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DECENTRALISATION ET REFORME DE L'ECONOMIE MIXTE

I- 3-7- LES DERIVES MEDIATISEES SOUS FOND DE TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE

Peu fréquentes avant 1983, concentrées dans le secteur des transports et du stationnement, les SEM de service et de gestion sont maintenant les plus

nombreuses, leur nombre ayant été multiplié par 4 en douze ans.

Le nombre de SEM immobilières est stable. ..Le mouvement des SEM est né

dans ce domaine de la construction et, ce dès 1930. On peut estimer que le territoire a été couvert plus anciennement. En outre, d'autres opérateurs

proches des collectivités locales interviennent dans ce secteur, notamment les Offices d'HLM." 528

Ce constat et cette analyse correspondant à la période 1980- 1995 seront confortés pour les années suivantes, jusqu'à la période actuelle en ce qui concerne l'évolution des SEM de service et de gestion.

L'évolution du nombre des SEM d'aménagement demeure faible, malgré quelques "défections" de SEML communales et des regroupements liés à la mise en place des intercommunalités. Celles-ci couvrent l'ensemble du territoire métropolitain et DOM-TOM.

La baisse, en nombre, est plus significative pour les SEM immobilières du fait de fusions entre SEM d'aménagement et SEM immobilières et surtout de la concentration des bailleurs sociaux, qui profita aux Offices d'HLM et aux OPAC.

I-3-7- LES DERIVES MEDIATISEES SOUS FOND DE

TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE.

Cette évolution et notamment les possibilités de diversification furent confrontées dans les années 1990 tant à la crise économique qu'au climat "d'affairisme " qui accompagna certaines pratiques, marginales, de la vie locale et du financement des partis politiques.

La "transparence" de la vie publique et économique était devenue une préoccupation du gouvernement et le premier ministre Pierre Bérégovoy demanda le 22 avril 1992 au conseiller d'Etat Robert Bouchery de présider une commission "pour la prévention de la corruption".

Le rapport Bouchery ne limitait pas ses investigations aux SEML qui furent à l'origine de très peu de malversations et de procès.

528

DA ROLD Jacques le 21/11/2008 page 184 sur 506 Intégrant la région bordelaise à cette époque, la médiatisation de certains

"scandales locaux" tel celui de Villenave d'Ornon, apparaissaient sur le devant de la scène occultant ce que Robert Bouchery qualifiait, dans son rapport, de l'ordre éthique tel que la formation des agents publics, le "pantouflage"des fonctionnaires ou la transparence de la gestion privée, situations que j'ai connues, et dont j'ai parfois profité, durant ma vie professionnelle chez Jean Lefebvre, à la DDE ou en SEML tant en Saône et Loire, en Bretagne et en Aquitaine.

" La formation initiale des fonctionnaires à quelque niveau de la hiérarchie que ce soit, n'inclut pas, ce qui est regrettable, un enseignement précis et mobilisateur sur les comportements des agents publics. Le postulat a longtemps été que cela allait de soi, que l'entrée dans la fonction publique supposait un acquis, un sens de l'honneur, de la probité et du devoir suffisants. Il convient d'infléchir nettement cet à priori en prévoyant une formation appropriée dans toutes les écoles ou centres de formation de fonctionnaires. Cet enseignement est d'autant indispensable que la politique de déconcentration conduit à multiplier le nombre des responsables et des centres de décision….

Le "pantouflage" d'un fonctionnaire, ou plus exactement l'exercice par ce dernier de fonctions dans une entreprise privée, soit à la cessation des fonctions (limite d'âge ou démission), soit par mise à disposition de disponibilité, est un sujet qui alimente la chronique et laisse périodiquement planer, à tord ou à raison, la suspicion de corruption. L'opinion publique a pu s'émouvoir en effet de constater que tel ou tel fonctionnaire, ayant exercé en général de hautes responsabilités dans l'administration, quittait celle-ci pour occuper un poste, le plus souvent bien mieux rétribué, dans une entreprise avec laquelle il avait eu, directement ou indirectement, de prés ou de loin, des contacts dans le cadre de ses fonctions antérieures….

L'entreprise se trouve nécessairement au cœur de la plupart des affaires de corruption, soit comme victime, soit comme acteur…Sans remettre en cause les principes de libre concurrence et de discrétion qui doivent protéger la vie des affaires, il apparaît nécessaire de combattre certaines pratiques occultes qui favorisent la corruption, que l'entreprise en soit la victime ou l'auteur. " 529

Au-delà des corruptions des agents de l'Etat et des Collectivité territoriales qui se trouvaient au contact des entreprises, il apparaissait cependant nécessaire d'organiser le financement des partis politiques530 autrement que par le "truchement des entreprises de services publics " et en cela la loi " Sapin" de 1993, adoptée à l'issue du rapport Bouchery, se voulait efficace.

529

BOUCHERY, Robert. Prévention de la corruption et transparence de la vie économique. la Documentation française, 1993. p.27, 28 et 34.

530

la loi SAPIN n'aborda pas le financement des centrales syndicales alors que par exemple, le financement de la CGT ou la mise à disposition de ses "permanents" est régulièrement

dénoncé par la Cour des Comptes, notamment au travers du Comité d'Entreprise d'EDF; les "révélations" récentes de financement de la paix sociale par les Syndicats patronaux de la métallurgie sont également révélatrices de pratiques demeurées d'actualité.

DA ROLD Jacques le 21/11/2008 page 185 sur 506 Ayant eu à refuser de participer tant au financement d'officines tel le cabinet

Urba ou au "mécénat" de journaux électoraux du RPR et de l'UDF, même avec la promesse que le nom de ma société ne serait pas mentionné, je puis témoigner tout à la fois de la pression exercée et de la possibilité d'y échapper en s'appuyant sur le président de sa société, de quelque parti politique qu'il fut, et en acceptant de ne pas en percevoir les avantages et les conséquences pour d'éventuelles évolutions de carrière.

Pour les SEML, l'opacité dénoncée dans le rapport Bouchery concernait la pratique exagérée par certains maires des SEM mono- communales "bonnes à tout faire" :

" certaines de ces SEM n'ont qu'une existence fictive; elle sont domiciliées à l'Hôtel de Ville et privées d'un personnel propre" 531

et la participation croissante des SEM au capital d'autres sociétés privées: "Ainsi, parmi les sociétés d'économie mixte qui lui sont liées, la Caisse des Dépôts a relevé que le nombre des prises de participation dans des sociétés privées a doublé entre 1988 et 1990 passant de 80 à 175, dont plus de 40% sont des SA ou des SARL.

Cette imbrication apparaît clairement au travers du cumul des fonctions exercées par certains élus et agents publics; l'un d'eux étant à la fois PDG d'une société anonyme détenue par la SEM, directeur d'une association constituée par le district urbain et cliente de la société anonyme, ainsi que fonctionnaire d'encadrement de ce même district.

Cette évolution semble poser un double problème:

- elle rend plus difficile encore la perception du risque financier encouru par les collectivités au titre de leurs sociétés d'économie mixte;

- elle ajoute en complexité au suivi, déjà difficile, du circuit de l'argent public attribué aux SEM. " 532

Ces pratiques tant de la SEML communale "bonne à tout faire" que de la SEML aux multiples ramifications ont constitué des dérives par rapport à la fonction originale des SEML de mise en œuvre des "projets stratégiques" de la collectivité sous la maîtrise de ses élus locaux .

Ces dérives, ont souvent été liées aux possibilités de "diversification" offertes aux SEML après 1983 ou à l'absence d'implication de certains présidents de SEML, tel que j'ai pu le constater lors de missions d'audit notamment prés de la SEM de Seine et Marne. La SEML développait alors sa "propre logique' d'entreprise tout en faisant courir des risques financiers aux collectivités locales actionnaires.

Selon Yves Pivet, " La diversification a été la conséquence normale de la

libéralisation qui a suivi une longue période de réglementation contraignante. Mais les risques doivent être clairement identifiés afin de déterminer les conditions à remplir pour assurer une bonne maîtrise de la diversification." 533

531

BOUCHERY, Robert. Ibidem. p.86.

532

BOUCHERY, Robert. Ibidem. p.89.

533

PIVET, Yves (directeur adjoint à l'économie mixte de la CDC). Les SEML:la diversification d'activité et ses limites. AJDA, L'actualité juridique- Droit administratif, du 20 septembre 1993. p. 587.

DA ROLD Jacques le 21/11/2008 page 186 sur 506

Ce fut alors, sous forme de "revanche" face à un pouvoir local qui leur échappait l'occasion, une nouvelle fois pour les administrations parisiennes, de mettre "le secteur de l'économie mixte sur la sellette…. l'heure serait-elle au procès de l'économie mixte, alors que d'autres modes de gestion seraient parés de toutes les vertus? " 534

Dans son questionnement sur l'avenir et l'identité des SEM, Claude Devès signale qu'à la faveur de la décentralisation " des SEM plus partenariales associant capital public et capital privé sont apparues dans des secteurs divers, notamment ceux du tourisme, des loisirs, de l'immobilier sans que les fonctions véritables de ce partenariat soient clairement précisées. Différentes expériences malheureuses –dont le dernier rapport de la Cour des Comptes pour 1993 donne encore quelques exemples- montre bien le risque de dérive que comporte l'économie mixte locale lorsque les règles de ce partenariat ont été mal fixées.

Ainsi, l'exemple du montage du golf du Tronchet, en Ille et Vilaine, illustre parfaitement tous les écueils à éviter: la commune est de taille modeste, elle recherche un partenaire par voie d'annonce dans la presse régionale, l'apport au capital se fait , pour la commune , pour l'essentiel en nature, l'actionnaire privé minoritaire n'apporte pas de fonds mais des actifs corporels ( terrains) et incorporels, évalués de telle manière que la SEML est dès sa création débitrice. La réalisation du projet est financée en grande partie par des emprunts garantis pour 50% par des collectivités actionnaires (département, commune de Saint Malo) dont la participation (comme actionnaire) était surtout attendue pour garantir ces emprunts. L'exploitation du golf est confiée par bail commercial à l'actionnaire privé lui donnant pour neuf ans, moyennant un faible loyer, l'usage exclusif des bâtiments et terrains; les travaux d'aménagement sont confiés, sans appel à la concurrence, à l'actionnaire privé qui est entrepreneur de travaux publics. Trois ans plus tard, la SEM se trouve dans l'impossibilité d'honorer ses dettes et en 1991 elle est mise en liquidation judiciaire. " 535

Ce cas d'école signalé par Claude Devès montre bien que si l'équilibre des intérêts et des responsabilités entre partenaires privés et publics n'est pas clairement établi, la formule de l'économie mixte ne peut fonctionner; il en serait d'ailleurs de même de toute autre forme de partenariat public- privé.

Un partenariat public privé , quel qu'en soit la forme – SEML ou autre- et quels que soient les partenaires, chacun avec sa logique propre, doit s'établir avec un équilibre des intérêts et des responsabilités des partenaires clairement identifié.

Dans l'exemple du golf du Tronchet, étant lors de la création de cette SEML responsable de l'agence de Saint Malo de la SEMAEB (SEM d'aménagement de la Bretagne) j'avais été sollicité pour que notre SEM participe à ce montage. Je m'étais alors préoccupé, au-delà des aspects juridiques, de la fiabilité économique de ce projet qui postulait sur les bénéfices engendrés par

534

DEVES, Claude. Les organes locaux de la politique urbaine. AJDA – numéro spécial –Droit de l'urbanisme- bilan et perspectives- du 20 mai 1993. p.197 et 198.

535

DEVES, Claude. Les sociétés d'économie mixte locales: faut-il réformer la loi du 7 juillet 1983? AJDA. Du 20 septembre 1993. p.642 et 643.

DA ROLD Jacques le 21/11/2008 page 187 sur 506 l'immobilier intégré dans le projet pour financer les infrastructures du golf, à

l'instar de ce qui se faisait en région parisienne. Après enquête prés des promoteurs immobiliers locaux, il m'est apparu que le surcoût qui serait demandé aux acquéreurs de maisons pour financer les travaux du golf était trop élevé au regard du marché local qui offrait des possibilités sur la côte vers Saint Malo, alors que le golf était en "campagne" à 15 km. D'autre part le type de clientèle susceptible d'être intéressée par la pratique du golf préférait disposer d'une résidence sur la Côte, relativement proche, résidence adaptée aux différents membres de la famille ; cela s'avéra exact puisque, malgré les déboires de la SEM patrimoniale, la gestion du golf et son utilisation s'avéra satisfaisante. D'autre part, les imbrications entre le propriétaire des terrains, actionnaire privé, directeur de la SEM et entrepreneur me semblaient incompatibles avec ma vision d'une maîtrise par les élus locaux. Après cette étude du marché local et cette approche plus pragmatique que juridique, je déconseillais l'implication de la SEMAEB dans cette opération, ce qui fut pris en compte par mon président, par ailleurs vice président du Conseil Général. Pour des raisons de "politique locale" il ne put cependant empêcher le Conseil Général de s'impliquer dans cette aventure. Cet exemple est révélateur que la "légitimité " d'une SEM ne se situe pas dans son cadre juridique; au-delà des aspects juridiques, il convient de bien cerner ses objectifs et ses aspects économiques et financiers. Une SEM est une entreprise et sa création comme son évolution doivent prendre en compte le contexte économique dans lequel elle se positionne. Une telle affirmation peut paraître naturelle; elle nécessite d'être régulièrement rappelée et pour l'avoir ignorée certaines SEML notamment communales se sont retrouvées en difficulté.

Ni entreprise avec sa "logique propre" indépendante des attentes de ses actionnaires locaux, ni "bonne à tout faire" de projets mal identifiés et non maîtrisés financièrement, la SEML se présente bien comme une Entreprise au service d'un projet de développement local, maîtrisé par les élus locaux et l'appellation d'Entreprise Publique Locale, même si elle n'était pas d'usage dans les années 90, correspond bien à sa spécificité. Cet épisode de la Vie publique536, bien plus que de la vie des SEML permit cependant à celle- ci de clarifier leur rôle, sans qu'il soit besoin de légiférer, la refonte de la loi de 1983 ayant été écartée par la commission du rapport Bouchery, malgré les pressions des administrations et des "juristes", confortant ainsi l'idée que la SEML ne tire pas sa "légitimité" de la loi mais bien de la pratique et de l'usage qu'en font les élus locaux.

Tel que le soulignent tout à la fois Yves Pivet de la CDC:

" Les débats suscités par cette loi ont au moins eu le mérite d'attirer l'attention sur la nécessité de plus de vigilance et de transparence de la part des sociétés d'économie mixte locales.

La Caisse des Dépôts et Consignations, actionnaire de 450 SEM locales, avait fait ces recommandations depuis plusieurs années, mais avait quelques difficultés à se faire entendre…

536

le rapport Bouchery concernait tous les aspects de la Vie Publique , bien au-delà du monde de l'économie mixte, même si celui-ci fut souvent "médiatisé" par la "mise en cause" de certains élus locaux; il abordait notamment les associations, les agences d'urbanisme, l'urbanisme commercial….

DA ROLD Jacques le 21/11/2008 page 188 sur 506 Depuis, l'évolution des idées a été rapide si l'on en juge par les interventions

faites au congrès de la Fédération nationale des Sem de novembre 1992 placé sous le double thème de la performance et de la transparence…" 537

et Patrick Le Galès qui, après avoir analysé certaines dérives notamment dans la maîtrise des élus locaux de leur SEML conclut positivement tout en souhaitant que la souplesse d'intervention de celles-ci soit préservée:

" On a observé ces dernières années une reprise en main par les collectivités locales de leur outil. Elle s'est d'ailleurs souvent traduite, dans un premier temps, par l'abandon de la concession, comme mode de réalisation des opérations d'aménagement, au profit du mandat. Ce phénomène s'inscrit dans un mouvement général de surveillance accrue de leur activité….Il ne faudrait d'ailleurs pas que, par des contrôles tatillons et une hypertrophie du droit, les modalités de gestion des SEML ne se calquent sur celles fort rigides des collectivités locales. Autant certaines mesures de clarification des mandats, de publication des comptes, de limitation de la diversification, de communication des débats peuvent améliorer leur gestion et renforcer en pratique leur capacité d'action , autant certains contrôles peuvent constituer des entraves ; et la limite entre les deux est difficile à cerner.

Il ne faut pas oublier que, même si certains agissements des SEML furent fort critiquables, elles sont depuis la décentralisation, un instrument important du renforcement du pouvoir local." 538

I-3-8- LA REVOLUTION SILENCIEUSE DES SERVICES