte de répartition de la Dryade à huit pétales (Dryas octopetala) dans les Alpes du sud-est par la méthode de la distance de Mahalanobis.

FIGURE 9 : CARTE DE REPARTITION DE LA DRYADE A HUIT PETALES DANS LES ALPES DU SUD-EST PAR LA METHODE DE LA DISTANCE DE MAHALANOBIS (VIGNAL ET ANDRIEU 2016 A)

La faiblesse de cette approche est liée à la définition « d’absence » discutée ci-dessus d’une part, et d’autre part à l’inexistence, dans les bases de données floristiques, dans la très grande majorité des

cas, de zones d’absence certaines qui peuvent être utilisées dans le modèle comme zone d’entrainement pour une classe absence valable.

Il faudrait, pour une bonne modélisation de la niche écologique disposer de zones d’absence certaines dans des milieux différents de la niche écologique mais aux marges de celle-ci. Ceux-ci permettraient, d’une part, d’utiliser des méthodes de détection de zones similaires à ceux d’absence sure, cela permettrait aussi et surtout de calculer des marges d’erreurs symétriques entre surévaluation et sous-évaluation.

Pour la modélisation de l’aire de répartition sticto sensu, il faut connaître ou modéliser non seulement la correspondance d’un milieu avec la niche écologique mais aussi la démographie précise de l’espèce à un temps T, et l’ensemble des relations interspécifiques qui influencent la distribution. Ceci passe par une observation exhaustive de l’espace géographique (ce qui est impossible) ou une confiance dans les géostatistiques pour qu’au sein de la niche écologique spatialisée, à condition d’avoir une connaissance suffisante des présences et absences au sein de l’aire de répartition, puisse être calculée une interpolation des présences et des absences, par exemple avec le calcul d’un variogramme et une interpolation par krigeage. De telles méthodes n’ont pas, à ma connaissance, été combinées pour une telle application, je co-encadre un doctorant qui devrait tester rapidement de telles méthodes. Indépendamment de toutes les critiques ici formulées et des pistes d’amélioration de cet outil, les résultats actuels n’en restent pas moins bien supérieurs au dessin à main levé d’un contour sur un fond de carte.

L’aire de répartition est un objet complexe dans sa définition biologique, plus encore dans sa définition spatiale. Or, il est la brique élémentaire de l’édifice biogéographique, du moins dans sa dimension spécifique. Il est l’objet de mes premières recherches sur le terrain et en statistiques et devrait revenir au centre de mon projet de recherche avec la problématique de l’impact du changement climatique sur celles-ci. C’est pour cette raison que, d’une part, un nouveau transect et, d’autre part, un assez important volume de tests de comparaison entre outils sont ici annoncés comme projet et non comme réalisations. Or, si en soi, cet objet d’étude est déjà très original dans la biogéographie française, la production d’une méthode originale dépassant la spatialisation de la niche pour aller jusqu’à une réelle modélisation de la population en son sein serait originale et novatrice également, je crois au sein de la biogéographie pratiquée par les biologistes.