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COMMUNICATION- INFORMATION- CONCERTATION

I- 2-12- LA PRISE DE POUVOIR DES ELUS LOCAUX

Ce partenariat Collectivité Locale/ SEML qui permet à l'élu d'être le décideur allait ainsi bien au-delà des politiques de contractualisation octroyées par l'Etat qui maintiennent la suprématie du pouvoir de l'Etat, tel que le rappelle Jean Pierre Gaudin:

" En écho aux interrogations portées par Mai 68 puis aux perspectives décentralisatrices ouvertes en particulier par le rapport Guichard, les premières expériences de "partenariat" négocié entre l'Etat et des collectivités locales vont être lancés dès les années soixante-dix. Elles entendent substituer une démarche de projet aux classiques positionnements par rapport aux guichets de subvention. Mais en même temps elles entretiennent une, y compris à travers l'innovation administrative, une compétition récurrente entre administration de mission et de gestion. Voilà pourquoi c'est depuis la DATAR et le ministère de l'Equipement que sont lancées les premières démarches contractuelles qui concernent l'aménagement local: contrats de ville moyenne

en 1973 et contrats de pays sous l'impulsion de la DATAR ; contrats OPAH et contrats habitat et vie sociale, en 1977, aux bons soins de l'Equipement." 453

Indifférents à ces conflits de pouvoir entre la DATAR et le ministère de l'Equipement, les élus locaux souhaitaient maîtriser leur politique de développement et se servir de ces contractualisations pour financer leurs projets, au-delà des cadres définis par les administrations qui de mission ou de gestion demeuraient celles d'un Etat centralisateur.

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ROGNARD, Michel. (propos recueillis par Jacques DA ROLD). La lettre de la SEDSL n° 5 d'octobre 1983. p.1 et 2.

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La SEML était alors le levier opérationnel pour la mise en œuvre de la politique de l'élu, un moyen d'afficher son pouvoir face aux administrations nationales ou locales dépendantes des ministères.

Cette prise de pouvoir des élus locaux monta en puissance dés les années 1960 avec pour archétype l'exemple de Grenoble et d'Hubert Dubedout. " Hubert Dubedout fut l'exemple type du "hors machine", (parmi les hauts fonctionnaires managers qui furent les animateurs des "trente glorieuses"), ouvert aux problèmes de société par son appartenance à la Jeunesse Etudiante Chrétienne, puis à l'Ecole Navale et dans la résistance.

En arrivant à Grenoble en 1958, "ville de province", il découvre "les forces vives" et par l'entremise d'hommes comme Droulers à la CFDT ou Roiy à l'IEP, il entre en contact avec le milieu des Unions de quartier..et est tout de suite en prise directe avec les pionniers qui vont fonder les GAM (Groupe d'Action Municipale)." 454

Le GAM est ainsi né en décembre 1964, à la suite de plusieurs réunions qui se tiennent au début dans l'appartement même d'Hubert Dubedout, avec 4 ou 5 personnes puis dans l'arrière salle d'un café lorsque le nombre des participants s'est accru. " Un accord sur une option politique se fit sous l'influence des militants issus du PSU (Parti Socialiste Unifié) et de la CFDT." 455

Ce mouvement qui conduit Hubert Dubedout à la tête de la mairie lors des élections de mars 1965, avec une coalition d'élus issus des GAM, du PSU et de la SFIO, avait la Ville et ses rapports sociaux comme base du projet politique. " Ce changement de municipalité reflète, au niveau politique, les mutations sociologiques que la Ville a connues avec l'arrivée du Centre d'études nucléaires , dont Hubert Dubedout est l'un des dirigeants, puis du CNRS.

Le nombre de cadres et d'intellectuels a considérablement augmenté. Ce sont eux, avec d'autres, qui s'installent à la mairie. Ils veulent conduire à Grenoble une autre politique avec l'ambition de donner une nouvelle impulsion à la démocratie à partir de l'expérience communale. Pour cela, ils remettent en cause les rapports traditionnels de la ville et de l'Etat en cherchant à déplacer des champs de compétence de celui-ci vers celle- là, explorant déjà les pistes de ce qui deviendra la décentralisation.

Ils sont également très préoccupés par les problèmes d'urbanisme et de production de la ville….Ils mettent en avant l'importance des équipements intégrés, facteurs de réduction des "handicaps sociaux". Le "laboratoire

urbain" repose donc fondamentalement sur cette idée que, situé au carrefour du technique et du politique, l'urbanisme est l'un des facteurs constitutifs du cadre de vie. Par conséquent, il exerce une influence sur les rapports sociaux. Ce sera la base de la philosophie de la conception de la Villeneuve."

La "Villeneuve"456 de Grenoble Echirolles faisait alors figure d'exemple dans l'urbanisme de l'époque ; je la découvris lors d'un voyage d'études en 1976

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QUERMONNE, Jean-Louis. Les années Dubedout à Grenoble- Action Municipale:Innovation politique et décentralisation. la Pensée sauvage, 1998. p.16.

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BOLLE, Jean-Pierre. Les années Dubedout à Grenoble. Ibidem. p.37.

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le terme de ville neuve était utilisé pour signifier la différence avec les villes nouvelles de la région parisienne réalisées sous l'égide de l'Etat. La Villeneuve de Grenoble s'étendait sur les communes de Grenoble et d'Echirolles.

sous la conduite de Jean- Paul Baïetto qui prit la direction de la SADI ( SEM de l'Isère) en 1974.

" Elle représente sans doute un apogée de ce qui a pu être pensé et réalisé au cours des années soixante-dix dans l'urbanisme au service du plus grand nombre. …Changer la ville pour changer la vie, tel était le leitmotiv promotionnel du vaste chantier que le socialisme municipal de Grenoble entendait ouvrir avec son projet de ville neuve.

La Villeneuve de Grenoble est née d'une volonté politique urbanistique généreuse et réformatrice; elle en porte les caractéristiques. Les appartements spacieux, variés, sont prévus pour accueillir toutes les catégories sociales. Les plus pauvres sont aidés pour pouvoir y accéder et s'y maintenir. …

Les "coursives" internes, une trouvaille architecturale, reliant trois niveaux de logements entre eux, remplacent les trop classiques couloirs d'immeubles qui ne desservent qu'un étage à la fois. Ces coursives, par la concentration des flux d'habitants qu'elles entraînent sont censées engendrer une probabilité de rencontre plus grande et, partant, une plus grande et meilleure vie de voisinage. Au pied des immeubles et donc intégrés à l'habitat lui-même, les équipements collectifs sont nombreux et novateurs: écoles ouvertes et expérimentation pédagogique, centre de santé préventif, ateliers multiples de bricolage en tout genre, d'artisanat, de loisirs culturels, d'animation bien sûr, mais aussi de télévision de proximité pour donner la parole aux habitants…

Les façades ont été découpées puis peintes de couleurs vives et contrastées afin de briser toute impression d'uniformité, d'où le nom du premier quartier réalisé: le quartier de l'Arlequin.

Bien sûr cette Villeneuve de Grenoble n'était pas parfaite…Ses défaillances ne semblaient troubler ni la satisfaction affichée des concepteurs, ni même, et c'est ce qui importe, l'enthousiasme réel des habitants qui venaient s'y installer. Sur le plan local comme sur le plan national, voire européen, et à gauche comme à droite, nombreux furent les courants d'opinion et les hommes politiques qui virent dans la Villeneuve de Grenoble une réussite remarquable et l'avènement d'un authentique urbanisme démocratique." 457

Pour maîtriser ses projets politiques et permettre au pouvoir local de faire des choix, Hubert Dubedout , a pour le village olympique , malgré les délais impératifs, signifié à la SCET et à la SADI ses exigences concernant notamment le choix de l'architecte Maurice Novarina, abandonnant le projet initial d'Henry Bernard.

Par note du 27 mai 1966 adressée à la SADI, Hubert Dubedout précise clairement ses objectifs et affirme sa prise de pouvoir au niveau des décisions qui engagent sa ville.

" Ce document marque et date la volonté délibérée que manifeste la

commune vis-à-vis des processus d'élaboration de la ville en cours en France au milieu des années 60, tout en tenant compte des contraintes qui pesaient alors sur les choix locaux.

……, elle a pourtant l'aspect d'un manifeste.

Cette lettre de bilan et d'intentions …exprime quelques principes clairs qui guideront en permanence les choix de l'équipe municipale dans le domaine de l'urbanisme, ainsi en est-il de l'importance des études préalables et "l'impératif" du programme, de la pluridisciplinarité et du dialogue nécessaire entre tous les

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acteurs participants au processus de fabrication de la ville, de la volonté anti- ségrégative et de la participation souhaitée des habitants.

Ces options, qui pour certaines, se concrétiseront vite, comme la mise en place d'une agence municipale d'études urbaines, tendaient à affirmer la ville dans un rôle de partenaire majeur et déterminé de l'Etat et de la SCET, avec lesquels elle souhaite dialoguer." 458

Il s'agissait bien d'une rupture avec la prise en main par les élus locaux et particulièrement Hubert Dubedout de la SADI dans ses interventions grenobloises et surtout pour la réalisation de la Villeneuve. Une "équipe Villeneuve" interdisciplinaire, intégrant notamment des sociologues et des Chargés des Questions Sociales 459 , est mise en place avec l'Agence d'Urbanisme, la SADI , pour des raisons de facilité de gestion en assurant la direction.

Tel que le rappelle Jean François Parent, qui participa à cette "aventure", " la ville a alors constitué "son" équipe qui deviendra un peu plus tard "l'équipe Villeneuve". Entre élus et techniciens, plutôt jeunes, il y avait une idéologie partagée sans toutefois qu'il y ait adhésion des uns et des autres à des structures politiques communes. Dans ce cadre, ce sont évidemment les élus qui déterminent les objectifs et, in fine qui décident, mais les techniciens nourrissent les débats et proposent les traductions concrètes des choix arrêtés.. Vis-à-vis des organismes extérieurs de la Ville, Caisse des Dépôts, SCET, la promotion immobilière et l'Education Nationale, tous organismes partenaires plus ou moins réticents à l'innovation, celle- ci s'appuie sur la capacité de proposition de l'équipe (dont l'Agence d'Urbanisme et la SADI) pour faire poids ou contre poids à leurs plans ou propositions." 460

Ainsi la montée du pouvoir municipal, avec la prise en compte de l'urbanisme dans le débat politique local, s'accompagna de la "prise en main" par les élus locaux de leurs opérateurs locaux et notamment des Sociétés d'Aménagement qui interviennent sur leur territoire.

Ce fut effectif à Grenoble en 1965, ce le sera pratiquement dans la plupart des municipalités à l'issue des élections de 1971 et surtout de 1977.

Tel que le signalent Jacques Caillosse, Patrick Le Galès et Patricia Loncle-Moriceau "le passage des SEML sous le contrôle des collectivités locales a lieu à peu prés partout, mais ce mouvement prend des formes différentes et plus ou moins rapides. … Selon la taille de la collectivité locale, ses capacités financières, l'autorité politique du maire ou le poids des services municipaux, les

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DUCROS, Pierre. Les années Dubedout à Grenoble. Ibidem. p.61.

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DUPRE, Christian. De l'aménagement à une nouvelle gestion de l'espace urbain:

l'expérience CQS.Documents SCET du 2eme trimestre 1978, p.16: " Christian Dupré occupe le poste de CQS à la SADI depuis 1974: il est intégré au sein de l'équipe pluridisciplinaire de la Villeneuve et participe de ce fait à la conception et à la programmation du projet. Si le champ d'intervention de cette équipe est défini à partir du découpage opérationnel d'environ 2400 logements, pour mieux faire face aux exigences qualitatives des habitants, c'est à une tout autre échelle qu'elle a dû situer sa réflexion. Il lui a fallu rechercher des solutions nouvelles aux problèmes posés par l'amélioration du fonctionnement, non seulement au niveau du quartier de 2400 logements ( 2eme quartier compte tenu de l'expérience acquise sur l'Arlequin ( 1er

quartier): gestion technique et fonctionnement commercial, mais aussi au niveau de chaque unité de voisinage, et pour ce faire , repenser l'espace du logement à l'équipement de

proximité et intégrer des problèmes jusqu'alors rarement pris en compte à ce niveau."

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SEML auront une autonomie plus ou moins grande à l'égard des élus et de l'Etat. Les SEML ont été partie prenante du jeu complexe entre élus et préfets dans les années 70. Elles ont permis aux premiers d'entreprendre des opérations d'urbanisme et de développement, non sans solliciter parfois la légalité.

Grâce à leur capacité d'expertise et à leurs ressources, les SEML ont permis aux collectivités de se passer des services extérieurs de l'Etat. Elles ont ainsi anticipé les réformes de la décentralisation.

Les élus étaient prêts à utiliser ces outils lorsqu'ils ont acquis une nouvelle autonomie." 461