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L’émancipation limitée de la Cour de justice à l'espace de liberté, de sécurité et de justice de l'Union européenne

Section 1. Les techniques prétoriennes permettant de soutenir une convergence

A. L’émancipation limitée de la Cour de justice à l'espace de liberté, de sécurité et de justice de l'Union européenne

L'Union européenne a pour objet primordial l'instauration d'un marché intérieur. Rapidement, la question de la protection des travailleurs bénéficiant de la libre circulation a pu se poser mais sans trouver de réponse satisfaisante. De plus, avec la volonté d'étendre la libre circulation des travailleurs aux citoyens, donc à des entités non économiques, les

561 Voir par exemple D. WAELBROECK et T. BOMBOIS, « Des requérants « privilégiés » et des autres... À

propos de l'arrêt Inuit et de l'exigence de protection juridictionnelle effective des particuliers en droit européen », CDE, 2014, n° 1, p. 21. L'article retrace non seulement l'historique du recours en annulation et la jurisprudence y afférente mais s'intéresse également aux lacunes de l'approche de la Cour de justice comme l'absence d'utilisation des méthodes systémiques et téléologiques de l'article 263 TFUE.

562 C’est principalement la réunion de droits de différentes générations qui est innovant, y compris des droits

décisions politiques sont allées dans le sens d'un approfondissement de cette circulation jusqu'à la création d'un espace dit de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ), encadré par l'article 67 TFUE. Dans le traité de Lisbonne, l'ELSJ couvre à la fois des questions pénales, policières, de droit international privé et de droit des étrangers avec la politique d'asile et d'immigration. Les réglementations qui accompagnent cet espace affectent nécessairement les droits fondamentaux des individus, plus directement que les politiques économiques. Cette atteinte est régulièrement soulignée pour la politique d'asile et d'immigration, « le

respect des droits fondamentaux apparaît d'emblée […] comme un élément récurrent du cadre d'interprétation de la Cour »563. De vrais progrès sont réalisés au titre de la protection

des droits fondamentaux par l'Union européenne dans l'ELSJ (1) mais la protection des droits sociaux signe la faiblesse de l'émancipation de la Cour de justice (2).

1. La protection accrue par la Cour de justice des droits fondamentaux dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice

L'ELSJ comprend différentes réalités. En matière pénale, l'adoption de la décision- cadre relative au mandat d'arrêt européen564 , qui a entraîné de nombreuses questions

préjudicielles notamment soulevées par les juridictions constitutionnelles nationales565, a été

un premier pas important dans la réalisation de l’ELSJ. En effet, le mandat d'arrêt européen représente une progression sans précédent par rapport à l'extradition mais a également fait l'objet de modifications régulières566, et d'un contentieux assez important sur le terrain de la

protection des droits fondamentaux567. La Cour de justice a d'ailleurs appliqué au mandat

563 C. PICHERAL, « L'œuvre de la Cour de justice dans la politique européenne d'asile et d'immigration », RDUE, 2011, p. 117.

564 Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux

procédures de remise entre États membres, JOCE n° L 190, 18 juillet 2002, p. 1.

565 Voir par exemple le renvoi préjudiciel émanant du Tribunal constitutionnel espagnol : CJUE, Gde chbr., 26

février 2013, Melloni, aff. C-399/11, ECLI:EU:C:2013:107 ou celui du Conseil constitutionnel français : CJUE, 30 mai 2013, Jérémy F., aff. C-168/13 PPU, ECLI:EU:C:2013:358.

566 Décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009 portant modification des décisions-cadres

2002/584/JAI, 2005/214/JAI, 2006/783/JAI, 2008/909/JAI et 2008/947/JAI, renforçant les droits procéduraux des personnes et favorisant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions rendues en l’absence de la personne concernée lors du procès, JOUE n° L 81, 27 mars 2009, p. 24 ; directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, JOUE n° L 142, 1er juin 2012, p. 1 et directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, JOUE n° L 294, 6 novembre 2013, p. 1.

d'arrêt européen sa jurisprudence encadrant strictement les entraves aux libertés de circulation des marchandises, « une fois admis que la décision-cadre est bien une décision

d'harmonisation des droits nationaux, la Cour considère qu'aucune exigence nationale, fût- elle constitutionnelle, n'est opposable à une juridiction ayant émis un mandat »568. En cela,

la juridiction estime que le niveau de protection des droits fondamentaux prévu par l’Union européenne est suffisant. La démarche d'unification de jurisprudence des libertés de circulation avec l'ELSJ est pertinente pour une meilleure lisibilité du droit de l'Union mais elle peut aussi être critiquée. En effet, ne pas prendre en compte la dimension humaine ni les constitutions nationales potentiellement plus protectrices est aussi un défaut.

La Cour de justice a entrepris l'harmonisation de sa jurisprudence au sein des matières de l'ELSJ sur les questions de protection des droits fondamentaux. La juridiction a ainsi estimé que l’existence d’un défaut systémique dans un État membre, lié à la violation d’un droit fondamental, peut empêcher le transfert d'un demandeur d'asile569 , ainsi que

suspendre l'exécution d'un mandat d'arrêt européen570. La Cour de justice précise pour le

mandat d'arrêt européen qu'en « présence d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment

actualisés témoignant de l’existence de défaillances soit systémiques ou généralisées [...] l’autorité judiciaire d’exécution doit vérifier, de manière concrète et précise, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée par un mandat d’arrêt européen

[...] courra, en raison des conditions de sa détention dans cet État membre, un risque réel

de traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, en cas de remise audit État membre »571. La démarche est presque la même que dans l'arrêt N. S. de 2011572

rendu en matière de procédure de traitement d'une demande d'asile et à la suite de la position

eux : CJCE, 28 septembre 2006, Gasparini, aff. C-467/04, Rec. p. I-9199 ; CJCE, Gde chbr., 3 mai 2007,

Advocaten voor de Wereld, aff. C-303/05, Rec. p. I-3633 ; CJUE, Gde chbr., 26 février 2013, Melloni, aff.

C-399/11, ECLI:EU:C:2013:107 ; CJUE, Gde chbr., 27 mai 2014, Spasic, aff. C-129/14 PPU, ECLI:EU:C:2014:586 ou encore CJUE, Gde chbr., 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality, aff. C-216/18 PPU, ECLI:EU:C:2018:586.

568 C. HAGUENAU-MOIZARD, « Les bienfaits de la défiance mutuelle », Europe(s), droit(s) européen(s). Une passion d'universitaire. Liber Amicorum en l'honneur du Professeur Vlad Constantinesco, Bruylant,

Bruxelles, 2015, pp. 230 et s.

569 CJUE, Gde chbr., 21 décembre 2011, N. S., aff. jtes C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905.

570 CJUE, Gde chbr., 5 avril 2016, Pál Aranyosi et Robert Căldăraru, aff. jtes C-404/15 et C-659/15 PPU,

ECLI:EU:C:2016:198.Voir à ce sujet G. ANAGNOSTARAS, « Mutual confidence is not blind trust ! Fundamental rights protection and the execution of the European arrest warrant : Aranyosi and Caldararu »,

CMLR, 2016, n° 6, p. 1675. 571 Ibidem, point 104.

de la Cour EDH dans une situation similaire573 . Le juge de l'Union estime que pour

« permettre à l’Union et à ses États membres de respecter leurs obligations relatives à la

protection des droits fondamentaux des demandeurs d’asile, il incombe aux États membres

[...] de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’«État membre responsable» [...]

lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la charte »574 . Cette

harmonisation bienvenue va dans le sens de plus de cohérence dans l’application des différentes normes de l’ELSJ. Auparavant, l’asymétrie dans l’approche de ces règles avait été soulevée et critiquée575. En revanche, en mettant un frein à l’application automatique des

règles en question, la Cour de justice admet une certaine de défiance à l’encontre de la reconnaissance mutuelle576, et a fortiori une limitation de la confiance mutuelle577. Il a été

ainsi souligné que l'admission de cette défiance par le juge de l'Union avait pour objectif le respect des droits fondamentaux, option qui n'avait pas été retenue pour la coopération judiciaire avant l'arrêt Pál Aranyosi et Robert Căldăraru de 2016578. Cette harmonisation

peut également être constatée, mais dans un sens plus négatif, au sujet du refus du droit d'être entendu dans la procédure du mandat d'arrêt européen579, dans le cadre d'une décision de

573 Voir Cour EDH, Gde chbr., 21 janvier 2011, M. S. S., req. n° 30696/09.

574 CJUE, Gde chbr., 21 décembre 2011, N. S., aff. jtes C-411/10 et C-493/10, Rec. p. I-13905, spéc. point 94. 575 C. HAGUENAU-MOIZARD, « Les bienfaits de la défiance mutuelle », Europe(s), droit(s) européen(s).

Une passion d'universitaire. Liber Amicorum en l'honneur du Professeur Vlad Constantinesco, Bruylant,

Bruxelles, 2015, pp. 230 et s.

576 Ibidem.

577 Voir par exemple la communication de la Commission au Parlement européen sur la reconnaissance

mutuelle des décisions de justice en matière pénale et le renforcement de la confiance mutuelle entre les États membres du 19 mai 2005, COM(2005) 195 final ; A. MARMISSE D'ABBADIE D'ARRAST, « Coopération et harmonisation (matière pénale) », Répertoire droit européen, Dalloz, mis à jour en avril 2016, spéc. point 142 ou encore H. LABAYLE et J.-S. BERGÉ, « Les principes de l'Espace de liberté, de sécurité et de justice », RTDE, 2006, n° 3, p. 589.

578 CJUE, Gde chbr., 5 avril 2016, Pál Aranyosi et Robert Căldăraru, aff. jtes C-404/15 et C-659/15 PPU,

ECLI:EU:C:2016:198.

579 CJUE, Gde chbr., 29 janvier 2013, Radu, aff. C-396/11, ECLI:EU:C:2013:39, point 43 (l'argument est fondé

sur les articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux, concernant respectivement le droit à̀ un recours effectif et à accéder à̀ un tribunal impartial et la présomption d'innocence et droits de la défense) : « la décision-cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens que les autorités judiciaires d’exécution ne

peuvent pas refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales au motif que la personne recherchée n’a pas été entendue dans l’État membre d’émission avant la délivrance de ce mandat d’arrêt. ».

retour580 ou encore pour le droit d'un enfant d'être entendu en cas de déplacement illicite581.

Le droit d'être entendu est certes affirmé à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux mais ses contours restent flous. Mis à part ce cas spécifique, la Cour de justice semble utiliser « son pouvoir d'interprétation dans le sens d'une conception autonome des droits

fondamentaux, dans les hypothèses où elle veut s'affirmer comme juridiction de protection des droits de l'homme »582 . La Cour de justice s'émancipe donc de son rôle de juge

économique et technique pour s'intéresser à des questions de protection des droits fondamentaux, car les matières de l'ELSJ affectent directement les libertés individuelles. En revanche, les droits sociaux semblent ne pas bénéficier de cette émancipation.

2. L'absence d'émancipation en matière de droits sociaux fondamentaux

Les deux juges européens sont confrontés au même défaut : les droits sociaux n'ont pas vocation à être protégés ou le sont difficilement. La Convention EDH ne contient aucune protection spécifique des travailleurs car cet aspect a été traité postérieurement dans la Charte sociale européenne de 1961583, ce qui n'a pas empêché la Cour EDH de s'y intéresser

en reconnaissant par exemple la liberté syndicale584.

580 CJUE, 5 novembre 2014, Mukarubega, aff. C-166/13, ECLI:EU:C:2014:2336, point 82 « dans des circonstances telles que celles en cause au principal, le droit d’être entendu dans toute procédure, tel qu’il s’applique dans le cadre de la directive 2008/115 [...] doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité nationale n’entende pas le ressortissant d’un pays tiers spécifiquement au sujet d’une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l’issue d’une procédure ayant pleinement respecté son droit d’être entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour. »

581 CJUE, 22 décembre 2010, Aguirre Zarraga, aff. C-491/10 PPU, Rec. p. I-14247, point 65 : « Il s’ensuit que, tel qu’il est prévu à l’article 24 de la charte des droits fondamentaux et à l’article 42, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), du règlement n° 2201/2003, le droit de l’enfant d’être entendu n’exige pas qu’une audition devant le juge de l’État membre d’origine soit nécessairement tenue, mais impose que soient mises à la disposition de cet enfant les procédures et conditions légales permettant à celui-ci d’exprimer librement son opinion et que celle-ci soit recueillie par le juge. »

582 F. BERROD, « L'autonomie de l'Union européenne est-elle soluble dans les droits de l'homme ? », Europe(s), droit(s) européen(s). Une passion d'universitaire. Liber Amicorum en l'honneur du Professeur Vlad Constantinesco, Bruylant, Bruxelles, 2015, p. 65, spéc p. 78.

583 Voir C. MARZO, « Controverses doctrinales quant à la protection des droits sociaux par la Cour européenne

des droits de l'homme », CDE, 2010, n° 1-2, p. 95 : « les États ont choisi de consacrer ce qui était urgent

face au péril des dictatures, donc les droits civils et politiques ».

584 Cour EDH, Gde chbr., 12 novembre 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, req. n° 34503/97. Voir également

F. SUDRE, « La cohérence issue de la jurisprudence européenne des droits de l'homme. L'équivalence dans tous ses états », in Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et Convention européenne des

Dans l'Union européenne, il faut souligner un double paradoxe. D'une part, le premier texte consacrant une protection de droits fondamentaux est la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989585, alors que ce sont pourtant les droits

sociaux qui sont rejetés par certains États membres. Le texte de 1989 est dépourvu de valeur contraignante mais peut servir de guide dans l'interprétation du droit de l'Union586, le texte

incite d'ailleurs au développement d'une action normative de ces droits587. Il faut préciser

que le Royaume-Uni n'avait pas adopté la Charte communautaire et refusé, avec la Pologne, la justiciabilité des droits du titre IV « Solidarité » de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui contient les principes sociaux588, démontrant une absence d'unité sur

la question. L'article 151 TFUE mentionne toujours les deux textes européens : « L'Union et

les États membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 ». La Charte

communautaire contient « des droits sociaux fondamentaux des travailleurs »589 et « se

présente à la fois comme une déclaration de principes et de droits sociaux minimaux et comme une invitation adressée aux États membres et à la Commission à prendre les initiatives nécessaires à leur mise en œuvre »590. Néanmoins, celle-ci a été très peu valorisée

même si elle a effectivement pu influer sur l'action normative, « ce n'était qu'un geste

politique, symbolique »591.

D'autre part, les droits sociaux ont vocation à protéger le travailleur, valeur économique donc intéressante pour le marché intérieur dès le début de la construction de l'Union. C'est là le second paradoxe à relever, harmoniser les droits sociaux permet d'éviter que les États membres n'opposent des réglementations nationales aux libertés de circulation et favorise le marché intérieur, « plus l'on imposera le respect de certains seuils minima de

585 Voir également les développements de P. RODIÈRE, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, Issy-les-

Moulineaux, 2014, pp. 162 et s. sur le contenu de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux.

586 M. SCHMITT, « Droit du travail de l'Union européenne », Répertoire de droit du travail, Dalloz, mis à jour

juin 2014.

587 P. RODIÈRE, Droit social de l'Union européenne, op. cit., p. 156. Cette incitation n'apparaît d'ailleurs pas

dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

588 Voir le protocole n° 30 au traité de Lisbonne.

589 M. SCHMITT, « Droit du travail de l'Union européenne », op. cit. 590 Ibidem.

591 A. FABRE, « La « fondamentalisation » des droits sociaux en droit de l'Union européenne », in La protection des droits fondamentaux dans l'Union européenne. Entre évolution et permanence, R. TINIÈRE

droits sociaux à l'ensemble des États, et plus l'on évitera que les réglementations nationales qui visent la protection des intérêts sociaux soient soumises à l'épreuve du marché »592 .

Pourtant, il a été difficile d'adopter des normes dérivées en droit du travail en raison de l'opposition des États et de leur volonté de contrôler ce pan de la législation pour jouer sur leur attractivité593. C'est d'ailleurs ce qui a conduit à distinguer au sein de la Charte des droits

fondamentaux les principes des droits594. La Charte des droits fondamentaux étant un texte

de compromis entre les États membres, certains droits n’ont pas fait l’objet de consensus. Pour les maintenir dans un seul texte, les rédacteurs ont opté pour une distinction entre droits et principes, surtout visible dans les explications du Praesidium595. On retrouve la référence

à̀ cette distinction dans l’article 51 de la Charte et au paragraphe 5 de l’article 52, ajouté au moment de la signature du traité de Lisbonne, qui indique que l'invocation des principes « devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de leurs

actes ». Les explications du Praesidium précisent qu’il faut un acte législatif ou exécutif

pour que ces droits soient applicables et que c’est cet acte qui sera contrôlé et interprété au regard du principe596. Ainsi, il faut qu’il existe une norme intermédiaire, de droit dérivé, afin

d’invoquer ces principes. Les explications du Praesidium ne fournissent que quelques exemples de principes, comme le droit des personnes âgées (article 25) et de l'intégration des personnes handicapées (article 26). Il faut ainsi aller rechercher les positions des juges de la Cour597, voire plutôt celles des avocats généraux, pour comprendre ce qui relève des

principes comme pour la reconnaissance du droit aux congés annuels payés, « conçu comme

un « droit fondamental », ce qui exclut d’office tout rattachement aux « principes »598 .

592 O. DE SCHUTTER, « La garantie des droits et principes sociaux dans la Charte des droits fondamentaux

de l'Union européenne », in La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Son apport à la

protection des droits de l'homme en Europe, J.-Y. CARLIER et O. DE SCHUTTER (dir.), Bruylant,

Bruxelles, 2002, p. 127.

593 Voir A. GRUBER, « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les droits sociaux », LPA,

n° 257, 2010, p. 6.

594 Les développements de ce point sont inspirés d'un écrit réalisé précédemment : T. RACHO, « L'invocation

de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne par les juges nationaux », ADUE, 2012, p. 277.

595 Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux, JOUE n° C 303, 14 décembre 2007, p. 2. Au

sujet de leur valeur juridique, voir E. DECAUX, « L'Europe a ses miroirs », Droits fondamentaux, n° 1, 2001, p. 47.

596Voir également les développements de P. RODIÈRE, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, Issy-les-

Moulineaux, 2014, pp. 159 et s. au sujet des explications du Praesidium et de la distinction entre droits et principes.

597 O. DE SCHUTTER, « La garantie des droits et principes sociaux dans la Charte des droits fondamentaux

de l'Union européenne », in J.-Y. CARLIER et O. DE SCHUTTER (dir.), La Charte des droits

fondamentaux de l'Union européenne. Son apport à la protection des droits de l'homme en Europe, Bruylant,

Bruxelles, 2002, p. 118.

598 Point 76 des conclusions de l’avocat général V. TRSTENJAK du 8 septembre 2011, sous l’affaire C-282/10, Maribel Dominguez, ECLI:EU:C:2011:559. Voir également M. AFROUKH, « La notion de droits

Certaines dispositions seraient même mixtes, incluant des droits et des principes, comme l'article 34 de la Charte relatif à la sécurité sociale et l'aide sociale599. Cette différenciation

amoindrit quelque peu la reconnaissance des droits sociaux. Les principes ne fixent que des objectifs à atteindre par les législateurs nationaux et le législateur européen. Cette idée est d’ailleurs à la base du socle européen des droits sociaux proclamé en novembre 2017, qui propose une liste de 20 principes que les États membres et l’Union sont supposés rendre effectifs600. Initialement, la Charte des droits fondamentaux, proclamée lors du sommet de

Nice en 2000, prévoyait que les principes étaient nécessairement mis en œuvre par les autorités nationales et les institutions de l’Union pour être justiciables tandis que le texte remanié, entré en vigueur avec le traité de Lisbonne, ne souligne plus cette obligation mais

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