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l'émergence des SEML: entre planification étatique et influence dominante de la Caisse des Dépôts et

I- 1-4- L'IMPLICATION DE LA CAISSE DES DEPOTS AVEC LA SCIC ET LA SCET

le siège de la CDC: rue de Lille à Paris (photographie Jacques Da Rold )

L'Etat s'engage dans l'aide financière en faveur de la construction: c'est l'age d'or de l'aide à la pierre.

Les ingrédients qui manquaient dans la période précédente se trouvaient rassemblés; il fallait des "catalyseurs" pour que s'ouvre une nouvelle page de l'histoire des politiques urbaines et territoriales.

François BLOCH- LAINE fut de ceux là.

Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) depuis 1952 son désir était de donner un coup d'envoi à la construction de logements populaires en utilisant les capacités et les moyens financiers ,

insuffisamment mobilisés pour l'action au service du développement national , de son établissement financier.

La CDC depuis sa création en 1816 avait pour vocation d'accompagner les actions de l'Etat et depuis le début du siècle204le financement des logements populaires mais n'intervenait pas directement.

Cependant, la "princesse endormie"205, par essence, la banque de l'Etat, demeurait "tournée vers l'intérieur des finances publiques" était peu habituée, voire même habilitée, à transformer ses épargnes en investissements productifs à long terme.

Ce fut l'œuvre majeure de François BLOCH-LAINE, la mue de la CDC sous deux septennats de présidence.

De banque de l'Etat qu'elle était depuis cent quarante années, la C D C est devenue une "super- banque" drainant l'épargne liquide au profit des investissements publics", y compris ceux financés par le Trésor: " Nous avons transformé les liquidités en barrages"206.

Tel que le précise Michel MARGAIRAZ au regard du bilan207 des deux septennats de François BLOCH- LAINE. " L'évolution est surtout spectaculaire du côté des ressources qui continuent de provenir pour l'essentiel du double réseau des Caisses d'Epargne –et un peu moins des ressources de prévoyance- , que des emplois. On y voit clairement une substitution somme toute jugée bénéfique : les valeurs d'Etat à long terme, représentant de 75 à 90 % des emplois sur le siècle qui s'étale de 1850 à 1950 – et tout particulièrement sur les rentes, dont la Caisse a été le principal soutien -, n'atteignaient plus que 5 % en 1965. De même les liquidités, qui pouvaient représenter une part importante, rendue nécessaire en particulier lors des difficultés du Trésor, occupent désormais une place réduite à moins de 20 %. Et cela au profit de trois postes en croissance désignés par le bénéficiaire final:la construction de logements, en particulier HLM, l'équipement des collectivités locales (électricité, voirie, santé, enseignement) dont la CDC finance à elle seule (en 1965) 80% des travaux d'infrastructure et d'équipement, et à un moindre degré, les investissements à certaines entreprises, dont particulièrement les grandes entreprises nationales. En effet, 85 % des investissements économiques et sociaux, qui eux-mêmes occupent prés de 80 % des emplois, sont destinés aux prêts aux collectivités qui passent de 10% à 50 %, aux prêts au logement qui de rien (en 1945) représentent 10 à 15 % en 1965 et enfin aux prêts aux entreprises qui dépassent également 10 %".

Il s'est agit là d'une mutation historique, d'une véritable révolution culturelle pour l'honorable institution.

François BLOCH- LAINE, tout en bénéficiant des conditions favorables liées à l'inscription sur l'agenda prioritaire de l'Etat la construction de logement et un aménagement planifié du territoire et à sa bonne connaissance des milieux économiques et administratifs, dû cependant faire preuve de ténacité, voire de pugnacité pour obtenir l'adhésion des administrateurs de la CDC, voire de certaines composantes de son personnel.

204

notamment avec la loi STRAUSS du 12 avril 1906 et surtout la loi LOUCHEUR du 13 juillet 1928.

205

expression de François BLOCH-LAINE In Ce que je crois, Grasset, 1995.

206

propos de François Bloch- Lainé In Profession: fonctionnaire, le Seuil, 1976. p.106.

207

sur la base du Bilan de 1966. Caisse des Dépôts et Consignations, bilan de vingt années 1946- 1966. et des analyses de Roger PRIOURET.

Au sein même de la CDC, la marge de manœuvre du directeur général demeure régie par des équilibres subtils qui perdurent depuis les statuts originels de1816 et de 1837. Non sans similitudes avec la Banque de France créée en 1800, la CDC se doit d'être suffisamment proche du gouvernement pour répondre à ses demandes, notamment dans les missions de "régulation financière" et assez indépendante pour assurer la "foi publique"208, à savoir la confiance des français dans l'usage des sommes et des fonds qu'elle gère. Ainsi, " d'une manière quasi structurelle le directeur général de la CDC doit respecter une double allégeance, reflet de la culture de l'ambivalence propre à l'établissement, à savoir le double impératif d'obliger l'Etat à bien se comporter vis-à-vis des épargnants et, dans le même temps, d'assurer le bon usage de l'épargne en fonction des besoins de la Nation."209

Le statut210 de la CDC est cependant favorable aux libres initiatives et permet ainsi d'entreprendre et d'innover sans être contraint par les carcans de la bureaucratie des ministères, tel que le signale François BLOCH- LAINE:

" Rien de bon n'est jamais facile. Il arrive que des actions utiles soient rendues impossibles à des fonctionnaires de bonne volonté par les administrations dont ils dépendent. J'ai bénéficié d'une position qui excluait l'impossibilité, sinon la difficulté….Hors de la Caisse des Dépôts, je n'aurais probablement pu obtenir les mêmes résultats dans l'inconsistance de la 4eme république….

La Caisse des Dépôts peut faire ce que le gouvernement ne lui demande pas, à la condition que cela ne lui déplaise pas.

Pourvu qu'il observe toutes les règles sages qui président à ses opérations, l'établissement (la CDC) jouit d'une autonomie qui lui rend plus facile

qu'aux administrations ministérielles l'accomplissement de diverses missions correspondant aux besoins du moment. Pour ces missions, plus

ou moins spontanées, la Caisse ne saurait évidemment disposer des fonds qu'on lui confie. Mais elle possède des fonds propres, des réserves qui n'appartiennent qu'à elle et dont le meilleur usage possible est une

contribution active à la solution de problèmes vitaux. " 211

Le logement faisait partie de ces problèmes vitaux correspondant aux besoins du moment.

Peu après le plan "COURANT", la CDC avait décidé en mai 1953 de mettre en réserve sur les bénéfices de 1952, 4 milliards de francs pour la réalisation d'un vaste programme de construction de logements populaires dans la région parisienne.

François BLOCH-LAINE propose la création d'une société immobilière dont la CDC serait le gérant majoritaire, société associant des capitaux de sociétés privées et de collectivités locales. L'idée était d'agir avec un effet de levier permettant la construction d'un plus grand nombre de logements que si la CDC agissait seule. " Avec les 6 milliards apportés par la Caisse, il pourrait ainsi être consacré à ce programme entre 15 et 25 milliards par an, permettant

208

"la foi publique": devise de la CDC.

209

MARGAIRAZ, Michel. François BLOCH-LAINE, fonctionnaire…déjà cité p.114.

210

la C DC est placée sous l'autorité directe du pouvoir législatif et ne rend compte de ses actes qu'au Parlement à travers une commission de surveillance composée de députés et de

sénateurs. Seul le directeur du Trésor (ministère de l'Economie et des Finances) y représente le pouvoir exécutif. Le directeur général nommé par le président de la république ne peut être révoqué que par la commission de surveillance.

211

d'escompter ainsi la construction de 15000 logements annuels , au lieu de 2400 si la Caisse agissait seule. Ainsi, le directeur général défend l'innovation, qui, là aussi, présente l'avantage d'éviter le "circuit long et onéreux" que constituerait le recours aux prêts habituels du Crédit foncier"212

Ainsi en 1954 et 1955 sont constituées les deux filiales de la CDC devant accompagner cette "volonté innovante" de François BLOCH-LAINE dans l'action immobilière et l'aménagement, la SCIC (Société Centrale Immobilière de la Caisse des Dépôts et Consignations) puis la SCET ( Société Centrale pour l'Equipement du Territoire".

La SCIC interviendra tant en son nom propre avec ses capitaux, comme à Sarcelles où se situeront ses premières interventions qu'en lien avec des collectivités locales dans le cadre de SEML- SAIEM (Société anonyme immobilière d'économie mixte).

La SCET interviendra comme conseil aux collectivités locales et animateur de leurs SEML dans le domaine de l'aménagement.

En effet, au-delà de la construction de logements et bien souvent en préalable, il s'agissait de disposer de terrains et tel que le signale Annie FOURCAUT: "La supériorité de la SCIC réside dans sa capacité à financer la

constitution de vastes réserves foncières en région parisienne, notamment

en pariant sur l'urbanisation de zones rurales gelées par le plan Prost; la Création de la Compagnie immobilière par la SCIC permet la collecte de fonds du 1% patronal et la construction dans les zones de développement futur de l'industrie ; la SCET complète le dispositif et la "CDC devient le seul

organisme français susceptible d'inscrire la production de logements dans une logique territoriale"213. François Bloch-Lainé, évoquant les débuts de la SCIC et l'esprit qui l'animait, explique: "Quand l'Abbé Pierre lance son

cri, notre "commando" est déjà sur pied. Quelques programmes sont prêts,

confiés à des architectes sous la houlette d'un maître d'ouvrage. L'équipe a dû acheter, un peu partout, et aux plus bas prix possibles, des terrains libres, avant tout plan d'aménagement de la région parisienne." 214La SCIC s'est en effet portée acquéreur de dix sept terrains en région parisienne, sur 115 hectares, porte de Versailles, porte de Vincennes, Pierrefitte, Bondy,Bagneux, Rueil, Montreuil, Argenteuil, tous à proximité de Paris et bien desservis par les transports en commun, à un prix raisonnable." 215

212

MARGAIRAZ, Michel. François Bloch-Lainé, fonctionnaire, financier, citoyen. Ministère de l'économie, 2005. p. 117.

213

LANDAUER, Paul. La Caisse des dépôts et consignations face à la crise du logement

(1953-1958).Histoire d'une maîtrise d'ouvrage, thèse de doctorat d'histoire de l'art sous la direction de

Danièle Voldman, Université de Paris 1, 2004, 2 vol, p. 154.

214

SCIC, une histoire en construction 1954-1994. Paris, SCIC, 1994, cité par Cathia Henry, La

construction de la résidence des Bas-Coudrais 1954-1962, mémoire de Maîtrise d'histoire,

Université de Paris 1, sous la direction d'Annie Fourcaut, 2005, p.38.

215

FOURCAUT, Annie. Les grands ensembles ont-ils été conçus comme des villes nouvelles? In Villes nouvelles et grands ensembles. Maison des Sciences de l'Homme (Histoire Urbaine n° 17), décembre 2006. p.17.

Cette "révolution tranquille" engagée par la CDC sous l'impulsion de son directeur général a ainsi permis de concrétiser les attentes tant de l'Etat que des populations, de rendre possible ce qui n'était jusqu'alors que du domaine du discours et de l'incantatoire.

I-1-5- LE DECRET DU 20 MAI 1955 ET LE