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Les pouvoirs du juge en cas de connexité européenne

CHAPITRE SECOND : LE PRINCIPE DU RÔLE ACTIF DU JUGE

Section 1. Le rôle actif du juge national dans le contrôle de sa compétence internationale

B. Les pouvoirs du juge en cas de connexité européenne

128. Notion de connexité. Il y a connexité européenne lorsque deux juridictions d’États membres différents sont saisies de demandes connexes. La connexité n’exige pas, contrairement à la litispendance, la triple identité de parties, d’objet et de cause. Il suffit que

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V. récemment, Cass. civ. 1re, 23 février 2011, n° 10-14.101 ; AJ fam., 2011, p. 259, obs. N. NORD ; JCP G., 2011, 262, obs. E. CORNUT.

538 Cass. civ. 1re, 26 novembre 1974, préc. : « L’exception de litispendance peut être reçue devant le juge

français, en vertu du droit commun français, en raison d’une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent » ; V. contra : Cass. civ. 1re, 17 juin 1997 ; Rev. crit. DIP, 1998, p. 452, note B. ANCEL ; Cass. civ. 1re, 17 juin 2009, n° 08-12.456 ; Rev. crit. DIP, 2010, p. 170, note E. PATAUT.

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HOLLEAUX, D., « La litispendance internationale », art. préc., spéc. p. 218.

540 Comp. art. 14 du Code belge de droit international privé : « Lorsqu’une demande est pendante devant une

juridiction étrangère et qu’il est prévisible que la décision étrangère sera susceptible de reconnaissance ou d’exécution en Belgique, le juge belge saisi en second lieu d’une demande entre les mêmes parties ayant le même objet et la même cause, peut surseoir à statuer jusqu’au prononcé de la décision étrangère. Il tient compte des exigences d’une bonne administration de la justice. Il se dessaisit lorsque la décision étrangère est susceptible d’être reconnue en vertu de la présente loi ».

les demandes soient « liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire

et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément »541. Dans son arrêt The Ship Tatry du 6 décembre 1994, la Cour de justice a opté pour une interprétation large de la notion de connexité542. Selon la Cour, la connexité recouvre « tous les cas où il existe un risque de contrariété de solutions,

même si les décisions peuvent être exécutées séparément et si leurs conséquences juridiques ne s’excluent pas mutuellement »543.

129. Effets facultatifs de la connexité. À la différence de la litispendance européenne, l’exception de connexité européenne n’entraine aucune obligation pour le juge second saisi. Les règlements européens de droit international privé prévoient en effet qu’en présence de deux demandes connexes, la juridiction seconde saisie « peut » surseoir à statuer pour attendre l’issue de la procédure engagée à l’étranger et, le cas échéant en tenir compte544. Le sursis à statuer n’est qu’une faculté pour le juge, qu’il peut éventuellement exercer d’office545. La juridiction seconde saisie « peut » également se dessaisir au profit de la juridiction première saisie546. Facultatif, le dessaisissement ne peut intervenir qu’à la demande

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Art. 28.3 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; art. 30.3 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), dit « Bruxelles I bis » ; art. 13.3 du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; art. 18.3 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.

542 CJCE, 6 décembre 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, préc..

543 CJCE, 6 décembre 1994, aff. C-406/92, The Ship Tatry, préc., point 53.

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Art. 28.1 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; art. 30.1 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), dit « Bruxelles I bis » ; art. 13.1 du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; art. 18.1 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ; art. 18.1 du règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux ; art. 18.1 du règlement (UE) n° 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.

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GAUDEMET-TALLON, H., Compétence et exécution des jugements en Europe, ouvrage préc., n° 340 à 347, spéc. n° 345.

546 Art. 28.2 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I » ; art. 30.2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et

de l’une des parties, et non d’office. Il suppose la réunion de plusieurs conditions : il faut que la juridiction saisie en premier lieu soit compétente pour connaître des deux demandes et que sa propre loi autorise la jonction de demandes connexes. Enfin il faut que les demandes connexes soient « pendantes au premier degré »547.

Le règlement Bruxelles I bis a adopté une exception de connexité internationale applicable dès lors que deux demandes connexes sont pendantes, l’une devant une juridiction d’un État tiers, première saisie, l’autre devant une juridiction d’un État membre, seconde saisie et compétente en vertu des règles de compétence ordinaires ou spéciales du règlement548. Ses effets sont semblables à ceux de la litispendance internationale. La juridiction de l’État membre « peut » surseoir à statuer549 soit à la demande d’une parties, soit d’office si son droit national l’y autorise550 lorsque trois conditions cumulatives sont réunies. Il faut d’abord que la juridiction de l’État membre estime qu’il y a « intérêt à instruire et

juger les demandes connexes en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément »551. Il faut ensuite que la juridiction de l’État membre s’attende à ce que la juridiction de l’État tiers rende une décision susceptible d’être reconnue et exécutée dans l’Union552. Il faut enfin que la juridiction de l’État membre

l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), dit « Bruxelles I bis » ; art. 13.2 du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires ; art. 18.2 du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ; art. 18.2 du règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux ; art. 18.2 du règlement (UE) n° 2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.

547 La Cour de cassation française et la Cour de cassation luxembourgeoise interprètent de manière souple cette exigence en faisant prévaloir l’esprit sur la lettre du règlement. V. Cass. civ. 1re, 27 octobre 1992, n° 90-21.661 ;

JDI, 1994, p. 171, obs. A. HUET : « la notion de "demande pendante au premier degré" n’a pour effet d’empêcher le dessaisissement que dans la mesure où celui-ci priverait une partie d’un degré de juridiction ».

Dans le même sens : Cass. Luxembourg, 19 juin 2008 ; JDI, 2009, comm. 13, note G. CUNIBERTI. Signalons que le règlement Bruxelles I bis a assoupli cette condition, puisque son article 30, § 2 prévoit que « lorsque la

demande devant la juridiction première saisie est pendante au premier degré, toute autre juridiction peut également se dessaisir […] ». Seule la demande devant la première juridiction saisie doit être pendante au

premier degré. Comp. art. 102 CPC : « Lorsque les juridictions saisies ne sont pas de même degré, l’exception

de litispendance ou de connexité ne peut être soulevée que devant la juridiction du degré inférieur ».

548 Art. 34 du règlement (UE) n° 1215/2012 ; GAUDEMET-TALLON, H., Compétence et exécution des

jugements en Europe, ouvrage préc., n° 347-1.

549 V. Art. 34.1 du règlement (UE) n° 1215/2012.

550 V. art. 34.4 du règlement (UE) n° 1215/2012.

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V. Art. 34.1 a) du règlement (UE) n° 1215/2012.

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soit convaincue que le sursis à statuer « est nécessaire pour une bonne administration de la

justice »553.

La juridiction de l’État membre peut également poursuivre l’instance à tout moment si elle estime qu’il n’existe plus de risque que les décisions soient inconciliables554, si l’instance devant la juridiction de l’État tiers fait elle-même l’objet d’un sursis à statuer ou d’un désistement555, s’il est à craindre que « la procédure étrangère ne pourra vraisemblablement

pas être conclue dans un délai raisonnable »556, ou si la poursuite de l’instance est indispensable à une bonne administration de la justice557. La juridiction de l’État membre peut mettre fin à l’instance si la procédure étrangère est conclue et a donné lieu à une décision susceptible d’être reconnue et exécutée558.

130. Appréciation. En présence d’une situation de connexité européenne, les différents règlements européens de droit international posent la faculté pour la juridiction saisie en second de surseoir d’office à statuer jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par la juridiction première saisie. Ils prévoient également que la juridiction saisie en second a la faculté de se dessaisir au profit de la juridiction saisie en premier. Le dessaisissement ne peut cependant avoir lieu qu’à la demande de l’une des parties. Il ne peut être prononcé d’office. Par comparaison, en droit français, l’article 101 du Code de procédure civile dispose que « s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu’il soit

de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l’une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction ». À la différence de ce que prévoit l’article 100 du Code de procédure

civile pour l’exception de litispendance, la connexité ne peut être relevée d’office par le juge. Dans le cadre des litiges internationaux, la jurisprudence française a admis la recevabilité de l’exception de connexité internationale et le juge français dispose d’une simple faculté de se dessaisir au profit d’une juridiction étrangère559. Dans un arrêt du 22 juin 1999, la Cour de

553 V. art. 34.1 c) du règlement (UE) n° 1215/2012.

554 V. art. 34.2 a) du règlement (UE) n° 1215/2012.

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V. art. 34.2 b) du règlement (UE) n° 1215/2012.

556 V. art. 34.2 c) du règlement (UE) n° 1215/2012.

557 V. art. 34.2 d) du règlement (UE) n° 1215/2012.

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V. art. 34.3 du règlement (UE) n° 1215/2012.

559 Cass. civ. 1re, 20 octobre 1987, n° 85-18.877 ; JDI, 1988, p. 446, note A. HUET ; Rev. crit. DIP, 1988, p. 540, note Y. LEQUETTE : « L’admission de l’exception de connexité n’est jamais qu’une simple faculté pour les

tribunaux » ; Cass. civ. 1re, 22 juin 1999, Benichou, n° 96-22.546 ; Rev. crit. DIP, 2000, p. 42, note G. CUNIBERTI ; LEMAIRE, S. « La connexité internationale », Trav. com. fr. DIP, 2008-2010, p. 95 et s. ; TIRVAUDEY-BOURDIN, C., « Exceptions de litispendance et de connexité », in J.-Cl. Proc. Civ., fasc. 213-2, janvier 2015.

cassation a précisé que « l’exception de connexité internationale peut être admise aux seules

conditions que deux juridictions relevant de deux États différents soient également et compétemment saisies de deux instances, en cours, faisant ressortir entre elles un lien de nature à créer une contrariété »560. En revanche, aucune condition d’antériorité de la saisine du juge étranger n’est posée. Mais il est fort probable, qu’en pratique, le juge français soit peu enclin à accueillir l’exception de connexité si la juridiction étrangère a été saisie en second. Il s’agit là d’une différence importante avec la connexité européenne.

Au final, il apparaît qu’à l’instar du mécanisme français de la connexité internationale ou de la connexité internationale d’origine européenne, le dessaisissement du juge pour connexité européenne est toujours facultatif et ne peut intervenir d’office. En revanche, en présence d’une situation de connexité européenne, la juridiction saisie en second lieu a la possibilité de surseoir à statuer d’office, ce qui vise à accroître ses pouvoirs.

131. Conclusion de la section. Il ressort des développements précédents que les règlements européens de droit international privé relatifs aux conflits de juridictions confèrent un rôle actif au juge national dans le contrôle de sa compétence internationale en mettant à sa charge une obligation de vérification de sa compétence. Il en résulte que le juge saisi doit vérifier d’office sa compétence et, le cas échéant, se déclarer d’office incompétent. Curieusement, les règlements instituant une injonction de payer européenne et une procédure de règlement des petits litiges ne comportent aucune disposition obligeant expressément le juge à vérifier d’office sa compétence. Cependant, dans la mesure où ces règlements renvoient au règlement Bruxelles I bis pour déterminer la compétence des juridictions, il est possible de penser que les dispositions sur la vérification d’office de la compétence trouvent à s’appliquer. Dès lors, le juge saisi d’une procédure européenne d’injonction de payer ou de règlement des petits litiges devrait avoir un rôle actif dans le contrôle de sa compétence.

Les règlements européens de droit international privé étudiés confèrent également un rôle actif au juge dans le règlement des conflits de procédures. Ainsi en présence d’une litispendance européenne, le juge second saisi doit surseoir d’office à statuer tant que la compétence du premier juge n’est pas établie. Lorsque cette compétence est établie, le second juge doit se dessaisir. Le but poursuivi est d’éviter que ne soient rendues des décisions inconciliables et le sursis à statuer dans l’attente de la décision sur la compétence du juge

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premier saisi écarte totalement le risque de conflits négatifs de compétences. En matière de connexité européenne, le juge saisi en second a la faculté de se dessaisir d’office au profit du juge premier saisi et ceci également afin d’éviter les décisions inconciliables. En définitive, il apparaît que le juge national a un rôle actif en matière de compétence internationale directe. Une fois la question de la compétence résolue il convient de se pencher sur celle de la loi applicable.