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et la prise de pouvoir par les collectivités locales

I- 2-7- L'URBANISME: SUJET DE DEBAT LOCAL

Ainsi malgré ses limites concernant notamment la participation des populations, l'ère des ZAC ouvrait la voie d'un "urbanisme municipal" en inscrivant celui-ci dans l'agenda politique des collectivités locales. L'urbanisme est devenu sujet de débat local et sera lors des élections municipales de 1971 et 1977 au cœur des campagnes électorales.

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Les SEML seront alors bien souvent par leurs interventions au centre des polémiques locales, étant alors considérées comme le reflet d'une urbanisation voulue par les uns et contestée par les autres.

Je serai amené à expliquer à l'issue des élections de 1977, à des maires nouvellement élus que la ZAC n'était pas un "objet figé" propriété de la SEML tel que le maire précédant l'avait présenté mais pouvait être adaptée au projet politique des nouveaux élus et que, bien sûr, l'intervention de la SEML devait être maîtrisée par les élus qui le pouvaient, avec là aussi la volonté politique nécessaire pour clarifier le rôle de chacun.

La maîtrise des SEML et de leurs interventions, lorsqu'il s'agit de SEML départementales, par les élus locaux est devenue un enjeu majeur de la décennie 1970- 1980.

La formule de la ZAC, malgré ses imperfections notamment en ce qui concerne la participation effective des populations385, permettait d'entretenir ce débat local favorisé par la taille des opérations, échelle de quartiers pouvant être mieux appréhendés par les élus , souvent en "greffe" de secteurs déjà urbanisés.

De "territoires d'Etat" 386 les ZAC devenaient "champ d'expérimentation et d'apprentissage de l'urbanisme municipal".

Les SEML tant au niveau des chargés d'opération interlocuteur privilégié de l'élu local, en proximité, que des directeurs ont participé à cette pédagogie dans l'action, les villes notamment celles dites moyennes étant alors encore sous équipées en compétences et en capacités d'expertise tel que rappelé par Jean Pierre Gaudin:

" A part quelques grandes métropoles régionales, les villes françaises, avant la décennie qui précède la décentralisation, sont en effet sous équipées en compétences et en capacités d'expertise intégrée. L'organisation des services

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cette implication des populations, souvent par le biais d'associations de défense, montera progressivement en puissance à partir de la seconde moitié des années 1970 mais surtout après les années 1980.

Lors de l'engagement de la ZAC du Rompois à Blanzy, dés ma prise de fonction à la SEDSL ( SEM de Saône et Loire), les réflexions sur le parti d'aménagement, la répartition des programmes, notamment individuels et locatifs, des équipements et services se déroulèrent essentiellement avec l'architecte Levasseur, de Lyon, et le maire de la commune André Quincy , mais sans la population censée être représentée par ses élus !

Elles furent fructueuses même si l'opinion de l'architecte, "le sachant", "grand prix de Rome", demeurait prépondérante notamment dans les formes urbaines: André Quincy, lors d'un

entretien en juillet 2007, me rappelait cette implication des élus mais regrettait, que n'ait pas été intégrée dans le parti d'aménagement la voie de liaison existante entre Montceau les Mines et son centre ville de Blanzy. La conception du plan d'aménagement de zone était cependant une nouvelle approche de compréhension et de lisibilité du devenir d'un quartier, à laquelle ni les élus, ni la plupart des architectes n'étaient familiarisées. Ainsi le PAZ de la ZAC du Rompois fut la traduction d'un plan de masse dessiné par l'architecte Levasseur, plan de masse s'inspirant certes d'avantage des "villes nouvelles- cité jardins" anglaises que des grands ensembles classiques mais plan de masse tout de même. L'intérêt de la formule du PAZ (par rapport au plan-masse), avec ses adaptations possibles dans le temps s'avéra très positive lors des phases de réalisation notamment lorsque dans ce cas de Blanzy, la crise économique des années 1985 conduisit à suspendre la réalisation de certains quartiers….qui sont repris actuellement le PAZ initial servant alors de "plan guide" de référence.

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techniques reste compartimentée387, en fonction de types d'interventions datant du 19eme siècle (voirie et architecture, parcs et jardins, travaux neufs et bâtiments), auxquels correspondaient des logiques sectorielles constituées de savoir-faire routinisés. 388"

La concentration de l'expertise dans les mains des administrations centrales ou départementales place alors les collectivités locales sous la tutelle technique de l'Etat d'autant que sous l'impulsion de la DATAR, les structures territoriales de l'Etat, notamment celles du ministère de l'Equipement, se sont dotées de services d'expertise à la fois opérationnelle et d'études.

" C'est dans l'ensemble de ce réseau des administrations que sont diffusés les "études pilote" et des modèles, qui font d'autant plus référence que bien peu de contre propositions émanent alors des municipalités et des services techniques. Le système des subventions, de surcroît, crée une large tutelle financière, car il soumet les contributions financières de l'Etat à un ensemble de ratios, de quotas, de programmes types et de standards définis par les administrations nationales. Le tout doit encore nécessairement s'insérer dans les calendriers de la planification qui définissent des priorités d'investissement tant géographiques que thématiques. Les programmations s'accompagnent d'une normalisation des caractéristiques de chaque type d'équipements collectifs. Les administrations centrales et les services techniques de chaque ministère définissent des normes techniques nationales et même des solutions architecturales censées s'appliquer uniformément sur le territoire national. Seul le respect ouvre droit aux subventions calculées sur des coûts moyens nationaux et conditionnent également l'accès aux prêts bonifiés de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui est alors la principale banque des collectivités locales. " 389

Le personnel des SEML était alors perçu par les élus locaux comme un recours possible pour se libérer de cette tutelle de l'Etat et de ses services dans un jeu subtil ménageant les susceptibilités, dans une situation de médiation entre les services de l'Etat et la Collectivité, tant dans l'expertise et le conseil que dans le financement pour lequel l'appui de la CDC était un atout majeur.

Le rôle d'intermédiaire joué par la SCET prés des ministères à la fois pour la recherche des financements appropriés et la mise au point du projet susceptible d'être agrée par les services de l'Etat tout en répondant à l'attente locale, complétait cette perception de la SEML comme un des acteurs de contre- pouvoir possible, à la disposition des élus locaux.

Le "groupe des conseillers techniques" de la SCET était lors tout à la fois le relais prés des SEML des aspirations des ministères pour pouvoir les concrétiser localement et laboratoire "recherche- développement", "bouillon de culture", pour offrir aux SEML une capacité d'anticipation .

Cela permettait aux SEML tout à la fois d'assurer le relais des "instructions " de l'Etat sur le terrain opérationnel et d'offrir aux élus locaux des capacités d'expertise et d'innovation notamment dans des domaines qui dépassaient le champ traditionnel de l'aménagement et du logement et apportaient ainsi une valeur ajoutée à leur action.

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l'examen des organigrammes de nombreuses collectivités présente encore, avec des titres de rubriques actualisés, cette tendance à la compartimentation- segmentation

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GAUDIN, Jean – Pierre. Gouverner par contrat: l'action publique en question. Presses de Sciences Po, 1999. p.25.

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Les interventions dans l'action sociale se sont révélées significatives de ces deux approches.

La démarche classique de l'aménageur professionnel consistait à réaliser des équipements tels que des centres sociaux, financés par l'Etat et la Caisse d'Allocation Familiale et répondant à des critères d'implantation, de programme, de surfaces, de besoins définis par des textes du ministère.

A la SCET, Madame Veilleux, habituée des bureaux des ministères, était ainsi chargée d'assister les SEML dans la mise au point de leurs projets de "centres sociaux" qui présenteraient toutes les garanties d'être agrées par les ministères donc financés. Il s'agissait là d'un apport apprécié des élus d'autant tel que j'ai pu le constater lors de missions effectuées sur Chalon sur Saône, Macon ou Digoin l'expérience de cet agent de la SCET allait au-delà du cadre bâti en fournissant des conseils sur la gestion de ces équipements. Cela parait évident aujourd'hui mais lorsqu'il fallut inventer ces équipements de service dans le domaine du social, il était encore plus difficile de préfigurer leur gestion que leur programme technique et architectural, ce domaine étant nouveau pour la plupart des communes. La SCET en capitalisant les retours d'expériences de ses SEML jouait alors son rôle de référent et pouvait accompagner les SEML et les élus lors des discussions avec les administrations départementales, apportant la "caution" de l'expérience au-delà des "grilles réglementaires".

Il s'agissait là de l'action de base des SEML, dans la continuité des préceptes définis par François Parfait pour la construction des grands ensembles qui en 1959 déplorait cependant que le financement des équipements culturels et sociaux ne soit pas , la plupart du temps,assuré, alors que:

" L'équipement culturel et social des Ensembles d'habitation est un de

ceux qu'il serait le plus nécessaire de réaliser de façon très sérieuse car c'est peut être celui qui est le plus souhaitable pour les habitants. Très

souvent en effet, ceux- ci proviennent de logements défectueux où ils ne disposaient pas de la moindre installation hygiénique, très souvent ils ignorent tout des exigences de la vie en commun dans des immeubles possédant escalier, ascenseur, jardin… très souvent aussi ils laissent leurs enfants jouer sans grande surveillance et donner ainsi libre cours à l'influence des plus pervers. Il est donc absolument indispensable de les guider au cours de

cet acte de promotion sociale que constitue l'installation dans un logis neuf d'un Ensemble moderne et c'est à ce but que tend l'équipement social et culturel." 390

Ces quelques lignes datées de 1959 sont certes significatives de l'esprit des années 1955- 1960 et de ses "pionniers humanistes " pour qui " Concevoir un Ensemble, ce n'est pas acheter des terrains, dessiner les plans ou couler du béton, c'est aider l'homme à atteindre sa plénitude, par le vaste domaine de l'Urbanisme….. C'est pourquoi, ce qui doit au plus haut point les marquer, ce n'est pas tellement le détail de leur réalisation, c'est beaucoup plus la force et l'unité de leur conception, c'est la vie de l'âme qui leur sera insufflée et qui formera l'âme de leurs habitants …Tel que le disait André Malraux " La cohérence du chef d'œuvre est celle de sa conquête, non de son écriture"." 391

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PARFAIT, François. Urbanisme n° 65 de 1959. p.28.

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Donner une âme à ces nouveaux quartiers à l'édification desquels les SEML participaient passait certes par la construction d'équipements sociaux et culturels mais ne suffisait pas à enrayer les disfonctionnements qui s'installaient d'autant que la "pensée libérale" qui s'installait progressivement sous l'égide de ministres tels Albain Chalandon ou Giscard d'Estaing pour devenir ensuite doctrine officielle sous le septennat de Giscard d'Estaing avec Raymond Barre , favorisait l'évolution au mérite individuel et faisait de l'accession en maison individuelle la finalité du parcours résidentiel des ouvriers, cadres et employés qui avaient emménagés quelques années auparavant dans les grands ensembles.

La pratique des surloyers dans les logements sociaux et des aides octroyées pour l'accession à la propriété favorisait ce parcours résidentiel et conduisait à rompre l'esprit de mixité sociale qui avait été mis en exergue dans la conception des grands ensembles, sans toutefois y être parvenu du fait de la faible implication des promoteurs privés.

Ainsi s'installe dans ces grands ensembles " une ségrégation interne entre

les groupes les plus pauvres, pour qui le grand ensemble est le sommet de la trajectoire résidentielle 392 et qui y subissent marginalisation individuelle et sanctions (comme les tutelles, les expulsions et les saisies) et les groupes

qui attendent pour épargner en vue d'une accession ultérieure à la propriété individuelle….de même que la "ghettoïsation" des jeunes,

précocement diagnostiquée." 393

Face à ce mouvement de dégradation physique et surtout sociale des secteurs urbanisés lors des décennies précédentes, mouvement accentué par le désengagement financier de l'Etat en faveur du logement social dans le cadre d'une politique libérale privilégiant l'accession à la propriété, les sociologues s'inquiètent de ce "cercle vicieux de la dégradation sociale aggravée par une dégradation physique prévisible" 394.