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La vérification de compétence dans les règlements instituant des procédures européennes

CHAPITRE SECOND : LE PRINCIPE DU RÔLE ACTIF DU JUGE

Section 1. Le rôle actif du juge national dans le contrôle de sa compétence internationale

B. La vérification de compétence dans les règlements instituant des procédures européennes

118. Règlement « IPE ». L’article 6, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer488, dispose qu’ « aux fins de l’application du présent règlement, la compétence est

déterminée conformément aux règles de droit communautaire applicables en la matière, notamment au règlement (CE) n° 44/2001 ». Pour ce qui est de la compétence internationale

du juge de l’injonction de payer européenne, le règlement (CE) n° 1896/2006 opère donc un renvoi aux règles européennes de compétence internationale directe en matière civile et commerciale. L’article 6, paragraphe 2, qui vise à renforcer la protection des consommateurs, précise toutefois qu’une demande à l’encontre d’un consommateur doit être portée devant la juridiction du lieu du domicile de celui-ci489. Il est alors possible de s’interroger sur le point de savoir si le juge, saisi d’une demande d’injonction de payer, doit vérifier, d’office, sa compétence ? On sait qu’en droit français, le juge de l’injonction de payer doit relever d’office son incompétence490. Qu’en est-il en droit de l’Union ? Le règlement (CE) n° 1896/2006 n’apporte pas de réponse claire à cette question.

Contrairement aux règlements européens de droit international privé, il ne comporte aucune disposition obligeant expressément le juge à se déclarer d’office incompétent. L’article 8 du règlement prévoit simplement que « la juridiction saisie d’une demande

d’injonction de payer européenne examine, dans les meilleurs délais et en se fondant sur le formulaire de demande, si les conditions énoncées aux articles 2, 3, 4, 6 et 7 sont réunies et si

488

Règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer, JOUE, n° L 399, 30 décembre 2006, p. 1.

489

V. art. 16.2 du règlement (CE) n° 1896/2006 : « Toutefois, si la créance se rapporte à un contrat conclu par

une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle et si le défendeur est le consommateur, la compétence appartient aux seules juridictions de l’État membre où le défendeur a son domicile, au sens de l’article 59 du règlement (CE) no 44/2001 ».

490

la demande semble fondée », ce qui comprend les règles de compétence491. Cet article doit être lu à la lumière du considérant 16 énonçant que « la juridiction devrait examiner la

demande, y compris la question de la compétence et la description des éléments de preuve, sur la base des informations fournies dans le formulaire de demande [...] » 492. Des auteurs ont fait remarquer que ce « formulaire, figurant en annexe 1, montre de lui-même qu’en pratique

aucun contrôle sérieux ne pourra être effectué par l’autorité saisie »493. Or la vérification, par le juge, de sa compétence nous paraît particulièrement nécessaire dans la mesure où la décision d’injonction de payer est rendue à l’issue d’une procédure non contradictoire dans sa première phase494. La récente révision du règlement aurait pu être l’occasion pour le législateur européen d’adopter des règles sur la vérification de la compétence. Or, il ne l’a pas saisie. On peut le regretter.

119. Règlement « RPL ». Le règlement (CE) n° 861/2007 du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges495 ne contient pas de dispositions relatives à la compétence internationale496. Ce n’est que dans le formulaire de demande annexé au règlement qu’il est indiqué que le règlement Bruxelles I bis s’applique pour déterminer la compétence des juridictions497. On relèvera toutefois que l’article 18.2 de la proposition initiale de règlement prévoyait que « la décision rendue dans le cadre d’une

491 AMRANI-MEKKI, S., « Règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer », in L. CADIET, E. JEULAND et S. AMRANI-MEKKI (dir.), Droit

processuel civil de l’Union européenne, LexisNexis, Droit et Professionnels, 2011, p. 249 à 271, spéc. p. 258,

n° 698.

492 GUINCHARD, E., « L’Europe, la procédure civile et le créancier : l’injonction de payer européenne et la procédure européenne de règlement des petits litiges », RTD com., 2008, p. 465 à 484 ; LASSERRE, M.-C., Le

droit de la procédure civile de l’Union européenne forme-t-il un ordre procédural ?, Thèse, Université de

Nice-Sophia Antipolis, 2013, spéc. n° 239.

493

LOPEZ DE TAJEDA, M. et D’AVOUT, L., « Les non-dits de la procédure européenne d’injonction de payer (Règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006) », Rev. crit. DIP, 2007, p. 717 à 748.

494

Dans le même sens, V., LASSERRE, M.-C., thèse préc., n° 239.

495 Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JOUE, n° L 199, 31 juillet 2007, p. 1 ; GUINCHARD, E., « Le règlement des petits litiges : un premier bilan plutôt décevant », in J. ATTARD, M. DUPUIS, M. LAUGIER, V. SAGAERT et D. VOINOT (dir.), Un recouvrement de créances sans frontières ?, Larcier, 2013, p. 65.

496 NIOCHE, M., « Règlement (CE) n° 861/2007 du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlements des petits litiges », in Droit processuel civil de l’Union européenne, op. cit., p. 277 à 298, spéc. p. 281, n° 751 ; ATTAL, M., « Procédure civile et commerciale », in Rép. dr. eur., Dalloz, juin 2011, [màj juin 2016], spéc. n° 190 ; BERAUDO, J-P. et BERAUDO, M.-J., « Injonction de payer européenne et procédure européenne de règlement des petits litiges », in J.-Cl. dr. internat., fasc. 660, mars 2009, [màj décembre 2015], spéc. n° 80 ; En ce sens, v. égal. le rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, COM(2013) 795 final, spéc. pt. 4.1.

497 V. le règlement délégué (UE) n° 2017/1259 de la Commission du 19 juin 2017 remplaçant les annexes I, II, III et IV du règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges.

procédure européenne pour les demandes de faible importance est certifiée si elle est compatible avec les règles de compétence définies aux sections 3 et 6 du chapitre II du règlement (CE) n° 44/2001 »498. Cette disposition n’a toutefois pas été reprise dans la version finale du règlement.

120. Appréciation. Dans le silence du règlement, des auteurs considèrent que la question de l’office du juge en matière de compétence internationale relève du droit procédural de l’État membre dans lequel se déroule la procédure, en application de la clause de renvoi général au droit national des États membres prévue par l’article 19 du règlement (CE) n° 861/2007499. Nous ne partageons pas ce point de vue. En effet, une autre interprétation est possible. Dès lors que la compétence internationale de la juridiction saisie est déterminée en application du règlement Bruxelles I bis, les règles relatives à la vérification d’office par le juge de sa propre compétence prévues par ce règlement devraient s’appliquer. Autrement dit, le juge saisi d’une procédure européenne de règlement des petits litiges aurait l’obligation de s’interroger d’office sur sa compétence dans les deux cas prévus par le règlement Bruxelles I bis. Le premier concerne, rappelons-le, l’existence d’une compétence exclusive. Ainsi, le tribunal saisi d’une procédure européenne de règlement des petits litiges devrait vérifier d’office s’il n’a pas été saisi en contravention aux règles de compétence exclusive de l’article 24 du règlement Bruxelles I bis. Le second vise la non-comparution du défendeur. Dans la mesure où la procédure européenne de règlement des petits litiges est en principe exclusivement écrite, il convient d’adapter la règle. Ainsi, en l’absence de réponse du défendeur dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle les formulaires de demande et de réponse lui ont été notifiés, le tribunal devrait être tenu de vérifier sa compétence et de se déclarer d’office incompétent si sa compétence n’est pas fondée aux termes du règlement Bruxelles I bis. Une fois sa compétence vérifiée, le juge peut être amené à résoudre un conflit de procédures.

498 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure européenne pour les demandes de faible importance, COM(2005) 87 final, 15 mars 2005 ; NOURISSAT, C., « Droit civil de l’Union européenne : panorama 2005 », D., 2006, p. 1259.

499 V. art. 19 du règlement (CE) n° 861/2007 : « Sous réserve des dispositions du présent règlement, la

procédure européenne de règlement des petits litiges est régie par le droit procédural de l’État membre dans lequel la procédure se déroule » ; en ce sens, V. COMPAIN, A., La cohérence du droit judiciaire européen en matière civile et commerciale, thèse dactyl., Nantes, 2012, spéc. n° 338 ; GUINCHARD, E., « L’Europe, la

procédure civile et le créancier : l’injonction de payer européenne et la procédure de règlement des petits litiges », RTD com., 2008 p. 465.

§ 2. L’office du juge dans le règlement des conflits de procédures

121. Délimitation du problème. La multiplicité des chefs de compétence retenus par les différents règlements européens de droit international privé conduit inévitablement à ce que des conflits de procédures se produisent500. Afin d’éviter les procédures parallèles et les contrariétés de décisions qui pourraient en résulter, les règlements européens de droit international privé contiennent tous des dispositions sur la litispendance et la connexité européennes, intervenant entre deux juridictions d’États membres différents. Le règlement

Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 a apporté une innovation considérable en envisageant,

pour la première fois, la litispendance et la connexité internationales ou «

extra-européennes »501 ou « extra-unionistes », c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle une juridiction d’un État tiers est saisie parallèlement à une juridiction d’un État membre. Jusque là, la litispendance et la connexité internationales étaient régies par le droit international privé de chaque État. Sous l’angle de l’office du juge, la question qui se pose est de savoir si le juge d’un État membre saisi d’un litige qui fait déjà l’objet d’une procédure à l’étranger a l’obligation ou la simple faculté de se dessaisir au profit du juge saisi en premier ? Les pouvoirs conférés au juge par les règlements européens de droit international privé diffèrent selon que l’on se trouve confronté à une situation de litispendance (A) ou de connexité européennes (B).

500 NIBOYET, M.-L., « Les conflits de procédures », Trav. com. fr. DIP, 1995-1998, Pedone, 2000, p. 71 à 88 ; MAROTTE, J., L’incompatibilité des décisions de justice en droit judiciaire interne, européen et international, thèse Paris X - Nanterre, 2001 ; MOISSINAC-MASSÉNAT, V., Les conflits de procédures et de décisions en

droit international privé, LGDJ, coll. Thèses, Bibliothèque de droit pivé, 2007, tome 481.

501

V. art. 33 et 34 du règlement (CE) n° 44/2001 ; ALEXANDRE, D. et HUET, A., « Litispendance et connexité dans les relations entre un État membre de l’Union européenne et un États tiers », D., 2013, p. 1499 ; EGÉA, V., « La résolution des conflits de procédures dans le règlement Bruxelles I bis », in E. GUINCHARD (dir.), Le

nouveau Règlement Bruxelles I bis, Bruylant, 2014, p. 147 et s. ; NIBOYET, M.-L. et DE GEOUFFRE DE LA