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La protection du défendeur non comparant

CHAPITRE PREMIER : LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE

Section 1. Le contradictoire dans l’instance directe

B. La protection du défendeur non comparant

60. Position du problème. Dans les litiges transfrontaliers, l’absence de comparution du défendeur en raison de son ignorance est loin d’être une hypothèse d’école. Aussi, le législateur européen a-t-il mis en place un système de protection visant à s’assurer que le défendeur a bien été informé de la procédure engagée contre lui. Ainsi, lorsque le défendeur ne comparaît pas, le règlement (CE) n° 1393/2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale impose au juge de surseoir à statuer tant qu’il n’a pas l’assurance que le

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JEULAND, E., Droit processuel général, LGDJ, Domat, 3e éd. 2014, spéc. n° 614.

275 Comp. en matière pénale, directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales : JOUE, 26 octobre 2010, p. 1.

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V. art. 6, § 3, e) de la Convention EDH : « Tout accusé a droit notamment à : se faire assister gratuitement

défendeur a été dûment informé de la procédure engagée contre lui. Une règle identique est prévue dans les règlements européens de droit international privé (1). Dans le même ordre d’idées, le règlement (CE) n° 1393/2007 prévoit également que le défendeur défaillant peut être relevé de la forclusion résultant de l’expiration des délais de recours s’il n’a eu connaissance de la procédure que tardivement (2).

1. Le sursis à statuer

61. Obligation. Lorsque l’acte a été signifié ou notifié à l’étranger et que le défendeur ne comparaît pas, l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1393/2007 oblige le juge saisi à surseoir à statuer tant qu’il n’aura pas été établi d’une part que l’acte introductif d’instance a bien été remis au destinataire selon les formes prévues par le règlement277 ou selon les formes prescrites par la législation de l’État membre requis et d’autre part que la remise a été effectuée « en temps utile » pour que le défendeur ait pu organiser sa défense278. Deux remarques peuvent être formulées. D’abord, seul le défendeur non-comparant est protégé par cette disposition. Ensuite, le contrôle du juge porte à la fois sur la régularité formelle de l’acte introductif d’instance et sur son efficacité.

62. Possibilité de statuer au fond. Cependant, afin de protéger les intérêts du demandeur et d’éviter que de telles situations paralysent la justice indéfiniment, l’article 19, paragraphe 2, de ce même règlement prévoit la possibilité pour chaque État membre de décider que ses juges pourront statuer en l’absence d’attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise de l’acte introductif d’instance si les trois conditions suivantes sont réunies279 : l’acte introductif d’instance a été transmis selon les conditions

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V. supra n° 35 et s.

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V. art. 19.1 du règlement (CE) n° 1393/2007 : « Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a

dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification, selon les dispositions du présent règlement, et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi : a) ou bien que l’acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par la loi de l’État membre requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire ; b) ou bien que l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement ; et que, dans chacune de ces éventualités, soit la signification ou la notification, soit la remise a eu lieu en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre » ;

comp. art. 479 du CPC : « Le jugement par défaut ou le jugement réputé contradictoire rendu contre une partie

demeurant à l’étranger doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l’acte introductif d’instance au défendeur ».

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V. art. 19.2 du règlement (CE) n° 1393/2007 : « Chaque État membre peut faire savoir, conformément à

prévues par le règlement, un délai d’au moins six mois s’est écoulé depuis la date d’envoi de l’acte introductif d’instance et enfin les démarches effectuées pour obtenir l’attestation de remise effective de l’acte introductif d’instance ont été infructueuses. Cette disposition conduit à relativiser la portée de l’obligation pour le juge de surseoir à statuer lorsque le défendeur ne comparait pas. On remarquera que la plupart des États membres de l’Union européenne, dont la France, ont fait usage de cette possibilité280. Cette solution permet d’assurer un juste équilibre entre les droits du demandeur et ceux du défendeur.

63. Règlements de DIP. Les règlements européens de droit international privé contiennent eux aussi une règle de sursis à statuer281. Ainsi, lorsqu’un défendeur ne comparaît pas282, la juridiction compétente doit sursoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que le défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance en temps utile pour se défendre ou que « toute diligence a été faite à cette fin »283. À la différence du règlement (CE) n° 1393/2007, le contrôle du juge ne porte pas sur la régularité formelle de l’assignation, mais seulement sur son efficacité. En effet, le juge n’a pas à vérifier que la notification de l’acte introductif d’instance a été régulière. Le défendeur est donc moins bien protégé. En revanche, l’on constate que les règlements européens de droit international privé ne contiennent pas de disposition comparable à l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CE)

les conditions ci-après sont réunies, même si aucune attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise n’a été reçue : a) l’acte a été transmis selon un des modes prévus par le présent règlement ; b) un délai, que le juge appréciera dans chaque cas particulier et qui sera d’au moins six mois, s’est écoulé depuis la date d’envoi de l’acte ; c) aucune attestation n’a pu être obtenue nonobstant toutes les démarches effectuées auprès des autorités ou entités compétentes de l’État membre requis ».

280 Pour une présentation des solutions retenues par les différents États membres, voir le site du portail e-justice européen.

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V. art. 26.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; art. 28.2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), dit « Bruxelles I bis » ; art. 18.1 du règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, dit « Bruxelles II bis » ; art. 11.1 du règlement (CE) no 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; art. 16.1 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

282 Il convient de signaler que les règlements ne protègent que le défendeur qui a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre où l’action est intentée.

283 Dans le cadre du règlement Bruxelles I, la Cour de justice a jugé qu’ « il convient de comprendre l’article 26.

2 en ce sens qu’une juridiction compétente au titre de ce règlement ne saurait poursuivre valablement la procédure, dans le cas où il n’est pas établi que le défendeur a été mis à même de recevoir l’acte introductif d’instance, que si toutes les mesures nécessaires ont été prises pour permettre à celui-ci de se défendre. À cet effet, la juridiction saisie doit s’assurer que toutes les recherches requises par les principes de diligence et de bonne foi ont été entreprises pour retrouver le défendeur » (voir CJUE, 17 novembre 2011, aff. C-327/10, Hypoteční Banka c/ Lindner, point 52 ; D., 2012, p. 1236, obs. F. JAULT-SESEKE ; Rev. crit. DIP, 2012,

p. 411, note M. REQUEJO et G. CUNIBERTI ; 15 mars 2012, aff. C-292/10, G c/ Cornelius de Visser, point 55 ; Europe, 2012. comm. 173, obs. L. IDOT).

n° 1393/2007 réservant la possibilité pour le juge de statuer au fond. Les règlements européens de droit international privé précisent toutefois que les dispositions relatives au sursis à statuer qu’ils contiennent ne s’appliquent que si l’acte introductif d’instance n’a pas été transmis d’un État membre à un autre en exécution du règlement (CE) n° 1393/2007284. L’hypothèse visée est celle, sans doute rare, dans laquelle l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue285. En effet, dans ce cas le règlement (CE) n° 1393/2007 ne s’applique pas. Outre le sursis à statuer, ce règlement prévoit une autre garantie pour protéger le défendeur non comparant, à savoir le relevé de forclusion.

2. Le relevé de forclusion

64. Possibilité de relever le défendeur de la forclusion résultant de l’expiration des délais de recours. L’article 19, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1393/2007 prévoit que si une décision a été rendue contre un défendeur qui n’a pas comparu, le juge a la faculté de relever ce dernier de la forclusion résultant de l’expiration des délais de recours, si deux conditions sont réunies286. Il faut d’abord que le défendeur, sans qu’il y ait faute de sa part, n’ait pas eu connaissance de l’acte introductif d’instance en temps utile pour se défendre, ou de la décision en temps utile pour former un recours.

Il faut ensuite que les moyens du défendeur n’apparaissent pas dénués de tout fondement. La demande de relevé de forclusion doit être formée dans un délai raisonnable à partir du moment où le défendeur a eu connaissance de la décision. Chaque État membre a, à cet égard, la faculté de préciser que cette demande est irrecevable si elle n’a pas été formée

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V. art. 26.3, du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; art. 28.3 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), dit « Bruxelles I bis » ; art. 18.2 du règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, dit « Bruxelles II bis » ; art. 11.2 du règlement (CE) no 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; art. 16.2 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

285 PATAUT, E., « Notifications internationales et règlement Bruxelles I », in Mélanges H.

GAUDEMET-TALLON, Dalloz, 2008, p. 377 à 395, spéc. p. 381.

286 Comp. art. 540, al. 1er du CPC : « Si le jugement a été rendu par défaut ou s’il est réputé contradictoire, le

juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l’expiration du délai si le défendeur, sans qu’il y ait eu faute de sa part, n’a pas eu connaissance du jugement en temps utile pour exercer son recours, ou s’il s’est trouvé dans l’impossibilité d’agir ».

dans un délai qu’il indique, ce délai ne pouvant toutefois être inférieur à un an à compter du prononcé de la décision287.

65. Observations. Deux observations peuvent être faites. À la différence du sursis à statuer, le relevé de forclusion est une simple faculté laissée à l’appréciation du juge. Par ailleurs, certains États membres, dont la France, ont fait usage de la faculté de fixer la durée du délai, alors que d’autres ne l’ont pas fait288. Il en résulte des disparités dans la protection des défendeurs défaillants, ce qui est regrettable.

Il apparaît en définitive que le droit de l’Union protège de manière satisfaisante le défendeur défaillant d’une part par le sursis à statuer et d’autre part par le relevé de forclusion lorsqu’une décision a été rendue. Des garanties du contradictoire sont également offertes au stade de la reconnaissance ou de l’exécution de la décision.