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et la prise de pouvoir par les collectivités locales

I- 2-5- LE PROCES DES GRANDS ENSEMBLES

Mais dans ces années 1965, les grands ensembles sont l'objet de mécontentements de la part des habitants face aux retards dans la réalisation des équipements 371 qui devaient être construits concomitamment à la construction des habitations. Ces équipements notamment scolaires et sociaux dépendaient de ministères qui avaient leur logique de programmation propre; cette segmentation de l'action publique, contribua à rompre l'harmonie qui aurait du présider à la réalisation de ces grands ensembles alors que tel qu'à Sarcelles en 1957 " ses premiers locataires se présentaient comme des pionniers heureux, militants et porteurs de projets, conscients d'expérimenter une mixité sociale nouvelle avec une aspiration à imprimer leur marque…" 372

Tel que le signale Jean- Paul Lacaze, dans son "procès " des grands ensembles :"les défauts des grands ensembles n'apparurent pas

immédiatement. Les conditions de logement des ouvriers et des employés dans les grandes villes étaient si médiocres dans les quartiers vétustes

370

SATEL: Société d'Aménagement Touristique et d'Equipement du département des Landes.

371

dès 1959 dans son rapport sur la conception des grands ensembles dans la revue

Urbanisme n° 65, François Parfait s'inquiétait de ce retard et rappelait que la nécessité de ces équipements notamment scolaires dés l'arrivée des premiers habitants.

372

Colloque organisé par Villes et Banlieues: Sarcelles change d'époque. Traits Urbains n° 6 d'avril 2006. p. 49.

où ils s'entassaient que la production d'immeubles neufs bien aérés et dotés du confort moderne fut ressenti au début comme un réel progrès. Malheureusement les ZUP accumulaient à peu prés toutes les causes d'insuccès possible pour une opération d'urbanisme nouvelle:

- les sites furent trop souvent choisis pour être peu coûteux et faciles à aménager, d'où la fréquence la fréquence de ses ZUP de plateaux contredisant la logique géométrique et urbanistique de développement de la ville – mère dans son site de vallée.

- pour aller plus vite, les constructeurs furent sollicités pour prendre les premiers risques de s'installer dans ces sites peu attractifs; les ZUP y gagnèrent dans la plupart des cas une image peu attirante, de sorte que les promoteurs de logements en accession préférèrent orienter leurs recherches de terrains à bâtir vers des quartiers plus valorisés par leur clientèle.

- une évaluation trop optimiste des possibilités d'installation des commerces…

- enfin, les ministères spécialisés et les collectivités locales, débordés par la croissance rapide des demandes d'équipements publics, n'arrivèrent pas à assurer une programmation des réalisations en phase avec la livraison des logements." 373

Cette description et l'évolution des grands ensembles vers des quartiers avec une majorité de logements sociaux ne correspondent absolument pas aux principes de conception qui en furent à l'origine.

Tel que le rappelle Jean Pierre Gaudin " Initialement, les grands ensembles

et autres zones à urbaniser étaient conçues pour accueillir des immeubles de standing et des statuts variés. Très vite cependant, le logement social s'y

concentre. La population restait cependant caractérisée par un mélange

social d'ouvriers et d'employés avec une certaine diversité de revenus (la mixité sociale dont on parle aujourd'hui). Puis la situation a évolué pour des

raisons diverses qui sont toutes allées dans le sens d'une massification des pauvres et des populations marginales dans ces quartiers…." 374

Le faible intérêt marqué par les promoteurs privés pour s'implanter en ZUP s'explique par l'engagement de ceux-ci dans des interventions en centre ville dans le cadre des rénovations urbaines, plus rentables, et dans la floraison de multiples "petites opérations", la taille de celles proposées dans les ZUP semblant souvent trop risquée pour des promoteurs locaux.

Tel que j'ai pu le constater dans des ZUP de province, notamment en Saône et Loire, le secteur "privé" en accession dans les ZUP était souvent assuré par des sociétés coopératives de construction ou des sociétés du CIL1%, mais fort

373

LACAZE, Jean- Paul. Aménager sa ville: les choix des maires en matière d'urbanisme. Edt. du Moniteur, 1987.p. 50- 51.

374

GAUDIN, Jean Pierre. L'action publique, sociologie et politique. Presses de Sciences Po, 2004. p. 61. " Puis la situation a évolué pour des raisons diverses qui sont toutes allées dans le sens d'une massification des pauvres et des populations marginales dans ces quartiers. D'abord, la politique d'aide à l'accession bon marché à la propriété de maisons individuelles ( Albin Chalandon) a largement vidé par contre coup ces immeubles des classes moyennes les plus solvables qui s'y trouvaient; peu après l'accueil des femmes et enfants d'immigrés

encouragés à rejoindre les chefs de famille a été concentrée dans ces quartiers bon marché qui avaient des logements vacants; enfin le problème de chômage de masse a particulièrement concerné ces quartiers populaires comptant beaucoup de jeunes non qualifiés…."

peu de promoteurs locaux qui s'implantèrent plutôt dans les rénovations urbaines des centre villes tel qu'à Chalon sur Saône à l'issue du comblement de l'ancien canal du centre.

Comme en témoigne Paul Granet ancien dirigeant d'une grande société de construction avant de devenir secrétaire d'Etat en 174: " La volonté légitime des édiles locaux de moderniser en même temps la ville de rattachement, la pression de la demande orchestrée par les promoteurs privés obligèrent très vite l'Etat à répartir ses crédits entre la ZUP et la ville historique…

Dès lors que l'on continuait de lui offrir des programmes de logements dans l'ancienne ville, la clientèle privée préféra les acquérir plutôt que d'essuyer les plâtres dans une ZUP lointaine, sans charme, destinée à rester en chantier pendant des années encore. Il fallait pourtant démarrer les ZUP: les pouvoirs publics forcèrent quelque peu les offices et sociétés d'HLM à y réaliser leurs programmes. Ce fut le début d'un processus cumulatif: la présence d'HLM dissuada les promoteurs privés de construire dans les ZUP, tandis que l'absence de promoteurs privés obligeait les offices à construire toujours dans les ZUP. Résultat: les ZUP sont devenues des cités d'HLM; la bourgeoisie a reconquis la ville traditionnelle." 375

En conséquence, tel que le résume Thierry Oblet " ces zones à urbaniser n'eurent bientôt plus de prioritaire que le nom, les promoteurs préférant travailler en dehors des ZUP….Les promoteurs privés réservaient leurs

interventions sur des sites où la rentabilité des investissements était certaine" 376

Ce constat du positionnement du secteur privé de la promotion mérite d'être conservé en mémoire lorsque l'on évoque des partenariats public- privé.

Il demeure naïf de croire, ou faire semblant de croire, qu'il puisse en être autrement car il est dans la vocation du secteur privé, dans son essence même, de considérer l'immobilier comme un produit devant assurer une "rente" pour celui qui investit . La situation en ces années 1965 – 1970 était d'ailleurs moins spéculative qu'elle ne l'est actuellement, de nombreux acquéreurs privés attendaient de leur bien immobilier qu'il prenne de la valeur sur le long terme et dans le cas d'un investissement pour du "locatif" qu'il assure un revenu régulier. La logique était celle du placement patrimonial et pas encore comme actuellement celle de la rentabilité à court terme, avec des rentabilités immédiates supérieures aux autres produits boursiers.

Cette logique ne fut pas d'ailleurs pas prise en compte par les promoteurs des grands ensembles et ne s'intégrait pas dans les "grilles du bonheur " de Gérard Dupont. Elle ne correspondait pas, à l'époque, aux concepts d'un urbanisme opérationnel planificateur qui pensait, vraisemblablement à tord, que l'intérêt général était un vecteur d'entraînement suffisant et se situaient dans le cadre d'une "économie de production", après celle de la pénurie alors que les promoteurs privés se situaient déjà en "économie de marché".

Un partenariat associant l'intérêt général à des acteurs publics n'est effectivement possible que si tous les acteurs y trouvent leur intérêt propre, chacun développant sa propre logique.

Cette remarque est également valable pour l'implantation d'activités qu'elles soient commerciales ou industrielles.

375

GRANET, Paul. Changer la ville. Grasset, 1975. p.68. (Cité par Thierry Oblet In Gouverner la Ville. p.120)

376

Il y sera ensuite remédié avec des études de marché, au début réalisées de façon empiriques ce domaine étant nouveau en France puis par une meilleure approche au sein du réseau des SEML de la SCET de la connaissance des logiques des différents acteurs de l'aménagement.

A cet effet le BETURE avait crée un module de formation à l'usage des agents opérationnels des SEML, baptisé le "jeu de la ZAC", sur un modèle avec des allures de Monopoly.

Nouvel ACO 377 en SEML, cette formation me fut dispensée ; sous forme de "jeu de rôle" chacun se plaçait en situation de promoteur privé, d'office d'HLM, d'architecte, de bureau d'études, d'élu local….mais je ne souviens pas si l'habitant avait sa place sur "l'échiquier de la ville".

Se mettre en situation de comprendre les objectifs de l'autre dans une relation de négociation, de dialogue est certes aujourd'hui un postulat pour engager des partenariats fructueux et efficaces; la planification urbaine des années de l'après guerre, jusqu'en 1965, n'a vraisemblablement pas suffisamment pris cet élément en compte.

Il s'agit là d'une critique objective dont tous les acteurs et notamment les SEML devront ensuite tirer profit ou qui conduira certaines à des déboires dans la commercialisation de leurs secteurs d'habitat et de d'activités lorsque, la pénurie s'estompant, le coût des charges foncières devra être négocié et ne résultera plus seulement d'une grille théorique.

Il est cependant simplificateur, voire caricatural, de justifier l'évolution des grands ensembles par "l'erreur stratégique", selon l'expression de Jean Paul Lacaze.378, résultant de l'urbanisme de plan- masse développé par la SCET et les SEML.

Il appartient aux historiens le soin de proposer une analyse de cette période intégrant tous les éléments du contexte dans sa complexité 379 mais partage, avec les connaissances d'aujourd'hui et l'expérience de 35 années d'urbanisme opérationnel, la nécessité de penser la ville autrement que par une démarche de documents figés présentant l'état futur de la ville, dans un état stable, complet et cohérent. Il convient en effet de l'appréhender "

comme ce qu'elle est réellement, un produit complexe et évolutif du jeu des forces économiques et sociales" 380.

La loi d'orientation foncière de 1967 (LOF) symbolise cette volonté de modifier en profondeur la manière de faire de l'urbanisme en associant planification urbaine, action foncière et "concertation" dans une même démarche "d'élaboration conjointe"

Les ZAC (Zones d'Aménagement concerté) répondent à cet esprit et au-delà de la rupture avec la pratique du plan-masse, il s'agissait d'instaurer de nouveaux rapports entre l'Etat, les Collectivités Locales et les acteurs de l'aménagement

377

Agent Chargé d'Opération en SEML.

378

LACAZE, Jean- Paul. Aménager sa ville : Les choix du maire en matière d'urbanisme. Edt du Moniteur, 1987. p.51.

379

la fin de la "guerre d'Algérie" et les décolonisations bouleversèrent notamment les données initiales de prévisions de peuplement des grands ensembles par l'arrivée de populations nouvelles avec une diversité de cultures et d'attente au regard de du logement et de son usage, non prévue dans les plans- masse initiaux conçus dans les années 1955- 1960.

380

et du logement tant publics ou par- publics comme les Offices d'HLM et les SEML que privés.

I-2-6- LES ZAC ET L'OUVERTURE AUX PROMOTEURS

PRIVES.

Avec la mise en œuvre des ZAC, le champ de l'urbanisme opérationnel a cessé d'être le quasi monopole des SEML de la CDC ou de Paribas pour s'ouvrir aux promoteurs privés dans le cadre de ZAC conventionnées, dites ZAC privées.

Cette reconnaissance du secteur privé comme aménageur du territoire est d'ailleurs l'aboutissement d'une attente de la Fédération Nationale des Promoteurs Constructeurs (FNPC) qui rappelle " qu'en 1967, la très importante procédure de la ZAC ouvre l'aménagement urbain au secteur privé. Il y prend rang aux côtés des deux autres catégories d'opérateurs:

- les aménageurs publics constitués par les collectivités locales (essentiellement les communes), les OPAC et par l'Etat qui intervient au moyen d'Etablissements publics d'aménagement (EPA) …

- les Sociétés d'économie mixte d'aménagement (SEM) qui associent capitaux publics et privés pour la conduite des opérations d'aménagement." 381

Sur la base de cette décomposition en trois catégories d'opérateurs publics ( y compris OPAC et EPA), SEM et privés, la part du secteur public a été prépondérante dans les années 1970- 1975 en région parisienne du fait de l'impact des "villes nouvelles" réalisées par des EPA:

- 54% en secteur public (avec les EPA- villes nouvelles) - 31% en SEM

- 15% en secteur privé.382

Puis après le "boom" des villes nouvelles la part des SEM est devenue prépondérante avec 40%.

D'autre part la réduction de la taille de ces opérations d'aménagement et la professionnalisation des services techniques des collectivités a conduit certaines d'entre elles à s'engager d'avantage dans des interventions en régie directe.

Ainsi, au niveau national, sur un échantillon de onze agglomérations, la tendance relevée par la FNPC reflète le positionnement relatif des différents opérateurs, positionnement qui sera celui des années 1970- 1990.

- 45 % en SEM

- 27,5 % en secteur public (avec OPAC et régie directe) - 27,5 % en secteur privé. 383

La ZAC incluait la notion de concertation. Cependant, sa signification et sa pratique demeuraient de portée limitée, au cercle des "notables", élus locaux,

381

Fédération Nationale des Promoteurs Constructeurs. Réussir l'aménagement urbain. Edt le Moniteur, 1991. p.52.

382

Sources FNCPC. Réussir l'aménagement urbain, Ibidem. p.58 –figure 14

383

chambres consulaires, sous l'égide des directions départementales de l'Equipement tel que le rappelle Thierry Oblet:

" Au final, le ministère de l'Equipement apparaît comme le grand bénéficiaire de la politique d'aménagement territorial. Au niveau local, il devient l'interlocuteur privilégié des collectivités locales et des autres administrations; sur ces questions urbaines, il se substitue en partie au rôle traditionnel du préfet. A l'instar d'une administration de mission, les fonctionnaires de l'Equipement, en position d'assurer la synthèse des problèmes d'administration locale, prennent la place des élus. Certes cette tendance ne s'est pas réalisée sans frottement. L'illégitimité du dessaisissement des élus locaux sur les problèmes de développement urbain a souvent été dénoncée comme une atteinte à la représentation démocratique. ….Mais les maires ont toujours fait attention de ménager leurs relations avec les services de l'Equipement.

Dans le cadre de "l'élaboration conjointe" les services de l'Equipement se sont souvent montré très directifs, la concertation prenait en définitive souvent la forme "d'un monologue suivi d"un marchandage". 384

Mon parcours professionnel m'a conduit à rencontrer ces types de situation et pas seulement dans les années 1970 puisqu'au début de ce 20ème siècle l'entêtement d'un fonctionnaire de la DDE de la Gironde et sa capacité de blocage conduisit à retarder de plusieurs années l'engagement d'une zone d'activité aux abords de l'autoroute sur la commune de Mios, malgré la prise en compte de toutes les contraintes notamment environnementales liées à ce site ; ce qui s'appelait Mios 2000 put s'engager en 2004 .

Cependant mes rapports en qualité d'aménageur se sont plus souvent avérés tout à la fois sous l'angle de la complémentarité avec les services de l'Equipement locaux notamment à Montceau les Mines où nous partagions des locaux communs, mis à disposition par le Conseil Général. C'était le temps où chaque circulaire nouvelle, et chacun sait que c'est là exercice favori des ministères que d'empiler les directives et circulaires, était analysée conjointement par les services de l'Equipement et de la SCET et au niveau local je partageais mes informations avec mon "collègue" ingénieur d'arrondissement. Cette complémentarité trouvait certes sa contre- partie dans l'intervention des subdivisions de la DDE comme maître d'ouvre des travaux de viabilité des ZAC, mais au-delà de cet aspect qui paraissait logique, en l'absence notamment en cette période de bureaux d'étude locaux, des liens de confiance et de respect réciproque avaient été établis entre la SEM d'aménagement départementale (de Saône et Loire) et les services de la DDE. Le Directeur Départemental lui-même fut l'initiateur de l'intervention de la SEML sur le secteur de Digoin, conseillant notre intervention au maire pour la mise en œuvre de sa ZAC, formule dont le DDE s'était fait le promoteur.