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La distinction de la célérité et de l’urgence

CHAPITRE PREMIER : LE PRINCIPE DE CÉLÉRITÉ

Section 1. La notion de célérité

A. La distinction de la célérité et de l’urgence

167. Célérité et urgence. Selon le Vocabulaire juridique CORNU, la célérité désigne une « urgence renforcée justifiant une promptitude particulière d’intervention »723. Or, comme le souligne à juste titre le premier rapport Magendie sur la célérité et la qualité de la justice en première instance, la célérité procédurale ne saurait « être synonyme ni de

précipitation, ni même d’urgence »724.

720

Dans sa thèse M. CHOLET observe que cette notion fait « l’objet d’une connaissance intuitive » ; CHOLET, D., La célérité de la procédure en droit processuel, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 466, 2006, spéc. n° 35, p. 39.

721

V° « celer », in F. GAFFIOT, Le Grand Gaffiot, Dictionnaire Latin-Français, Hachette, 2000.

722 V° « Célérité », in A. REY, (dir.), Le Grand Robert de la langue française, Dictionnaires Le Robert, 2001.

723 V° « Célérité », in G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, coll. Quadrige, 10e éd., 2014, p. 156.

724

MAGENDIE, J.-.C, Célérité et qualité de la justice. La gestion du temps dans le procès, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La documentation française, 2004, spéc. p. 12.

168. Notion d’urgence. Il y a urgence « toutes les fois qu’un retard dans la décision qui doit être prise serait de nature à compromettre les intérêts du demandeur ou à mettre en péril les intérêts d’une partie »725. En matière civile, l’urgence est traditionnellement considérée comme la condition essentielle de l’intervention du juge des référés726. Toutefois aujourd’hui un certain nombre de mesures peuvent être prescrites, en référé, sans que l’urgence soit requise. L’article 809, alinéa 2, du Code français de procédure civile permet ainsi au juge des référés d’accorder une provision au créancier ou d’ordonner l’exécution d’une obligation dès lors que l’existence de celle-ci n’est pas sérieusement contestable. L’urgence n’est pas ici exigée727. L’article 145 du Code français de procédure civile728 prévoit, quant à lui, que lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge des référés (ou le juge des requêtes) peut ordonner toute mesure d’instruction légalement admissible. L’urgence n’est pas ici nécessaire729.

169. Règlement Bruxelles II bis. À l’instar du droit français, le droit de l’Union n’ignore pas la notion d’urgence. Parmi les règlements européens étudiés, le règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit « Bruxelles II bis » fait référence à la notion d’urgence. L’article 20, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis prévoit ainsi qu’en cas

725 GUINCHARD, S., CHAINAIS, C. et FERRAND, F., Procédure civile. Droit interne et européen du procès

civil, Dalloz, coll. Précis, 33e éd., 2016, n° 1911 ; adde, JESTAZ, P., L’urgence et les principes classiques du

droit civil, LGDJ, 1968, spéc. n° 326 ; V. STRICKLER, Y., « Urgence », in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004, p. 1315 et s.

726 Sur la notion d’urgence, v. COSSA, A., « L’urgence en matière de référé », Gaz. Pal., 1955, tome 2, doct., p. 45 à 52 ; SEIGNOLLE, J., « L’urgence en référé », Rep. gén. lois, 1958, p. 97 à 102 ; BLAISSE, A., « Quo vadis référé ? », JCP G, 1982, II, 3083 ; JESTAZ, P., L’urgence et les principes classiques du droit civil, LGDJ, 1968, spéc. n° 326 ; CÉZAR-BRU, C., HÉBRAUD, P., SEIGNOLLE, J.-P. et ODOUL, G., Traité des référés et des

ordonnances sur requête, t. I, 1978 ; ESTOUP, P., La pratique des procédures rapides, Litec, 2e éd., 1998 ; JOUANNET, E., « Quelques observations sur la signification de la notion d’urgence », in H. RUIZ-FABRI et J.-M. SOREL (dir.), Le contentieux de l’urgence et l’urgence dans le contentieux devant les juridictions

internationales : regards croisés, Pedone, 2003, p. 205 et s.

727 Cass. civ. 1e, 4 novembre 1976, Gaz. Pal., 1977, 352 ; RTD civ., 1977, 361, obs. J. NORMAND ; Cass. civ. 3e, 6 décembre 1977, Bull. civ. III n° 428.

728

Sur cet article, v. CHABOT, G., « Remarques sur la finalité probatoire de l’article 145 du nouveau code de procédure civile », D., 2000, doct., p. 256.

729 Cass. ch. mixte, 7 mai 1982, Bull. civ. n° 2 ; D., 1982, 541, concl. J. CABANNES ; Gaz. Pal., 1982, 571, note VIATTE ; RTD civ., 1982, 786, obs. R. PERROT ; RTD civ., 1983, 185, obs. J. NORMAND. Par trois arrêts du 7 mai 2008, la Cour de cassation avait décidé qu’une mesure d’instruction in futurm ne pouvait être obtenue « qu’à la double condition qu’il soit justifié de l’urgence des mesures sollicitées et de l’existence de

circonstances autorisant une dérogation au principe de la contradiction », (Cass. civ. 2e, 7 mai 2008, n° 07-14.858, Bull. civ. II, n° 104, n° 07-14.857 et n° 07-14.860 ; D., 2009, 143, note S. PIERRE-MAURICE ; RTD

civ., 2008, p. 549, obs. R. PERROT). La Cour de cassation a toutefois opéré un revirement de jurisprudence par

un arrêt du 15 janvier 2009 par lequel elle a décidé que « l’urgence n’est pas une condition requise pour que

soient ordonnées sur requête des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile », (Cass. civ. 2e, 15 janvier 2009, n° 08-10.771, Bull. civ. II, n° 15 ; D., 2009, p. 1455, obs. G. MOUY ;

d’urgence les juridictions d’un État membre, même si elles ne sont pas compétentes pour connaître du fond, peuvent prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État. Le règlement ne définit toutefois pas l’urgence. C’est la jurisprudence de la Cour de justice qui a dégagé certains éléments de définition. Dans son arrêt Deticek du 23 décembre 2009730, la Cour de Justice a précisé que la notion d’urgence prévue à l’article 20 du règlement Bruxelles II bis s’apprécie à la fois par rapport à la situation dans laquelle se trouve l’enfant et à l’impossibilité pratique de porter la demande concernant la responsabilité parentale devant la juridiction compétente pour connaître du fond. Tel est le cas, par exemple, lorsque à la suite d’un accident de la circulation dans un État membre qui n’est pas l’État membre de résidence habituelle de la famille, les parents de l’enfant se trouvent dans le coma lors de leur arrivée à l’hôpital alors que l’enfant est seulement légèrement blessé731. Dans une telle hypothèse, les juridictions de l’État membre du lieu de l’accident pourraient être amenées à prendre certaines mesures provisoires alors qu’elles ne sont pas les juridictions compétentes pour connaître du fond. Une autre référence à la notion d’urgence est contenue à l’article 23, sous b, du règlement Bruxelles II bis. Cet article prévoit en effet que la décision en matière de responsabilité parentale n’est pas reconnue lorsque, « sauf en cas d’urgence », elle a été rendue sans que l’enfant ait eu la possibilité d’être entendu. Il en résulte que l’absence d’audition de l’enfant ne sera pas sanctionnée par un refus de reconnaissance de la décision si l’audition n’a pas pu avoir lieu en raison de l’urgence qu’il y avait à statuer.

170. Procédure préjudicielle d’urgence. En dehors des règlements européens étudiés, signalons l’existence d’une procédure préjudicielle d’urgence créée par une décision du Conseil du 20 décembre 2007732. Cette procédure, applicable depuis le 1er mars 2008, est

730 CJUE, 23 décembre 2009, n° C-403/09 PPU, Deticek c/ Sgueglia, EU:C:2009:810, spéc. point 42 ; D., 2010, p. 1055, note C. BRIÈRE ; ibid., p. 1585, obs. P. COURBE et F. JAULT-SESEKE ; AJ fam., 2010, p. 131, obs. A. BOICHÉ ; RTD civ., 2010, p. 549, obs. J. HAUSER ; ibid., p. 748, obs. P. REMY-CORLAY ; RTD eur., 2010, p. 113, chron. L. COUTRON ; ibid., p. 421, chron. M. DOUCHY-OUDOT et E. GUINCHARD ; Europe, 2010, comm. 57, obs. L. IDOT ; Dr. fam., 2010, p. 7, obs. M. BRUGGEMAN ; Procédures, mars 2010, n° 73, note C. NOURISSAT.

731 Guide pratique pour l’application du Règlement Bruxelles II bis, Commission européenne, Office des publications, 2015, spéc. p. 23, disponible sur le site http://e-justice.europa.eu.

732

Décision du Conseil du 20 décembre 2007 portant modification du protocole sur le statut de la Cour de justice, (2008/79/CE, Euratom), JOCE L 24, 29 janvier 2008, p. 42 ; Procédures, 2008, comm. 110, note C. NOURISSAT ; SKOURIS, V., « L’urgence dans la procédure applicable aux renvois préjudiciels », in Mélanges

Bo VESTERDORF, Bruylant, 2007, p. 59 et s. ; CLÉMENT-WILZ, L., « La procédure préjudicielle d’urgence,

nouveau théâtre du procès européen ? », Cah. dr. eur., 2012, n° 1, p. 135 à 166 ; BERNARD, E., « La nouvelle procédure préjudicielle d’urgence applicable aux renvois relatifs à l’espace de liberté, de sécurité et de justice »,

réservée aux questions préjudicielles portant sur les textes adoptés sur le fondement du titre V de la troisième partie du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif à l’Espace de liberté, de sécurité et de justice733. Elle peut être mise en œuvre soit à la demande de la juridiction nationale de renvoi soit, à titre exceptionnel, d’office sur initiative du président de la Cour 734. La juridiction de renvoi qui sollicite l’application de cette procédure doit exposer « les circonstances de droit et de fait qui établissent l’urgence et justifient

l’application de cette procédure dérogatoire »735. Le règlement de procédure ne donne aucune indication sur ce qu’il faut entendre par le terme « urgence ». Dans ses recommandations à l’attention des juridictions nationales relatives à l’introduction de procédures préjudicielles, la Cour de justice a indiqué qu’il ne saurait être « possible

d’énumérer ici de telles situations de manière exhaustive, en raison notamment du caractère varié et évolutif des règles de l’Union régissant l’espace de liberté, de sécurité et de justice »736. La Cour de justice dispose ainsi d’une grande marge de manœuvre dans l’appréciation de la condition d’urgence.

En cas de mise en œuvre de la procédure préjudicielle d’urgence, la procédure est simplifiée par rapport à la procédure préjudicielle ordinaire. Elle se déroule essentiellement par voie électronique. Par souci d’économie des délais de traduction, le nombre de participants à la phase écrite de la procédure est réduit. Seules les parties au principal, l’État membre dont relève la juridiction de renvoi et les institutions de l’Union sont autorisés à y participer737. Enfin, la formation de jugement peut décider de siéger à trois juges au lieu de cinq738. En cas d’extrême urgence, la phase écrite de la procédure peut même être omise739.

Il existe aussi une procédure préjudicielle accélérée applicable à tous les renvois préjudiciels, prévue par les articles 105 et 106 du règlement de procédure de la Cour740. L’article 105 prévoit ainsi qu’ « à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre

exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de

devant la Cour de justice de l’Union européenne », in Mélanges J.-P. JACQUÉ, Dalloz, 2010, p. 639 à 651 ; V. art. 107 à 114 du règlement de procédure de la Cour.

733

V. art. 107.1 du règlement de procédure de la Cour.

734 V. art. 107.1 du règlement de procédure de la Cour.

735 V. art. 107.2 du règlement de procédure de la Cour.

736

V. Recommandations à l’attention des juridictions nationales relatives à l’introduction de procédures préjudicielles, (2012/C 338/01), JOUE n° C 338, 6 novembre 2012, p. 1.

737

V. art. 109 et 110 du règlement de procédure de la Cour.

738 V. art. 113 du règlement de procédure de la Cour.

739 V. art. 111 du règlement de procédure de la Cour.

740

NAOME, C., « La procédure accélérée et la procédure préjudicielle d’urgence devant la Cour de justice des Communautés européennes », JDE, 2009, p. 237 et s.

soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions du présent règlement ». En comparaison, avec la procédure préjudicielle d’urgence, la condition

de l’urgence n’est pas exigée741. La procédure accélérée permet de gagner du temps car les délais de dépôt des mémoires ou observations écrites sont raccourcis. Le président de la Cour fixe immédiatement la date de l’audience. Il peut inviter les parties et autres intéressés concernés742 à limiter leurs mémoires ou observations écrites « aux points de droit essentiels

soulevés par la question préjudicielle »743.

171. Conclusion. Il apparaît en définitive que si l’urgence de certaines situations impose une réaction judiciaire rapide, le recours à une procédure rapide n’est pas limité aux seuls cas d’urgence. Dès lors la célérité ne doit pas être confondue avec l’urgence. Elle doit également être distinguée de l’exigence de délai raisonnable.