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Les modes d’établissement du contenu de la loi étrangère

CHAPITRE SECOND : LE PRINCIPE DU RÔLE ACTIF DU JUGE

Section 2. Les contours de l’office du juge dans la détermination de la loi applicable

B. Les modes d’établissement du contenu de la loi étrangère

150. Présentation générale. La reconnaissance d’un rôle actif du juge dans l’établissement de la teneur du droit étranger suppose qu’il ait à sa disposition des moyens permettant d’en déterminer le contenu. Le plus souvent, les parties présentent, de leur propre chef ou à la demande du juge, des certificats de coutume qui sont des attestations écrites

689 PINTENS, W., « L’établissement du contenu du droit étranger en Belgique », in C. WITZ (dir.), Application

du droit étranger par le juge national : Allemagne, France, Belgique, Suisse, Soc. législ. comp., 2014, p. 37 à

46.

690 En ce sens, BGH (Cour fédérale de justice allemande), 23 décembre 1981, cité par C. WITZ, « L’établissement du contenu du droit étranger en Allemagne », art. préc., p. 34.

691 En ce sens, BGH (Cour fédérale de justice allemande), 26 octobre 1997, cité par C. WITZ, « L’établissement du contenu du droit étranger en Allemagne », art. préc., p. 34.

692

DAMIENS, A., La procédure en droit international privé : recherche en droit de l’Union européenne, Thèse, Orléans, 2015, spéc. n° 451.

établies à la demande de l’une des parties et émanant soit de juristes spécialisés, soit d’autorités officielles étrangères693. Il convient de noter que ces certificats ne lient pas le juge qui dispose, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation694. Le juge peut, quant à lui, faire appel à ses connaissances personnelles695. À défaut de telles connaissances, le juge peut rechercher d’office le contenu de la loi étrangère applicable en ordonnant une mesure d’instruction696 telle une expertise judiciaire697 ou une consultation confiée à un spécialiste du droit étranger applicable698. Contrairement aux juges français, les juges allemands ont fréquemment recours à l’expertise judiciaire en la matière699.

Le juge peut aussi avoir recours à des instruments de coopération judiciaire. Parmi ces instruments figure la Convention européenne relative à l’information sur le droit étranger, signée à Londres le 7 juin 1968700. Cette convention, qui lie la plupart des États membres du Conseil de l’Europe, permet à une juridiction d’un État devant laquelle une question de droit étranger se pose en matière civile et commerciale de s’adresser à une autorité centrale de l’État dont le droit est en cause pour obtenir des informations fiables et précises sur les règles

693

MAYER, P., « Les procédés de preuve de la loi étrangère », in Mélanges J. GHESTIN, L.G.D.J., 2001, p. 617 et s. ; MUIR WATT, H., « Loi étrangère », in Rép. Dr. internat., Dalloz, janvier 2009, [màj octobre 2014], n° 102 à 105 ; FOHRER-DEDEUWAERDER, E., « Conflit de lois – La loi française devant les juridictions françaises. Établissement du contenu de la loi étrangère », in J.-Cl. dr. internat., fasc. 539-20, 2011, spéc n° 78 et s.

694 Cass. civ. 1re, 30 janvier 2007, n° 03-12354 ; Rev. crit. DIP, 2007, p. 769, note T. AZZI ; JDI, 2008, p. 163, note M.-E. ANCEL ; Gaz. Pal., 2008, doctr. 1291, note E. TREPPOZ.

695

Par ex., en France, V. art. 179 CPC ; CHEVALLIER, J., « Remarques sur l’utilisation par le juge de ses informations personnelles », RTD civ., 1962, p. 5 ; LE FOYER DE COSTIL, H. et G., « Les connaissances personnelles du juge », RID comp., 1986, p. 517 ; au Luxembourg, V. art 379 à 383 NCPC.

696 Par ex., en France, V. art. 10 CPC : « Le juge peut ordonner d’office toutes les mesures d’instruction

légalement admissibles » ; TARZIA, G., « Les pouvoirs d’office du juge civil en matière de preuves », in Mélanges R. PERROT, Dalloz, 1996, p. 469 et s.

697

Par ex., en France, V. art. 263 et s. CPC ; V. pour une application, Cass. civ. 1re, 19 octobre 1971, Darmouni, Bull. civ., 1971, I, n° 261, p. 220 ; JDI, 1972, p. 828, note M. NISARD ; D., 1972, p. 633, note Ph.

MALAURIE ; Rev. crit. DIP, 1973, p. 70, note M. SIMON-DEPITRE.

698

Par ex., en France, V. art. 256 et s. CPC.

699 En ce sens, WITZ, C., « L’établissement du contenu du droit étranger en Allemagne », in C. WITZ (dir.),

Application du droit étranger par le juge national : Allemagne, France, Belgique, Suisse, Soc. législ. comp.,

2014, p. 27 à 35, spéc. p. 30 et s.

700 Décret n° 72-947 du 11 octobre 1972 portant publication de cette convention, JO, 20 octobre 1972, p. 11005 ;

Rev. crit. DIP, 1972, p. 758 ; JCP G, 1973, III, 39805 ; D., 1972, législ. p. 545 ; adde, Décret n° 83-1126 du 20

décembre 1983 portant publication du protocole additionnel fait à Strasbourg le 15 mars 1978 ; D., 1984, législ. p. 37 ; V. également BRULLIARD, G., « La Convention européenne du 7 juin 1968 relative à l’information sur le droit étranger, et l’influence qu’elle peut avoir sur l’application de la loi étrangère dans la nouvelle procédure civile », JCP G, 1973, I, 2580.

applicables au cas particulier701. Le recours à cette convention n’étant pas obligatoire, elle est peu utilisée dans la pratique702.

Le juge peut également interroger les centres nationaux d’information sur le droit étranger. En France, le juge peut solliciter des renseignements auprès du bureau du droit comparé du ministère de la Justice. En Allemagne, les juges peuvent s’adresser à l’Institut Max-Planck de Hambourg ou à l’Institut de droit comparé de Munich. Il faut cependant observer que les juges français recourent moins souvent à ce procédé de preuve que les juges allemands.

Du reste, existe-t-il en droit de l’Union des instruments qui permettent au juge de jouer un rôle actif dans l’établissement du contenu de la loi étrangère. Au sein de l’Union européenne, le juge peut recourir au réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale créé en 2001703. Ce réseau a pour mission, de faciliter la coopération judiciaire entre les États membres en matière civile et commerciale et, notamment, de permettre des échanges d’informations sur les législations nationales des États membres. Il apparaît en définitive que le juge a à sa disposition de nombreux moyens lui permettant de rechercher le contenu du droit étranger.

151. Conclusion de la section. Il ressort des développements qui précèdent que les règlements européens de droit international privé relatifs aux conflits de lois sont muets sur la question de l’office du juge en la matière. Il revient donc, en principe, au droit national procédural de chaque État membre de définir les pouvoirs du juge. Ce renvoi aux droits nationaux est regrettable dans la mesure où le rôle du juge n’est pas le même d’un État membre à l’autre. Ces divergences sont susceptibles de nuire à l’application uniforme des règles de conflit de lois européennes. Pour y remédier, il a été proposé d’étendre la

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En France, l’organe unique de réception et de transmission est le Service des affaires européennes et internationales du ministère de la Justice.

702 MÉLIN, F., « La convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger : constat d’un échec », LPA, 27 septembre 1999, p. 9 et s. ; « Les conventions internationales favorisant la connaissance des lois étrangères », in C. WITZ (dir.), Application du droit étranger par le juge national : Allemagne, France,

Belgique, Suisse, Soc. législ. comp., 2014, p. 63 à 82.

703

Décision n° 568/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 modifiant la décision n° 2001/470/CE du Conseil relative à la création d’un réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale, JOUE, n° L 168, 30 juin 2009, p. 35, V. art. 3, b : « En particulier, lorsque la loi d’un autre État

membre est applicable, les juridictions ou autorités saisies peuvent recourir au réseau afin d’obtenir des informations au sujet de son contenu » ; adde, NIBOYET, M.-L., « La globalisation du procès civil international

dans l’espace judiciaire européen et mondial », JDI, 2006, p. 939 ; PAYAN, G., Droit européen de l’exécution

jurisprudence bien connue de la Cour de justice sur l’office du juge en droit de la consommation. Une telle extension semble possible s’agissant des règles de conflits de lois protectrices des parties faibles. En revanche, en dehors de cette hypothèse, l’obligation pour le juge de relever d’office les règles de conflits de lois européennes semble, en l’état actuel du droit de l’Union, difficile à généraliser. La généralisation d’une telle obligation aurait pourtant le mérite de renforcer l’autorité de la règle de conflit à l’égard du juge. À cet égard, l’admission, en droit de l’Union, de l’accord procédural n’est pas en contradiction avec la reconnaissance du caractère obligatoire du relevé d’office. L’accord procédural prend, au contraire, tout son intérêt. Il permet en effet de corriger la rigidité de cette obligation. Les règlements européens sont également silencieux sur la question du rôle du juge dans l’établissement du contenu de la loi étrangère. Ce silence est tout aussi regrettable car le renvoi au droit national engendre des inégalités entre les justiciables. Il serait souhaitable que l’Union européenne adopte des règles sur l’établissement du contenu du droit étranger.