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B. Du système à l’ordre juridique

II. Un système européen

La première difficulté à envisager concerne l’espace géographique du système, qui pourrait même se révéler être un obstacle à l’identification de celui-ci67. En effet, les deux

organisations européennes considérées, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, n’ont pas connu les mêmes extensions. Les dix membres fondateurs du Conseil de l’Europe en 1949 – Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède – sont en nombre plus réduits en 1957 pour signer le traité de Rome – Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas. L’Allemagne ne fait pas partie des membres fondateurs du Conseil de l’Europe en raison de sa situation particulière à la suite de la seconde guerre mondiale mais le rejoint dès le 13 juillet 1950, après la Grèce, l’Islande, la Turquie et l’Allemagne.

Dès les débuts du Conseil de l’Europe, avant la création de la Communauté économique européenne, la dimension géographique européenne comprend la Turquie68, et

ce afin d’éviter son rattachement au bloc de l’Est, impliquant une vision assez large de

65 J.-P. COSTA, « La Cour européenne des droits de l’homme : vers un ordre juridique européen ? », Mélanges en hommage à Louis-Edmond PETTITI, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 197

66 T. GRÜNDLER, « La protection des droits sociaux par le Comité européen : entre réticence des États et

indifférence de l'Union européenne », RTDH, 2012, n° 89, p. 128.

67 Voir infra, Partie 1, Titre 2, Chapitre 1.

l’Europe. La vision géographique est de nouveau brouillée avec la chute des blocs et l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe en 1996. En effet, l’organisation européenne souhaite alors réunir une Europe telle qu’elle existait avant la guerre froide. Toutefois, les deux blocs ont évolué séparément et ne partagent plus une histoire commune, ce qui peut expliquer certaines difficultés actuelles69. In fine, la vision géographique de l’organisation

semble surtout être dictée par la volonté des États membres du Conseil de l’Europe70. Ce

n’est pas la version que propose l’Union européenne, qui restreint davantage son territoire géographique, comme le montrent les difficultés de négociations d’adhésion avec la Turquie.

Malgré une extension géographique plus importante du côté du Conseil de l’Europe, c’est l’Union européenne qui s’est imposée juridiquement, notamment en raison de la conception d’intégration de l’organisation, opposée à la logique de coopération du Conseil de l’Europe. Il y a une certaine déception dans les réalisations du Conseil de l’Europe, déception visible dès les premières années de l’organisation. « Pour Robert Schuman et de

nombreux européistes fédéralistes, la création de cette nouvelle organisation est un demi- échec. Ils vont très vite s’en démarquer avec notamment la spectaculaire démission de Paul- Henri Spaak (à la fois Premier ministre et ministre des Affaires étrangères belge lors de la création du Conseil de l’Europe) de la présidence de l’Assemblée consultative, pour s’impliquer dans le lancement de la CECA, sur les plans de Jean Monnet, alors commissaire au Plan du gouvernement français »71. En effet, le Conseil de l’Europe est clairement limité

par rapport à l’Union européenne, son budget est inférieur et ses organes possèdent des pouvoirs plus réduits. Par exemple, les normes de l’Assemblée parlementaire relèvent de la

soft law alors que les institutions de l’Union peuvent être à l’origine de normes

contraignantes72. Cependant, le Conseil de l’Europe réussi à s’inscrire dans la durée avec

des avancées majeures dans le domaine des droits de l’homme, par les conventions proposées et par les entités qui y sont rattachées, que ce soit la Cour EDH, la Commission de Venise, ou encore le Commissaire aux droits de l’homme. En revanche, le Conseil de l’Europe se cantonne à son domaine initial : les droits de l’homme, et ne connaît pas une

69 P.-H. IMBERT, « Le Conseil de l’Europe. 60 ans d’indifférence respectueuse », AFRI, 2010, p. 440. 70 T. COURCELLE, « Le Conseil de l’Europe et ses limites », Hérodote, 2005, n° 3, p. 224.

71 Ibidem.

72 Voir par exemple à ce sujet : M. AILINCAI, « La soft law est-elle l’avenir des droits fondamentaux ? », RDLF, 2017, chron. n° 20, dossier spécial « Le droit des libertés en question(s) : colloque des 5 ans de la

expansion à l’image de l’Union européenne, qui a dépassé le plan purement économique. « Ces deux organisations ont des logiques complémentaires et se situent toutes deux dans la

dynamique institutionnelle de l'intégration européenne, qui trouve sa source dans l'espoir de plusieurs membres du congrès de La Haye en 1948 de créer les « États-Unis d'Europe », sur la base d'une communauté culturelle et spirituelle »73. L’existence de liens formalisés entre

les deux organisations, par le biais d’une adhésion de l’une des organisations à l’autre, profiterait probablement plus au Conseil de l’Europe qu’à l’Union européenne, notamment en termes de force contraignante. D’ailleurs, seule une adhésion de l’Union au Conseil de l’Europe pourrait exister et non l’inverse, au vu des exigences d’intégration de l’Union européenne. Néanmoins, les décisionnaires politiques européens ne se sont penchés que sur la possibilité d’une adhésion de l’Union européenne à la Convention EDH et non au Conseil de l’Europe.

En l’absence de liens formels, les deux organisations européennes ne s’ignorent pas pour autant. Dans un protocole annexé au traité sur la Communauté européenne du charbon et de l’acier, signé le 18 avril 1951, il est prévu que le président du Parlement européen rende un rapport annuel à destination de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Cependant, cette pratique se termine dès 1969, remplacée par la seule transmission du rapport annuel d'activité du Parlement européen et cette action ne perdure que jusqu’en 197574. Cette même année, un bureau de liaison du Conseil de l’Europe s’installe à Bruxelles,

offrant une certaine permanence des liens entre les deux organisations européennes. Les rapports entre les deux organisations sont envisagés explicitement dans le traité de Lisbonne75 . Dans le cadre des négociations pour l’adhésion de l’Union européenne à la

Convention EDH prévue par le traité de Lisbonne, un groupe informel s’est spécifiquement mis en place dès 2010, comprenant des représentants de la Commission européenne et du Comité directeur pour les droits de l’Homme du Comité des ministres (CDDH). Le Groupe de travail informel en 2013 appelé CDDH-UE, ayant pour mandat d’aboutir à un accord

73 P. VÉRON, « La coopération entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe », Les relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. Complémentarité ou Concurrence ?, F. BERROD et B.

WASSENBERG (dir.), L'Harmattan, 2016, p. 75.

74 P. EVANS et P. SILK, Assemblée parlementaire : Pratique et procédure, Éditions du Conseil de l'Europe,

Strasbourg, 2012, p. 357.

75 Article 220 TFUE : « L'Union établit toute coopération utile avec les organes des Nations unies et de leurs institutions spécialisées, le Conseil de l'Europe, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l'Organisation de coopération et de développement économiques ». Dans sa version avant Lisbonne, voir

d’adhésion, était composé de 14 experts d’États membres du Conseil de l'Europe (7 d’États membres de l’Union européenne et 7 d’États qui n’en font pas partie). Le projet élaboré par ce groupe informel a ensuite été rejeté par la Cour de justice dans son avis 2/13 de 201476,

ce qui démontre que l’existence d’un accord politique n’est pas suffisante pour concrétiser l’adhésion de l’Union à la Convention EDH. En effet, la Cour de justice a soulevé des difficultés juridiques qui paraissent insurmontables, au contraire de ce qui avait été estimé : « les "obstacles juridiques" évoqués sont des questions techniques aisées à résoudre s'il y a

une volonté politique »77.

Ainsi, les deux organisations œuvrent sur un territoire européen géographiquement asymétrique avec des fonctions a priori complémentaires mais un mode de fonctionnement différent. Des liens ont été rapidement mis en place pour assurer une communication entre les deux organisations européennes. Les dissemblances paraissent nombreuses mais l’angle d’approche qui est commun, les droits fondamentaux, suffit pour considérer qu’il existe un système européen de protection des droits fondamentaux. Il faut d’ailleurs préciser que l’expression « système européen de protection des droits fondamentaux » a déjà été utilisée, soit pour désigner la Convention EDH et sa juridiction78, soit pour la protection accordée par

l’Union européenne79, soit pour la jonction des deux80.

76 CJUE, Ass. plén., 18 décembre 2014, avis 2/13, Projet d’accord sur l'adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

ECLI:EU:C:2014:2454.

77 E. DECAUX, « L'Europe a ses miroirs », Droits fondamentaux, n° 1, 2001, p. 61

78 Voir par exemple S. HENNETTE-VAUCHEZ et D. ROMAN, Droits de l’homme et libertés fondamentales,

Dalloz, Hypercours, 2017, 3e éd., p. 151 ou encore J.-P. COSTA, Des juges pour la liberté, Dalloz, Paris,

2013, p. 20.

79 F. PICOD, « Pour un développement durable des droits fondamentaux de l’Union européenne », Chemins d’Europe, mélanges en l’honneur de Jean Paul Jacqué, Dalloz, Paris, 2010, p. 541 ; F. SUDRE, « La

Communauté européenne et les droits fondamentaux après le traité d’Amsterdam. Vers un nouveau système européen de protection des droits de l’homme », JCP G, 1998, n° 1, doctr. 100.

80 D. DERO-BUGNY, « La cohérence dans le système européen de protection des droits fondamentaux », in L’identité du droit de l’Union européenne. Mélanges en l’honneur de Claude Blumann, Bruylant, Bruxelles,

2015, p. 109. S. MARCIALI, « Les rapports entre les systèmes européens de protection des droits fondamentaux », in Les droits fondamentaux dans l’Union européenne dans le sillage de la Constitution

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