• Aucun résultat trouvé

l'émergence des SEML: entre planification étatique et influence dominante de la Caisse des Dépôts et

I- 1-11- LA LEGITIMITE DES SEML: OUTIL PRIVILEGIE DE L'ETAT

Dans ces conditions la légitimité des SEML comme outil privilégié de l'Etat pour urbaniser la France était effective et, tel que le rapporte Léon Paul LEROY 317 avec pour les élus qui souhaitaient en tirer profit malgré les contraintes des administrations, au-delà de la fonction de "courroie de transmission" des décisions de l'Etat, un rôle de "médiateur " entre les collectivités locales, l'Etat et la CDC:

" D'une manière générale, l'économie mixte répondait aux attentes des différents protagonistes. Les collectivités locales comme les administrations de l'Etat étaient demandeuses. Les élus, préoccupés par la dimension du problème "logement" en période de reconstruction attendaient en effet des solutions.

Or à cette époque, la Caisse des Dépôts leur était "difficile d'accès" et les administrations d'Etat se sentaient fortes de leur tutelle. Si la Caisse des Dépôts a très tôt prêté aux collectivités locales comme en témoigne son premier prêt pour le port de Dunkerque en 1820, ceci restait une activité marginale, sa préoccupation essentielle étant alors le soutien à la rente. Elle a commencé à s'intéresser au logement social en 1925 – 1926 et les besoins et les demandes se sont amplifiés au lendemain de la guerre. Simultanément, l'économie mixte

a permis aux élus de passer de "relations de vassaux à celles de partenaires".

316

d'ARCY, François. Structures administratives et urbanisation: la SCET. Berger Levrault, 1968. p.52.

317

Léon Paul LEROY, collaborateur de François BLOCH-LAINE fut directeur de la SCET et de la SCIC jusqu'en 1967, puis président jusqu'en 1979.

Côté administrations, les ministères des finances et de l'intérieur voyaient l'économie mixte comme un moyen complémentaire de suivre les objectifs, les projets et les réalisations des communes et de renforcer, par commissaire du Gouvernement interposé, une tutelle directe alors que les élus espéraient trouver dans ce cadre plus souple l'occasion de rencontrer hors hiérarchie les services de l'Etat….autrement dit, " la vertu du tapis vert". 318

Cette " vertu du tapis vert" fut très vite appropriée par "les maires bâtisseurs " de l'époque au rang desquels figuraient Jean Royer à Tours, Pierre Pflimlin à Strasbourg, Gaston Deferre à Marseille, Jacques Chaban Delmas à Bordeaux 319 , Henri Fréville à Rennes, Louis Pradel à Lyon….

C'était également le cas tel que j'ai pu le constater à Chalon sur Saône avec Roger Lagrange.

Ainsi les SEML, tout en étant sous "tutelle" de l'Etat et de la CDC (ou de la Banque de Paribas qui intervenait dans des conditions similaires à celles de la CDC notamment à Tours avec Jean Royer ou à Vélizy - Villacoublay) assuraient pour ces "maires bâtisseurs" le relais nécessaire, le médiateur avec les services de l'Etat et notamment ceux des Directions Départementales de l'Equipement très présentes localement.

Les maires pouvaient d'autre part disposer de conseils techniques prés des SEML et ne pas avoir comme seule source que celle de l'ingénieur de la DDE et ainsi pouvoir disposer d'un panel plus complet d'informations.

Le rôle de conseil assuré par les agents des SEML, ACO ou directeur déborda d'ailleurs rapidement du cadre des seules opérations gérées par les SEML; ceux-ci étant souvent associés aux réflexions de la municipalité dans les domaines de l'aménagement et de l'urbanisme au risque de bousculer quelques habitudes et "chasses gardées" de la DDE 320.

Certains maires comprirent ainsi le parti qu'ils pouvaient tirer de ce rôle de médiateur pouvant être "joué" par leur SEM, bien souvent en complément de leur propre capacité d'intervention liée à leur notoriété.

Parfois même comme ce fut le cas à Colomiers, commune de la première couronne de Toulouse, le maire, Eugène MONTEL, avec quelques appuis nationaux et en s'appuyant sur ses SEML (dont le directeur Général Alex RAYMOND321 sera ensuite maire en 1966 pourra imposer son projet avec un parti d'urbanisme original et un architecte local322 malgré la réticence des

318

LEROY, Léon – Paul. Un partenaire institutionnel: la Caisse des Dépôts et Consignations In 40 ans de Sociétés d'économie mixte en France. Economica, 1988. p.196.

319

Jacques Chaban- Delmas a utilisé la SEM départementale (SEG) comme élément de négociation et de "troc" avec les maires des communes de la rive droite de la Garonne pour la réalisation des ZUP des Hauts de Garonne. (cet aspect sera développé dans le chapitre traitant des modes de gouvernance avec le regard croisé sur les agglomérations de Bordeaux, Rennes et Montpellier).

320

Lors de ma vie professionnelle en DDE, j'ai pu constater les "soupçons" de mes collègues à l'égard des SEM, en l'occurrence la SEM du Mans. Cette expérience me servit ensuite, dans les missions que j'ai effectué en SEML, en veillant à respecter les rôles implicites de chacun.

321

Alex Raymond fut ensuite président de SEM à Colomiers et à Toulouse et président de l'association régionale des SEM de Midi Pyrénées, où j'ai eu l'occasion de le rencontrer lorsque j'animai le réseau des SEM de la SCET.

322

René Viguier, architecte local, inconnu des milieux parisiens bien qu'élève de Robert Auzelle, s'inspira des conseils de ce dernier pour créer une "cité jardin" sur le modèle des new towns anglaises.

administrations qui préféraient privilégier Toulouse et sa ZUP du Mirail et considérait que:

"" Pour Colomiers, aucune volonté d'Aménagement du territoire national, aucun programme de développement économique régional n'appelle pareille création dans l'immédiat"….En réponse à une première sollicitation du Maire auprès du ministère, Madame Sialelli, alors chef du service départemental de l'Urbanisme, se demande dans une note interne "si cette commune mérite un projet car la commune de Colomiers n'est importante que par la personnalité de son maire". ….puis, bien que d'initiative locale et sans label national, Colomiers bénéficie de nombreux soutiens de l'Etat central ….et la commission départementale chargée d'examiner le dossier avant sa présentation au FDES ( Fonds de Développement Economique et Social) , précise en 1961 que les "préoccupations de la commune et des SEM rejoignent entièrement celles des représentants de l'Administration Centrale. C'est pourquoi un examen approfondi du dossier ne peut se révéler que fructueux." L'importance n'est à l'évidence pas le contenu du projet mais de bien faire comprendre les appuis qu'il reçoit." 323

Cet exemple de Colomiers, au-delà de son caractère anecdotique, propre aux relations avec le pouvoir central en terre "radicale – socialiste", demeure significatif dans les propos des agents de la DDE qui "s'interrogent" sur les "mérites" de telle ou telle commune à disposer d'un projet et montre cependant que déjà la volonté politique locale était nécessaire pour s'assurer la maîtrise de ses projets en sachant s'appuyer sur des "outils adaptés" et en l'occurrence les SEM locales. Le projet politique local était un préalable pour une action maîtrisée par les élus locaux ; c'est un impératif qui demeure d'actualité et était l'exception en ces années 1950- 1960.

323

WEIDKNNET, Pierre. Colomiers ville – neuve: une réalisation municipale sur le modèle des new towns anglaises In Villes nouvelles et grands ensembles. Société Française d'Histoire Urbaine, décembre 2006. p.115 et 116.