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Les pouvoirs du juge en cas de litispendance européenne

CHAPITRE SECOND : LE PRINCIPE DU RÔLE ACTIF DU JUGE

Section 1. Le rôle actif du juge national dans le contrôle de sa compétence internationale

A. Les pouvoirs du juge en cas de litispendance européenne

122. Définition. À l’exception du règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003, les règlements européens de droit international privé retiennent qu’il y a litispendance européenne lorsque deux juridictions d’États membres différents sont saisies d’un même litige caractérisé par une triple identité de parties, d’objet et de cause502. Le règlement Bruxelles II

bis opère, pour sa part, une distinction selon la matière concernée. En matière de désunion, le

règlement exige seulement que les demandes concurrentes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage soient formées « entre les mêmes parties »503. Cette définition large permet d’englober aussi bien les situations de litispendance stricto sensu que les « actions dépendantes », c’est-à-dire les situations de « quasi-litispendance »504. En matière de responsabilité parentale, le règlement exige que les deux actions aient « le même objet et la

même cause »505. Le règlement ne fait, en revanche, aucune référence à la condition de l’identité de parties.

123. L’identité de parties, d’objet et de cause. Les notions d’identité de parties, d’objet et de cause font l’objet d’une interprétation autonome de la part de la Cour de justice de l’Union européenne506. En ce qui concerne l’identité de parties, il est nécessaire que les parties à l’instance soient les mêmes. En revanche, cette identité ne suppose pas que les parties occupent la même qualité procédurale dans les deux instances507. La cause correspond

502 V. art. 27.1 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; art. 29.1 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), dit « Bruxelles I bis » ; art. 12.1 du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; art. 17.1 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

503 V. art. 19.1 du règlement (CE) n° 2201/2003.

504 ANCEL, B. et MUIR-WATT, H., « La désunion européenne : le règlement dit "Bruxelles II" », Rev. crit.

DIP, 2001, p. 403 et s., spéc. n° 21.

505 V. art. 19.2 du règlement (CE) n° 2201/2003.

506 CJCE, 8 décembre 1987, aff. C-144/86, Gubisch, Rec. p. 4861, point 10 ; Rev. crit. DIP, 1988, p. 370, note H. GAUDEMET-TALLON ; JDI, 1988, p. 537, obs. A. HUET ; 6 décembre 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, Rec. p. I-5439, points 30 et 47 ; Rev. crit. DIP, 1995, p. 588, note E. TICHADOU ; JDI, 1995, p. 469, obs. A. HUET ; en ce sens, Cass. civ. 1e, 6 décembre 2005, n° 01-13.447 ; Procédures, 2006, n° 83, obs. C. NOURISSAT.

507 CJCE, 6 décembre 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, préc., point 31 : « L’identité des parties doit être

entendue indépendamment de la position de l’une et de l’autre dans les deux procédures, le demandeur à la première procédure pouvant être le défendeur à la seconde ».

aux « faits et [à] la règle juridique invoqués comme fondement de la demande »508. L’objet, quant à lui, consiste dans le but de la demande509. Pour la Cour de justice, l’identité d’objet doit être conçue de façon extensive. Elle a, en effet, jugé que cette notion ne pouvait « être

restreinte à l’identité formelle des deux demandes »510. La Cour a également eu l’occasion de préciser, dans l’arrêt Gantner que « pour apprécier si deux demandes formées devant des

juridictions d’États contractants différents ont le même objet, il convient de tenir compte uniquement des prétentions des demandeurs respectifs, à l’exclusion des moyens de défenses soulevés par un défendeur »511. Ainsi, ont par exemple, pour elle, le même objet la demande en nullité d’un contrat et la demande en exécution de ce même contrat512 car « la force

obligatoire du contrat se trouve ainsi au centre des deux litiges »513. La notion de litispendance européenne étant définie, il convient de s’intéresser aux pouvoirs du juge en la matière.

124. Règlement Bruxelles I bis. L’article 29, paragraphe 1, du règlement Bruxelles

I bis, qui remplace l’article 27, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I514, prévoit ainsi qu’en présence d’une litispendance européenne « la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office

à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie ».

L’indicatif vaut impératif, de telle sorte que le sursis à statuer est obligatoire et automatique, ne laissant aucune marge d’appréciation à la juridiction saisie en second lieu. Lorsque la

508

CJCE, 6 décembre 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, préc., point 39.

509 CJCE, 6 décembre 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, préc., point 41.

510 CJCE, 8 décembre 1987, aff. C-144/86, Gubisch, préc., point 17.

511

CJCE, 8 mai 2003, aff. C-111/01, Gantner, Rec. p. I-4207 ; Rev. crit. DIP, 2003, p. 544, note E. PATAUT ;

RTD. com., 2003, p. 607, obs. A. MARMISSE.

512 CJCE, 8 décembre 1987, aff. C-144/86, Gubisch, préc. : « La notion de litispendance visée à l’article 21 de la

convention du 27 septembre 1968 recouvre le cas dans lequel une partie introduit devant une juridiction d’un État contractant une demande visant à l’annulation ou à la résolution d’un contrat de vente international, alors qu’une demande de l’autre partie visant à l’exécution de ce même contrat est pendante devant une juridiction d’un autre État contractant ».

513 V. les points 16 et 17 de l’arrêt Gubisch : « 16. En particulier lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de la vente

internationale d’objets mobiliers corporels, il apparaît que la demande d’exécution du contrat a pour but de rendre celui-ci efficace, et que la demande d’annulation et de résolution a précisément pour but de lui ôter toute efficacité. La force obligatoire du contrat se trouve ainsi au centre des deux litiges. Si la demande en annulation ou en résolution est la demande ultérieure, elle peut même être considérée comme ne constituant qu’un moyen de défense contre la première demande, présentée sous forme d’action autonome devant un tribunal d’un autre État contractant. 17. Dans ces conditions procédurales, force est de constater que les deux litiges ont le même objet, cette dernière notion ne pouvant être restreinte à l’identité formelle des deux demandes ».

514

Art. 27 du règlement (CE) n° 44/2001 : « 1. Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause

sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie » ;

GAUDEMET-TALLON, H., Compétence et exécution des jugements en Europe, Règlements n° 44-2001 et

1215/2012, Conventions de Bruxelles et de Lugano, L.G.D.J., 5e éd., 2015, n° 323 à 339 ; V. pour une application en France : Cass. civ. 1re, 6 décembre 2005, n° 01-13.447 ; Procédures, 2006, n° 83, obs. C. NOURISSAT.

compétence de la juridiction première saisie est établie515, la juridiction saisie en second doit se dessaisir au profit de celle-ci516. Autrement dit, le juge second saisi est tenu d’accueillir l’exception de litispendance.

Le règlement Bruxelles I bis a innové en introduisant un mécanisme de litispendance internationale intervenant entre une juridiction d’un État tiers, première saisie, et une juridiction d’un État membre, seconde saisie et compétente en vertu des règles de compétence ordinaires ou spéciales du règlement517. Dans ce cas, la juridiction de l’État membre, seconde saisie, « peut » surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction de l’État tiers ait rendu sa décision518. Il s’agit d’une simple faculté que le juge peut exercer « soit à la demande d’une

des parties, soit d’office lorsque cette possibilité est prévue par le droit national »519 si deux conditions cumulatives sont réunies. La juridiction de l’État membre doit s’attendre à ce que la juridiction de l’État tiers rende une décision susceptible d’être reconnue et exécutée dans l’Union520. Il faut également que la juridiction de l’État membre soit « convaincue que ce

sursis à statuer est nécessaire pour une bonne administration de la justice »521. Un pouvoir d’initiative est ainsi reconnu par le règlement au juge second saisi qui peut décider de surseoir à statuer. Il peut même le faire d’office, à condition toutefois que cette initiative soit prévue par son droit national.

La juridiction de l’État membre peut aussi choisir de « poursuivre l’instance à tout

moment »522 dans trois hypothèses. D’une part, lorsque l’instance devant la juridiction de

515

V. sur la notion de compétence établie : CJUE, 27 février 2014, aff. C-1/13, Cartier parfums - lunettes c/

Ziegler France, ECLI :EU :C :2014 :109 ; Rev. crit. DIP, 2014, p. 694, note H. MUIR WATT. La Cour de

justice, saisie sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation française, a dit pour droit que « l’article 27,

paragraphe 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, sous réserve de l’hypothèse où le tribunal saisi en second lieu disposerait d’une compétence exclusive en vertu de ce règlement, la compétence du tribunal saisi en premier lieu doit être considérée comme établie, au sens de cette disposition, dès lors que ce tribunal n’a pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’a contestée avant ou jusqu’au moment de la prise de position considérée, par son droit procédural national, comme la première défense au fond présentée devant ledit tribunal ». Le 24

septembre 2014, la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 24 septembre 2014, n° 11-19.516 ; Dalloz actualité, 14 octobre 2014, obs. F. MÉLIN ; D., 2013, p. 1503, obs. F. JAULT-SESEKE ; JDI, 2015, comm. 3, note C. CHALAS) a fait application de la solution de la Cour de justice dans l’affaire ayant donné lieu au renvoi préjudiciel.

516 V. Art. 29.3 du règlement (UE) n° 1215/2012 ; art. 27.2 du règlement (CE) n° 44/2001.

517

V. art. 33 du règlement (UE) n° 1215/2012 ; GAUDEMET-TALLON, H., Compétence et exécution des

jugements en Europe, ouvrage préc., n° 339-1.

518

V. art. 33.1 du règlement (UE) n° 1215/2012.

519 V. art. 33.4 du règlement (UE) n° 1215/2012.

520 V. art. 33.1 a) du règlement (UE) n° 1215/2012.

521

V. art. 33.1 b) du règlement (UE) n° 1215/2012.

522

l’État tiers fait elle-même l’objet d’un sursis à statuer ou d’un désistement.523 D’autre part, lorsque la juridiction de l’État membre estime que la procédure devant la juridiction de l’État tiers ne pourra vraisemblablement pas être conclue dans un délai raisonnable524. Enfin, lorsque la juridiction de l’État membre estime que « la poursuite de l’instance est

indispensable à une bonne administration de la justice »525. Une large marge d’appréciation est donc laissée à la juridiction de l’État membre. Par ailleurs, si la procédure devant la juridiction de l’État tiers s’est achevée par une décision susceptible de reconnaissance, la juridiction de l’État membre « met fin » à l’instance engagée devant elle526. Il apparaît en définitive que le juge est doté des pouvoirs en matière de litispendance. S’il a seulement la faculté de relever d’office l’exception de litispendance internationale, le règlement Bruxelles I

bis lui impose en revanche de relever d’office l’exception de litispendance européenne. Cette

obligation se retrouve-t-elle dans le règlement Bruxelles II bis ?

125. Règlement Bruxelles II bis. En matière de désunion et de responsabilité parentale, l’article 19 du règlement Bruxelles II bis527 distingue deux cas dans lesquels la juridiction saisie en second lieu doit d’office surseoir à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie. D’une part, en matière de désunion lorsque les demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage sont formées « entre les mêmes parties »528. D’autre part, en matière d’actions relatives à la responsabilité parentale « ayant le même objet et la même cause »529. Dans les deux cas, lorsque la compétence du juge premier saisi est établie, le juge saisi en second doit se dessaisir au profit de celui-ci530. Il s’agit d’une véritable obligation pour le juge national. La Cour de justice a

523 V. art. 33.2 a) du règlement (UE) n° 1215/2012.

524

V. art. 33.2 b) du règlement (UE) n° 1215/2012.

525 V. art. 33.2 c) du règlement (UE) n° 1215/2012.

526 V. art. 33.3 du règlement (UE) n° 1215/2012.

527

DOUCHY-OUDOT, M., « Le traitement de la litispendance », Dr. et patr., 2005, n° 138, p. 80 ; « Le traitement de la litispendance », in Le nouveau droit communautaire du divorce et de la responsabilité

parentale, préc., p. 209 et s. ; GALLANT, E., « Compétence, reconnaissance et exécution (Matières

matrimoniale et de responsabilité parentale) », in Rép. dr. eur., Dalloz, janvier 2013, n° 221 et s.

528

V. art. 19.1 du règlement (CE) n° 2201/2003 : « Lorsque des demandes en divorce, en séparation de corps ou

en annulation du mariage sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie ».

529 V. art. 19.2 du règlement (CE) n° 2201/2003 : « Lorsque des actions relatives à la responsabilité parentale à

l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie ».

530

V. art. 19.3 du règlement (CE) n° 2201/2003 : « Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est

toutefois eu l’occasion de préciser, dans un arrêt du 9 novembre 2010531 rendu en matière d’autorité parentale, que l’article 19, paragraphe 2, du règlement Bruxelles II bis ne s’applique pas si les juridictions concurremment saisies l’ont été l’une d’une demande au fond, l’autre d’une demande de mesures provisoires sur le fondement de l’article 20 du règlement. La Cour considère en effet qu’il n’y a pas de litispendance dans ce cas. Cette solution peut être approuvée puisque, dans la mesure où les mesures provisoires prises en application de l’article 20 cessent d’avoir effet dès que la juridiction compétente sur le fond a pris les mesures nécessaires, le risque d’inconciliabilité des décisions ne peut pas se réaliser. Qu’en est-il des autres règlements ?

126. Autres règlements. L’article 12 du règlement (CE) n° 4/2009 relatif aux obligations alimentaires prévoit que lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second doit d’office surseoir à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie. Et si cette compétence vient à être établie, la juridiction saisie en second lieu n’a plus d’autre choix que de se dessaisir. L’article 17 du règlement (CE) n° 650/2012 relatif aux successions internationales prévoit une solution identique532. Il en est de même des règlements (UE) n° 2016/1103 et n° 2016/1104 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux pour le premier et d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés pour le second533. En revanche le règlement (CE) n° 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges ne comporte pas de disposition relative à la litispendance et ne renvoie pas au règlement Bruxelles I sur ce point. Dès lors en vertu de la clause de renvoi général prévue par

531 CJUE, 9 novembre 2010, aff. C-296-10, Purrucker, Rec. p. I-11163 ; Procédures, 2011, n° 11, obs. C. NOURISSAT ; Europe, 2011, n° 35, note L. IDOT.

532

Art. 17 du règlement (UE) n° 650/2012 : « 1. Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause

sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, toute juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie. 2. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci ».

533 V. art. 17 des règlements (UE) n° 2016/1103 et n° 2016/1104 : « 1. Lorsque des demandes ayant le même

objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu surseoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.

2. Dans les cas visés au paragraphe 1, à la demande d’une juridiction saisie du litige, toute autre juridiction saisie informe sans retard la première juridiction de la date à laquelle elle a été saisie.

3. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu décline sa compétence en faveur de celle-ci ».

son l’article 19, c’est le droit procédural de l’État membre de la juridiction saisie qui devrait s’appliquer. La solution est regrettable car le renvoi au droit national est de nature à nuire à l’uniformité d’application du règlement.

127. Appréciation. En présence d’une situation de litispendance européenne, les différents règlements européens de droit international privé posent l’obligation pour la juridiction saisie en second lieu d’abord de surseoir d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie, puis, le cas échéant, de se dessaisir d’office en faveur de celle-ci534.

Par comparaison, en cas de litispendance interne, l’article 100 du Code de procédure civile français dispose que « si le même litige est pendant devant deux juridictions de même

degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d’office »535. Cet article met en place une véritable obligation pour le juge français second saisi de se dessaisir au profit du juge français premier saisi si une partie le demande, et lui en donne la simple faculté en cas de silence des parties. Dans l’arrêt Miniera di Fragne du 26 novembre 1974, la Cour de cassation française a admis la recevabilité de l’exception de litispendance internationale536. Son accueil est toutefois subordonné à plusieurs conditions. Il suppose d’abord que les deux juridictions saisies du même litige soient compétentes, l’une et l’autre, pour en connaître. Il faut ensuite que la juridiction française ait été saisie en second. Il

534

Sur le moment de la saisine, V. art. 30 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; art. 32.1 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), dit « Bruxelles I bis » ; art. 16 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, dit « Bruxelles II bis » ; art. 9 du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; art. 14 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ; REY, J., « La saisine », in H. FULCHIRON et C. NOURISSAT (dir.), Le nouveau droit

communautaire du divorce et de la responsabilité parentale, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2005, p.

181 et s.

535 TIRVAUDEY-BOURDIN, C., « Exceptions de litispendance et de connexité », in J.-Cl. Proc. Civ., fasc. 213-2, 2015.

536 Cass. civ. 1re, 26 novembre 1974, Sté Miniera di Fragne, n° 73-13.820 ; Rev. crit. DIP, 1975, p. 491, note D. HOLLEAUX ; JDI, 1975, p. 108, note A. PONSARD ; GAJFDIP, Dalloz, 5e éd., 2006, n° 54 ; HOLLEAUX, D., « La litispendance internationale », Trav. com. fr. DIP, 1971-1973, p. 203 et s. ; GAUDEMET-TALLON, H., « La litispendance internationale dans la jurisprudence française », in Mélanges D. HOLLEAUX, Litec, 1990, p. 121 à 134 ; HUET, A., « Compétence des tribunaux français à l’égard des litiges internationaux », in J.-Cl. dr.

requiert enfin que la décision à intervenir à l’étranger soit susceptible d’être reconnue en France537. Si les conditions de la litispendance internationale sont réunies, le juge français a la simple faculté de se dessaisir au profit du juge étranger538. Certains auteurs, dont le professeur HOLLEAUX539, estiment qu’il serait préférable que le juge sursoie à statuer540.

En définitive, il apparaît que le régime de la litispendance européenne est beaucoup plus contraignant pour le juge que celui de la litispendance internationale. En effet, contrairement au mécanisme français de la litispendance internationale et à la litispendance internationale d’origine européenne, le juge saisi en second est dans l’obligation de soulever d’office l’exception de litispendance européenne. En revanche, les règlements européens de droit international privé n’exigent pas que celui-ci se livre, préalablement à son dessaisissement, à un « pronostic de régularité » de la future décision étrangère. Cette différence s’explique par le fait que les règlements européens de droit international privé facilitent la reconnaissance mutuelle des décisions au sein de l’espace judiciaire européen en prévoyant la reconnaissance