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La notion de droits fondamentau

Les droits fondamentaux sont avant tout des droits subjectifs, c’est-à-dire une prérogative individuelle que la personne-sujet du droit tire de la règle de droit objectif88. La

notion est utilisée en premier lieu dans la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 dès le Préambule, ainsi que dans la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, qui mentionnent toutes deux « les droits fondamentaux de l’homme ». Le terme n’avait alors probablement pas de réalité juridique concrète mais renvoyait à un sens commun, à quelque chose d’essentiel89. Ensuite, la notion a été reprise dans le droit allemand,

avec la Loi fondamentale de 1949 et les premiers articles du texte constitutionnel qui protègent les droits fondamentaux. « Originaire du droit allemand, la notion de droit

fondamental a fait l’objet d’un intérêt croissant dans la doctrine française à partir des années quatre-vingt-dix »90. En effet, en France, la notion de droits fondamentaux n’est pas

présente dans la Constitution mais apparaît dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel en 199091, et a intéressé la doctrine dès 197592. Dans l’Union européenne, le terme est utilisé

dès l’arrêt Storck de 195993, dans le sens d’un rejet du contrôle du respect de ces droits,

puisque l’Union européenne avait alors pour objectif unique l’intégration économique. Ils

87 Voir par exemple pour les droits fondamentaux nationaux : Cour EDH, Gde chbr., 12 juin 2014, Fernández Martínez c/ Espagne, req. n° 56030/07, points 43et s., au sujet de l’Union européenne : Cour EDH, Gde chbr., 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse, req. n° 29217/12, point 88 et pour les droits fondamentaux de la Convention EDH : Cour EDH, Gde chbr., 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne, req. n° 34044/96, 35532/97 et 44801/98, point 87.

88 J.-L. AUBERT et É. SAVAUX, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Dalloz, Paris,

2016, 16e éd., p. 6.

89 E. DREYER, « La fonction des droits fondamentaux dans l’ordre juridique », Recueil Dalloz, 2006, p. 748. 90 C. GAUTHIER, S. PLATON et D. SZYMCZAK, Droit européen des droits de l’homme, Sirey, 2017, p. 7. 91 Cons. Constit., 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé,

décision n° 89-269 DC, point 33, première utilisation de « droits fondamentaux de valeur constitutionnelle ».

92 Doctrinalement introduit avec M. FROMONT, « Les droits fondamentaux dans l’ordre juridique de la

République Fédérale Allemande », in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Éditions Cujas, Paris, 1975, p. 49. Voir L. FAVOREU, P. GAÏA, R. GHEVOTIAN, et alii, Droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 2017, 20e éd., p. 917.

apparaissent ensuite dans le traité d’Amsterdam, à l’article F, mais en tant que « droits de

l’homme et libertés fondamentales ». C’est par le traité de Maastricht que l’expression exacte

est utilisée « L’Union respecte les droits fondamentaux », toujours dans l’article F. Elle semble codifier ce qui existait auparavant, « il s'agissait pour l'essentiel de répondre aux

critiques et non de bâtir un régime nouveau. L'apparition d'une clause relative aux droits fondamentaux dans le traité sur l'Union européenne s'apparente alors à une opération de constitutionnalisation de l'existant »94. La Convention EDH ne mentionne pas les droits

fondamentaux mais les « droits de l’homme et les libertés fondamentales » tandis que la Cour EDH utilise la notion dans sa jurisprudence dès les années 9095.

Les sources de ces droits n’indiquent néanmoins pas ce que sont les droits fondamentaux. Certains auteurs ont proposé des critères pour éclairer la notion. Ainsi, le droit serait fondamental pour plusieurs raisons : car son destinataire est l’Homme ; au vu de sa position dans la hiérarchie des normes ; car il a pour fonction de déterminer l’identité d’un ordre juridique et enfin la dénomination comprend une démarche universaliste parce que les droits fondamentaux sont utilisés dans différents systèmes juridiques96. Cette vision permet

d’associer les deux courants de pensée doctrinale française sur le sujet des droits fondamentaux : « une première conception, foncièrement positiviste, est défendue par Louis

Favoreu et l’école d’Aix. Un droit fondamental est une permission juridique consacrée par une norme de degré supérieur, Constitution et/ou traité, et garantie par l’existence d’un juge que les titulaires de ce droit peuvent saisir. Il se caractérise donc par son rang supra- législatif et sa justiciabilité. Un second courant, d’inspiration jusnaturaliste, insiste quant à lui sur la substance des droits fondamentaux. Il voit dans leur caractère fondamentale une propriété constitutive de ces droits »97. Les quatre critères énoncés peuvent être triés en deux

catégories : l’essentialisme des droits fondamentaux et leur détermination selon leur fonction. L’objectif des droits fondamentaux est « d’orienter l’organisation de la société, et

principalement du Droit, comme système d’organisation sociale, conformément à la dignité

94 H. LABAYLE, « Droits fondamentaux et droit européen », AJDA, 1998, numéro spécial, p. 75.

95 Voir par exemple Cour EDH, Gde chbr., 18 février 1999, Waite et Kennedy c/ Allemagne, req. n° 26083/94,

point 67 ; Cour EDH, Gde chbr., 29 avril 1999, Chassagnou c/ France, req. n° 25088/94, 28331/95 et 28443/95, point 75.

96 V. CHAMPEIL-DESPLATS, « La notion de droit « fondamental » et le droit constitutionnel français », D.,

1995, p. 323.

97 O. DORD, « Droits fondamentaux », in Dictionnaire des droits de l’homme, J.

de la personne, pour qu’elle puisse réaliser les contenus qu’identifie cette dignité »98.

Au terme de l’essentialisme de ces droits, autrement dit substantiellement, ce sont les droits qui symbolisent les valeurs portées par les États. Ils ont pour point commun de protéger la dignité humaine, « les droits fondamentaux ont ainsi pour objet d’éviter qu’une

personne perde son statut et soit ravalée au rang de chose »99. La dignité humaine est la

référence qui donne tout son sens aux autres droits fondamentaux100. Son inscription à

l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est logique bien

qu’elle ait été l’un des points les plus discutés par la Convention chargée d’élaborer la Charte101. Même si la Convention EDH ne mentionne pas la dignité humaine – peut-être en

raison de son aspect abstrait102 – elle est toutefois à la source de tous les droits qui y sont

protégés103. La Cour EDH mobilise également la notion, notamment en lien avec l’article 3

de la Convention EDH104. Cette absence du texte de la Convention EDH s’expliquerait par

une vision subsidiaire de la dignité humaine « précisément parce que le principe de dignité

est le premier principe qui fonde tous les autres, il doit demeurer subsidiaire, c’est-à-dire n’être utilisé que lorsque n’est mobilisable aucune autre notion ou principe, et ce sous peine de voir tout le droit se dissoudre dans la dignité »105. La fondamentalité renvoie au caractère

essentiel d’un droit pour un individu106. En tant que droits subjectifs, les droits fondamentaux

sont au centre des revendications individuelles. Ce caractère essentiel pose la question de la

98 G. PECES-BARBA, « De la fonction des droits fondamentaux », in Le patrimoine constitutionnel européen,

Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1996, p. 210.

99 E. DREYER, « La fonction des droits fondamentaux dans l’ordre juridique », Recueil Dalloz, 2006, p. 748. 100 P. LÖWENTHAL, « Ambiguïtés des droits de l’homme », Droits fondamentaux, 2008-2009, n° 7, p. 2. 101 A. VORINO, « La Cour de justice et les droits fondamentaux depuis la proclamation de la Charte », in Une

communauté de droit. Fetschrift für Gil Carlos Rodríguez Iglesias, BWV, Berlin, 2003, p. 115.

102 C. PICHERAL, « L’expression jurisprudentielle de la subsidiarité par la marge nationale d’appréciation »,

in le principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne des droits de l’homme, F. SUDRE (dir.), Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 101 : « Si abstrait que soit le concept, la dignité humaine

apparaît comme une valeur trop fondamentale pour être assujettie aux conceptions nationales : son respect tend donc à s’imposer comme un « impératif catégorique », qui disqualifie, si l’on peut dire, l’argument de proximité ».

103 Voir à ce sujet C. DUPRÉ, « Article 1 – Human Dignity », in The EU Charter of Fundamental Rights. A commentary, S. PEERS, T. HERVEY, J. KENNER et alii (dir.), p. 8. L’absence de dignité humaine dans le

texte de la Convention EDH « led to a diffuse protection of human dignity by the ECtHR, whereby almost

every ECHR right can become dignity-related ».

104 Voir par exemple Cour EDH, Gde chbr., 4 juillet 2006, Ramirez Sanchez c/ France, req. n° 59450/00, point

119 ; Cour EDH, Gde chbr., 1er juin 2010, Gäfgen c/ Allemagne, req. n° 22978/05, point 120, « la dignité humaine, qui est aussi au cœur de l’article 3 de la Convention » ou encore Cour EDH, Gde chbr., 21 janvier

2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, req. n° 30696/09, point 220.

105 M. FABRE-MAGNAN, « Dignité humaine », in Dictionnaire des droits de l’homme, J.

ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN, J.-P MARGUÉNAUD, et alii (dir.), PUF, Paris, 2008, p. 287.

cohérence de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui comprend un nombre non négligeable de droits « fondamentaux ». Certains de ces droits ne sont peut-être pas essentiels mais ils font partie de la Charte des « droits fondamentaux ». En réalité, la Charte comprend des droits, des libertés et des principes107. Par exemple, la liberté des arts

et des sciences de l’article 13, le droit d’accès à un service de placement de l’article 29 ou encore la protection des consommateurs prévue à l’article 38 ne semblent pas essentiels. Pour certains, les droits fondamentaux sont les plus généraux, ceux qui fondent les autres et sont ainsi à promouvoir108, se rapprochant plus de la liste de la Convention EDH. Seule la

considération de leur importance, de leur essentialité permet de déterminer leur caractère fondamental109. L’inscription des droits fondamentaux dans le droit positif traduit des choix

sociétaux opérés et révèle un paradoxe dans la considération des droits fondamentaux « entre

leur fonction identitaire, liée à la diversité des cultures juridiques, et leur fonction universalisante, voire humanisante, qui tend sinon vers l’uniformité, du moins vers un rapprochement, une harmonisation »110. Les droits fondamentaux découverts par le biais des

principes généraux du droit de l’Union incarnent cette contradiction puisque le juge reconnaît des droits qui préexistaient tout en leur offrant un fondement soit national, au titre des traditions constitutionnelles communes des États membres, soit européen en s’appuyant sur la Convention EDH. Si l’on considère la cinquantaine de droits contenus dans la Charte comme fondamentaux, les domaines essentiels qu’il faut protéger deviennent très – trop – nombreux. Cependant, la Charte a le mérite de s’être adaptée aux besoins, probablement essentiels, de l’époque actuelle. « La diversité des droits fondamentaux explique à la fois le

succès de cette notion et le risque de dilution qui la menace. Au plan quantitatif, les libertés proclamées par les Constitutions et les traités sont pléthoriques. Sous couvert d’actualiser ces textes, l’activisme des juges accroît encore leur nombre. Or, lorsque tout devient fondamental, rien ne l’est plus vraiment […] L’excès de fondamentalité révèle en définitive

107 Pour la distinction droits et principes, voir l’article 52 § 5 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne « Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en

œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l'Union, et par des actes des États membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes ». Voir à ce sujet R. TINIÈRE, « L’invocabilité des principes de la Charte des

droits fondamentaux dans les litiges horizontaux », RDLF, 2014, chron. n° 14.

108 P. LÖWENTHAL, « Ambiguïtés des droits de l’homme », Droits fondamentaux, 2008-2009, n° 7, p. 18. 109 S. HENNETTE-VAUCHEZ et D. ROMAN, Droits de l’homme et libertés fondamentales, Dalloz,

Hypercours, 2017, 3e éd., p. 13.

110 M. DELMAS-MARTY, « Avant-propos », in Les droits fondamentaux : charnières entre ordres et systèmes juridiques, É. DUBOUT et S. TOUZÉ (dir.), Pedone, Paris, 2010, p. 6.

le caractère relatif des droits fondamentaux : à l’instar des droits ordinaires, ils ne sont pas absolus et doivent être conciliés avec d’autres droits fondamentaux au contenu opposé »111.

Enfin, le caractère essentiel de ces droits ne signifie pas pour autant qu’ils soient absolus, puisque la grande majorité des droits fondamentaux peut être limitée, selon des conditions précisées dans les deux textes européens. Par exemple, l’article 52 de la Charte prévoit que les limitations aux droits énoncés doivent être prévues par la loi, respecter le contenu essentiel de ces droits et le principe de proportionnalité. L’essentialité semble préservée tout en aménageant une certaine souplesse. La relativité des droits fondamentaux est un critère à prendre également en compte112 , même si une poignée de droit est désignée comme

intangible, au sens de l’article 15 de la Convention EDH, ou absolue, au sens de la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Les autres critères déterminant le droit fondamental se situent sur un terrain formel, comprenant la fonction de ces droits. Ainsi, les droits sont considérés comme fondamentaux en raison de leur position dans la hiérarchie des normes. Ce sont les droits protégés au niveau constitutionnel et/ou au niveau européen et international113. Cette position les place hors de

portée de toute modification114. C’est d’ailleurs dans le domaine des droits fondamentaux

que « certaines constitutions nationales imposent de tenir compte du droit international,

voire autorisent à s’inspirer de droits nationaux étrangers »115. Ainsi, le caractère européen,

probablement plus qu’international, paraît jouer en faveur de la reconnaissance de la notion, ce qui peut entraîner la constatation d’un « européocentrisme » des droits fondamentaux116.

Cet aspect supranational s’explique notamment car les droits désignés comme fondamentaux sont utilisés dans le cadre de rapports de systèmes et participent aux différents dialogues entre les juges. « Depuis l'arrêt Solange I de la Cour constitutionnelle allemande, les droits

fondamentaux constituent un des thèmes récurrents des débats sur les rapports de système. Le dialogue qui s'est établi à̀ ce propos n'est pas seulement un dialogue entre juges, qu'il

111 J. O. DORD, « Droits fondamentaux », in Dictionnaire des droits de l’homme, J.

ANDRIANTSIMBAZOVINA, H. GAUDIN, J.-P MARGUÉNAUD, et alii (dir.), PUF, Paris, 2008, p. 335.

112 E. PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA, 1998, n° spécial, p. 6.

113 Voir L. FAVOREU, P. GAÏA, R. GHEVOTIAN, et alii, Droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 2017, 20e éd.,

p. 918.

114 Ibid., p. 922.

115 É. DUBOUT et S. TOUZÉ, « La fonction des droits fondamentaux dans les rapports entre ordres et systèmes

juridiques », in Les droits fondamentaux : charnières entre ordres et systèmes juridiques, É. DUBOUT et S. TOUZÉ (dir.), Pedone, Paris, 2010, p. 12.

116 A. BERRAMDANE, « Considérations sur les perspectives de protection des droits fondamentaux dans

s'agisse des tribunaux nationaux, de la Cour de justice de l'Union ou de la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi un dialogue entre les deux principales organisations européennes que sont le Conseil de l'Europe et l'Union européenne »117 . Ces droits

fondamentaux ont facilité les discussions entre les ordres internes et européens, « longtemps

indifférentes, parfois conflictuelles, les relations entre droit interne et droit européen ont trouvé une occasion remarquable de convergence autour de la protection des droits fondamentaux »118. Ainsi, les droits fondamentaux ont une fonction de jonction119, avec un

« aspect « unificateur » qui s’avère indispensable pour traiter de l’enchevêtrement des

niveaux de protection »120. Ils sont en effet particulièrement utiles et utilisés dans le cadre

des rapports entre ordres juridiques, en tant que « droit des rapports entre droits »121. Cette

approche technique sert également à différencier les droits fondamentaux d’autres expressions qui s’en rapprochent.

B. Droits fondamentaux, droits de l’homme, libertés fondamentales et

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