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L'utilité des principes généraux du droit comme instrument de convergence

Section 2. La politique jurisprudentielle convergente des juges européens

A. L'utilité des principes généraux du droit comme instrument de convergence

La fonction première des principes généraux du droit (PGD) de l'Union est évidente : « il s'agit d'éviter tout déni de justice »769, ce qui implique qu’il existe un « droit incomplet,

ce qui suppose également qu'il soit autonome »770. Ce sont les deux fonctions qui peuvent

être mises en avant : les principes généraux permettent de recevoir la Convention EDH comme source informelle afin de compléter la protection des droits fondamentaux (1) et ils sont un signe de l'autonomie du droit de l'Union européenne (2).

764 J. PORTA et S. ROBIN-OLIVIER, « Droits fondamentaux et libre circulation dans la jurisprudence de la

Cour de justice de l'Union européenne : quelques développements récents », Rev. trav., 2011, n° 10, p. 589.

765 Ibidem.

766 L’expression « Principes généraux de droit » est également utilisée mais dans le cadre de cette étude c’est

celle de « Principe généraux du droit » qui est retenue. Voir à ce sujet, J. MOLINIER (dir.), Les principes

fondateurs de l’Union européenne, PUF, Paris, 2005, p. 26.

767 H. RUIZ FABRI, « Principes généraux du droit communautaire et droit comparé », Droits, 2007, n° 1, p.

129.

768 Voir T. TRIDIMAS, The General Principles of EU Law, Oxford EC Law Library, Oxford, 2006, 2e éd., pp.

1 et s.

769 H. RUIZ FABRI, « Principes généraux du droit communautaire et droit comparé », op. cit., p. 136. Voir

également T. TRIDIMAS, The General Principles of EU Law, op. cit., pp. 17 et s.

1. La fonction de réception de la Convention EDH

La découverte des PGD en matière de droits fondamentaux771 par la Cour de justice

fait suite à une opposition de certaines cours constitutionnelles nationales qui souhaitaient écarter le droit de l'Union au profit de leurs droits nationaux, afin de protéger les droits fondamentaux772. L'arrêt Stauder de 1969773 marque l'intégration des droits fondamentaux

dans la jurisprudence de la Cour de justice par les PGD. « Ces principes, censés être

l'expression d'une certaine orientation du droit, sont classiquement liés à l'État Nation. Ils ont été adaptés par le juge communautaire afin de servir de médiateur entre les sources externes garantissant le respect des droits de l'homme et l'ordre communautaire »774. Ainsi,

les droits découverts par le juge de l'Union sont principalement des droits fondamentaux pour assurer la protection du principe de primauté775, et permettent la médiation avec la

Convention EDH et les traditions constitutionnelles des États membres. Ce choix de la Cour de justice est une manifestation de sa politique jurisprudentielle. Même si les PGD ont deux sources principales reconnues, il semble que la Convention EDH soit plus fréquemment mobilisée776 , tout en coexistant avec les traditions constitutionnelles des États membres,

comme indiqué dans l'article 6 § 3 TUE777. La lecture de la jurisprudence de la Cour de

justice permet même de constater que la référence aux PGD a été mise de côté un temps pour

771 D'autres catégories de PGD existent, comme les principes déduits de la nature des Communautés, voir F.

PICOD, « Principes généraux de droit », Dictionnaire juridique des Communautés européennes, A. BARAV et C. PHILIP (dir.), PUF, Paris, 1993, p. 860.

772 Voir à ce sujet : R.-E. PAPADOPOULOU, Principes généraux du droit et droit communautaire, Bruylant,

Bruxelles, 1996, pp. 141 et s.

773 CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff. 29/69, Rec. p. 419.

774 R. TINIÈRE, L'office du juge communautaire des droits fondamentaux, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 64. 775 Au titre des droits fondamentaux reconnus par la Cour de justice, voir les listes de B. FAVREAU, « La

Charte de l'Union européenne, pourquoi ? Comment ? », in La Charte des droits fondamentaux de l'Union

européenne après le traité de Lisbonne, B. FAVREAU (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2010, p. 3, de R.

TINIÈRE, L'office du juge communautaire des droits fondamentaux, op. cit., p. 79 et A. FABRE, « La « fondamentalisation » des droits sociaux en droit de l'Union européenne », in La protection des droits

fondamentaux dans l'Union européenne. Entre évolution et permanence, R. TINIÈRE et C. VIAL (dir.),

Bruylant, Bruxelles, 2015, p. 168. Pour ne donner que quelques exemples de principes généraux du droit reconnus par la Cour : la liberté du commerce dans CJCE, 17 décembre 1970, Internationale

Handellsgesellschaft, aff. 11/70, Rec. p. 1125 ; le droit de propriété dans CJCE, 14 mai 1974, Nold, aff.

4/73, Rec. p. 491 ; la liberté syndicale dans CJCE, 28 octobre 1975, Rutili, aff. 36/75, Rec. p. 1219 ou encore la protection de la vie privée dans CJCE, 26 juin 1980, Panasonic, aff. 136/79, Rec. p. 2033.

776 Voir par exemple à ce sujet É. BARBIER DE LA SERRE, « Le traité de Lisbonne, les droits fondamentaux

et le droit processuel de la concurrence », Revue Lamy de la Concurrence, 2010.

777 Voir à ce sujet F. PICOD, « La hiérarchisation des sources au sein de l’article 6 TUE », in Protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne. Entre évolution et permanence, R. TINIÈRE et C. VIAL

directement appliquer la Convention EDH778. Concrètement, la solution rendue par la Cour

de justice dépend également de la source mobilisée par le juge national en amont lors de la formulation de sa question préjudicielle, ajouté à la possibilité, mais pas l’obligation, pour la Cour de justice de reformuler ladite question. La reconnaissance de principes généraux du droit, permet à la Cour de justice de dépasser la protection assurée par la Convention EDH si elle le souhaite. « Ces principes risquent même d'avoir un contenu supérieur aux normes

de la Convention puisque, dans l'arrêt Nold, la Cour a annoncé son intention de s'inspirer d'une sorte de standard optimal des droits fondamentaux, alors que la Convention ne représente finalement qu'un standard minimum »779. Inversement, la Cour EDH participe à

l'évolution des principes généraux du droit de l'Union européenne, « à défaut d'exercer

formellement une force obligatoire, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme – dès lors qu'elle constitue la trace la plus fidèle de la signification des dispositions de la Convention dont elle a la garde – en vient à contribuer à la mise à jour progressive des principes généraux du droit communautaire »780. Le juge de l'Union a ainsi la possibilité

de puiser directement dans la jurisprudence de la Cour EDH781.

La fonction de ces principes est de participer « au renforcement de la protection des

justiciables par rapport aux autorités, européennes ou nationales, intervenant dans le champ du droit de l'Union. Nécessairement dotés, on l'a rappelé, de l'effet direct, ces principes sont spécialement invocables par les particuliers »782. La place dans la hiérarchie des normes de

l'Union européenne pour des principes non-écrits n'est pas évidente783. « Ces principes ont

incontestablement une valeur supra-législative. Certains d'entre eux, notamment ceux

778 R. TINIÈRE, L'office du juge communautaire des droits fondamentaux, op. cit., p. 79 et s et F. SUDRE,

« La Convention européenne des droits de l'homme. Caractères généraux », Jurisclasseur, Fasc. 6500, mis à jour en février 2016.

779 G. COHEN-JONATHAN, « La Convention européenne des droits de l'homme et la Communauté

européenne », in La construction européenne (volume II). Mélanges en l'honneur de Fernand Dehousse, Nathan, Paris, 1979, p. 163.

780 O. DE SCHUTTER, « L'influence de la Cour européenne des droits de l'homme sur la Cour de justice des

Communautés européennes », in Le rayonnement international de la jurisprudence de la Cour européenne

des droits de l'homme, G. COHEN-JONATHAN et J.-F. FLAUSS (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 189

et spéc. p. 210.

781 Voir par exemple CJCE, 30 avril 1996, P/S et P/S et Cornwall County Council, aff. C-13/94, Rec. p. I-2143

et J. RIDEAU, « Union européenne. Nature, valeurs et caractères généraux », Jurisclasseur Europe Traité, Fasc. 110, mis à jour en janvier 2015.

782 J. MOLINIER, « Principes généraux », Répertoire de droit européen, Dalloz, mis à jour en juin 2016, point

29.

783 Voir à ce sujet D. BLANCHARD, La constitutionnalisation de l’Union européenne, Apogée, Rennes, 2001,

p. 163. En tant qu’ils protègent les droits fondamentaux ils ont une valeur supérieure ou égale au droit primaire mais en tant que PGD il se retrouvent tant une situation inférieure au droit primaire.

reconnaissant des droits fondamentaux et des libertés fondamentales, paraissaient devoir être considérés comme assimilés au droit primaire de l'Union européenne. […] On peut malgré tout se demander s'ils n'ont pas une valeur supra constitutionnelle lorsqu'ils concernent des droits fondamentaux, en particulier lorsqu'ils s'inscrivent dans le champ des principes fondateurs ou désormais des valeurs fondatrices de l'Union européenne »784.

Quelle que soit leur valeur, les principes généraux du droit ont permis l'intégration informelle et sélective des exigences de la Convention EDH. La sélection que peut faire la Cour de justice dans les droits de la Convention EDH qu’elle protège par le biais des PGD démontre que l'outil permet une certaine autonomie.

2. La fonction d'autonomisation du droit de l'Union européenne

La juridiction de l’Union aurait pu utiliser des principes généraux du droit international, venant d'autres juges mais la Cour de justice a choisi de dégager des principes propres au droit de l'Union, afin de marquer sa spécificité785. D'ailleurs, « cette réserve à

l'égard des principes généraux de droit international inter-étatique semble avoir favorisé

[…] l'appel à la comparaison 'normative' sous la forme de principes généraux communs aux

droits des États membres »786. Ainsi, la découverte de PGD par le juge de l'Union correspond

à la fois à une nécessité pour répondre aux exigences des juridictions constitutionnelles nationales mais également à une opportunité afin de renforcer l'autonomie de l'Union européenne. Les principes généraux résultent « souvent de créations normatives

(pudiquement nommées, il est vrai, « découvertes », un vocable cherchant souvent à laisser à croire que tous ces principes étaient, en réalité, « déjà là » avant leur consécration normative) »787 . Dans ce cadre créatif, le juge opte pour certaines normes à découvrir,

détermine leur contenu, laissant ainsi transparaître une direction pour l'ordre juridique en question. Cette direction peut à nouveau traduire une politique jurisprudentielle, notamment

784 J. RIDEAU, « Union européenne. Nature, valeurs et caractères généraux », op. cit. Voir également L.

DUBOUIS, « Les principes généraux du droit communautaire, un instrument périmé de protection des droits fondamentaux ? », in Les mutations contemporaines du droit public. Mélanges en l'honneur de Benoît

Jeanneau, Dalloz, Paris, 2002, spéc. p. 81.

785 J. MOLINIER, « Principes généraux », Dalloz, Répertoire de droit européen, mis à jour en juin 2016, point

15.

786 R. TITIRIGA, La comparaison, technique essentielle du juge européen, L'Harmattan, Paris, 2011, p. 173. 787 Ibid.

lorsque l'on se « réfère au contenu de ces principes, on constate qu'ils constituent la

traduction d'une « éthique »788.

Ainsi, le juge de l'Union a reconnu peu de principes généraux en droit social, conformément à la retenue de l'Union européenne sur cet aspect des droits fondamentaux789.

Cette absence est également relative à la reconnaissance de sources limitées. La Convention EDH ne contient pas de droits sociaux et la Charte sociale européenne n'est pas ciblée comme source790. En se concentrant sur l'autonomie de l'ordre juridique de l'Union, la technique des

PGD permet au juge de saisir des droits fondamentaux en les adaptant ab initio à la nature particulière de l'Union européenne. Le juge de l'Union reste maître de ces principes, au contraire des dispositions de la Convention EDH ou encore des principes généraux de droit interne ou internationaux, qu'il aurait pu intégrer dans son raisonnement juridique. La Cour EDH a quant à elle choisi de reprendre ponctuellement les principes généraux internationaux ou de droit de l'Union mais n’a pas créé des principes spécifiques à la Convention EDH791,

sans doute en raison de la nature plus contraignante du texte l'instituant. Néanmoins, la Cour EDH défend également son ordre juridique car l'utilisation de principes généraux externe est conditionnée pour que « la référence ne soit pas incompatible avec sa spécificité et son

autonomie »792.

L'outil des PGD est ingénieux, excellent pour le juge, et manifeste la politique jurisprudentielle de la Cour de justice, permettant notamment la convergence avec la Convention EDH. Leur absence dans la jurisprudence post-traité de Lisbonne peut être inquiétante.

788 D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, LGDJ, Paris, 2015 (réédition, original de

1972), p. 88.

789 J. ILIOPOULOS-STRANGAS, « La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne face à la

protection constitutionnelle des droits sociaux dans les États membres », in J.-F. FLAUSS, Droits sociaux

et droit européen. Bilan et prospective de la protection normative, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 17. 790 P. RODIÈRE, Droit social de l'Union européenne, op. cit., p. 151.

791 Quelques rares mentions n'indiquent pas la source du principe général invoqué, voir K. GRABARCZYK, Les principes généraux dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, PUAM, Aix-

Marseille, 2008, p. 123, spéc. § 307 et 308.

792 G. COHEN-JONATHAN, « Le rôle des principes généraux dans l'interprétation et l'application de la

Convention européenne des droits de l'homme », in Mélanges en hommage à Louis Edmond Pettiti, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 167.

B. La dangereuse disparition des principes généraux du droit de l’Union

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