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L´ECLAT DES RUPTURES (1948-1967)

JORDANIEN DE L´ESPACE ET DE LA VILLE (1948-1967)

1.3.1. Un urbanisme peu inspiré

La présence jordanienne en Palestine durant ces deux décennies d´après-guerre est un mode d´occupation peu étudié, laissant peu d´archives et de traces. Est-ce parce la période n´a pas vu de transformations urbaines ou que le projet de gouvernement fut peu lisible ? On doit parler d´administration plutôt que de gouvernement dans la mesure où la prestation jordanienne apparaît, notamment sur le plan urbain, peu productive. A la différence du mandat anglais, elle implique peu de politiques de développement du territoire et peu d´orientations politiques. Au volontarisme de la période anglaise échouant, on l´a vu, à bien des endroits, succède une gestion urbaine immobile d´autant que l´espace est désormais divisé. Les deux parties de la Palestine historique se construisent en vis-à-vis. Le contraste est saisissant : à l´ouest, Israël a mis en place les politiques foncières et d´habitat sur les terrains publics. A Jérusalem les

41 Jérusalem arabe perd 5000 habitants entre 1947 et 1961 et passe de 65 à 60.000 habitants, selon Al Hussein,

The encyclopaedia of Palestinian Cities, Damascus, Department of Culture, PLO, 1990. Les autres villes demeurent

inférieur à 20.000 habitants

condominium et cités d´habitat social voient le jour sur les terrains publics de Talpiot. A l´est, aucune initiative publique en matière d´aménagement urbaine n´a vraiment lieu. En 1945, l´état d´urgence n´est pas aboli sur la Transjordanie et l´administration militaire est maintenue par le Roi Abdallah. Sur le plan civil, une tutelle institutionnelle, sorte de gouvernement à distance est préférée à un gouvernement civil palestinien qui aurait conforté le leadership des notables, des entrepreneurs et les revendications nationalistes palestiniennes43 et aurait disqualifié la souveraineté des jordaniens sur la province. En cela les Jordaniens tirent la leçon des Anglais. Une certaine élite accepte dans un jeu d´alliances de participer au nouveau gouvernement «à distance » basé à Amman au sein au sein du département des Affaires Palestiniennes (où sont aujourd´hui conservées les archives sur la période). Des notables comme les Tuqan, Nashashibi, Faruqi, Khatib rejoignent les cabinets ministériels jordaniens. En 1951, tous les offices de décision sont transférés à Amman à l´exception de la chambre de commerce, du Conseil musulman suprême. Sur place une administration militaire locale est installée et trois gouvernorats (Naplouse, Hébron Jérusalem) dotés de services généraux, sanitaires et agricoles et de travaux publics. Gamal Tuqan est nommé chef de l´administration de la Cisjordanie et Aref al-Aref maire de Jérusalem. Au-delà de Jérusalem, une vingtaine de Municipalités fonctionne et les mukhtars assurent la médiation dans les villages44. L´administration de Gaza est similaire, à ceci près que Gaza a un gouverneur militaire égyptien, jusqu´en 1967 avec une administration civile palestinienne installée sur place et un Conseil exécutif national formé en 1960. L´Egypte n´a jamais annexé Gaza et s´en désintéresse. Elle s´en remet donc aux services locaux et notables notamment au maire de Gaza (Raghib al Alami) pour réguler un minimum la vie de 170000 urbains.

43 C´est parmi d´autres, l´analyse sur la politique jordanienne de l´historien Mishal, «Conflicual pressures and Cooperative Interest : Observations on West Bank, Amman Political Relations, 1949-1956 », in Palestinian

Society and Politics, J. Midgval, (ed.), pp. 170-184.

44 Le découpage des 350 villages et municipalités avec à leurs têtes, mukhtars et maires est maintenu à l´exception de quelques villages devenues municipalités et inférieures à 5000 habitants. Les municipalités sont au nombre de 25.

1.3.1.1 Jérusalem et son double : Amman en Jordanie

De là deux conséquences sur la gestion urbaine. Le «palais», les instances se tiennent à Amman, disqualifiant les sphères du pouvoir local. Les municipalités et l´administration civile perdent de leur influence et l´élite un peu de son leadership. Quand elle existe la politique des espaces est définie à Amman au service des Travaux Publics, dont le Ministre est le Nabulsi Ahmad Tuqan, ingénieur civil. Mais il n´existe pas de service d´urbanisme. L´urbanisation et la gestion des villes n´est pas la priorité des jordaniens qui sont peu soucieux d´aménager et d´investir en Palestine. La raison de l´immobilisme pourrait d´abord tenir à l´éloignement d´Amman de Jérusalem, coupée aussi de son arrière pays. Mais pas seulement. Amman apparaît peut-être comme le nouveau cœur de substitution, le miroir de la Palestine depuis 1948, une ville transfuge de l´élite palestinienne qui se reproduit en Jordanie45. Architectes, ingénieurs palestiniens qui exerçaient, parmi d´autres, dans l´administration anglaise, se sont installés en Jordanie. Et c´est ce miroir vivant que l´administration souhaite conforter au détriment de Jérusalem. La manière dont les Jordaniens et les Egyptiens délaissent la Palestine pour ce qui est de l´aménagement urbain est encore à chercher dans un autre motif. En 1949 le département (muhafetha) est redevenu arabe, sans présence étrangère européenne et juive sans internationale urbaine. C´est là une donnée essentielle. Peut-être que, puisqu´aucun projet de planification ne s´exerce de l´extérieur, plus aucune politique urbaine ne s´impose.

Le cadre juridique et urbain que les anglais avaient mis en place n´est pas remis en cause. L´héritage britannique n´est pas contesté car, dans la période, le développement urbain mais aussi rural est secondaire. La politique de l´espace qui incombe aux seuls Jordaniens tient à une chose : l´équipement minimal en infrastructures46 et la préservation de Jérusalem dans sa morphologie existante.

L´administration accorde aux Municipalités palestiniennes par la loi 29 de 1955 des responsabilités élargies (dans la gestion de l´eau et d´électricité et dans la planification,

45 Les historiens du mouvement national (comme Picaudou, Khalidi, Sayyed) ont souligné l´absence de leadership en Palestine dans les trois décennies et c´est à Amman que s´organisera l´OLP.

46 Nous nous appuyons ici sur les documents administratifs jordaniens : annuaires, budgets et sur certains des rapports d´activités du département des Affaires Palestiniennes.

le maintien de la salubrité etc.) comme pour le reste du Royaume Hachémite47. Mais pour ce qui est du domaine urbain l´administration n´a pas renouvelé les instruments anglais de la période précédente qui sont intériorisés, débarrassés quelquefois de leur aspect créatif ou moderne.

1.3.1.2 Du bon usage de l´urbanisme anglais

En Cisjordanie comme en Israël, où la loi anglaise sur l´urbanisme et la construction de 1936, elle aussi ne fut amendée qu´en 1966, l´esprit du physical planning demeure. Kendall devient même le conseiller du gouvernement Hachémite installant son office rue saint Georges, à côté de l´institut archéologique Fulbright. Kendall attend 1966 pour modifier la loi de 1936. Jusque là, il maintient l´ensemble du dispositif de planification : même organisation territoriale avec un comité régional, même principes d´urbanisme répliqués de ville à ville. A Jérusalem, aucun nouveau schéma urbain n´est donc renouvelé depuis le RJ5 de 1942. Les idées anglaises sur les pôles de croissance du Mont Scopus, de Sheikh Jarrah, que Geddes puis Kendall avaient imaginé lotir, ne sont plus porteuses ou ne trouvent pas de point de concrétude. Il faut dire que sur le passage de la ligne verte, la plupart des terrains publics ou privés à forte valeur sont gelés ou démilitarisés, sur le Mont Scopus, Sheikh Jarrah, Porte de Jaffa et sur une bonne partie de la route de Naplouse. Et deux autorités municipales, deux politiques s´appliquent désormais d´Est en Ouest, aux confins de la ligne de démarcation.

A Jérusalem-Est, seul secteur d´initiative, les nouvelles constructions commerciales standardisées en ciment copient les constructions de l´après-guerre européenne et sont concentrées sur l´axe principal de la rue de Salah Eddin. La gare de bus est installée sur les franges de la porte de Damas et Salah Eddin. La famille Nashashibi a construit le Palace Hôtel (devenu le Hyatt après la réunification). Des immeubles de facture moderniste sont apparus (comme l´Ambassador ou le cinéma Alhambra route de Sheikh Jarrah) et à Bâb al Zarah secteur résidentiel bourgeois. Au sud et à l´est de Jérusalem (Al-Zariyyah, Abu dis, A´Tur), les villages sont délaissés car

47 Collection of Laws and Regulations , Law 29, Haschemite Kingdom of Jordan, Ministry of Interior, Department of Municipal and Village Affairs, pp.107-113. Repris par A. Coon, Town Planning under military occupation, Aldersshot, Darmouth, 1992.

pauvres et de relief escarpé48. Au Nord, Shu´fat, Beit Hanina, Ramallah et Bireh contigus, s´urbanisent mais de façon sporadique. Des palestiniens émigrés se sont fait aménager les premières villas modernes d´ingénieurs, aux formes quelquefois intéressantes et syncrétiques, avec une combinaison d´influences occidentales, moyen-orientales et modernistes en pierre de taille ou ciment49. Le reste de la Cisjordanie ne dispose pas de schéma de développement à jour en dehors de celui de S15 de 1942, qui liait la Samarie à la mer et qui s´applique à toute la Palestine.

A Naplouse comme à Jérusalem et dans les autres villes de Ramallah et Al Bireh, Kendall et ses ingénieurs ont conservé la loi sur les hauteurs, sur les surfaces d´implantation50, la loi sur les alignements le long des rues principales. Aucune nouvelle régulation ou mesure sur la restructuration foncière pour la réalisation de voiries ou pour la programmation d´espaces publics n´est introduite. La question urbaine est inchangée51. Le schéma régional S15 de Kendall s´était surtout concentré sur Naplouse et la mairie a jusqu´à ce jour conservé les archives du plan. Une échelle de la ville peut être maintenue inspirée des tracés de Kendall : la ville de 40.000 habitants en 1948 ne connaît pas de forte croissance, utilisant son fond de vallée, où les familles chrétiennes se partagent le secteur rural de Rafidiah52. Dans la ville de Gaza aucune loi de planification n´est rétablie depuis celle égyptienne de 1934. La ville s´ouvre sur l´axe de al Wahsah menant à la mer et l´urbanisation qui va de la Grande Mosquée Omari à la mer grignote les terrains agricoles53.

48 Ceux de Silwan, Ras le Hamud ont été incorporés à la Municipalité de Jérusalem par le Royaume Hachémite.

49 comme les très modernistes villas de l´ancien maire de Ramallah, et celles d´autres notable de Al-Bireh.

50 Cinq étages en front de rue, trois à l´intérieur des parcelles en villas ou unités groupées.

51 En 1966, soit un an avant l´occupation Kendall commande à l´école Polytechnique de Tchécoslovaquie des relevés aériens et photogrammétiques mais qui ne seront pas achevés, selon M. Benvenisti, dans West Bank

and Gaza Atlas, Jerusalem, American Enterprise for Public Policy Research, Washington,1988, 1988, op.cit.,

p.58.

52 On se base entre autre sur les photographies aériennes consignées par J.Kedar, Aerian Pictures of Israel, Muncipality of Jerusalem, 1990.

Figure 33 : Shéma régional de Jérusalem de 1942 en vigueur jusquén 1967 (urbaniste : H. Kendall)

Source : fonds Ansari, Jerusalem 1.3.1.3 Les ingénieurs dans la cité

Le développement de la Palestine et de ses villes est plutôt lent et n´entraîne ni spéculation ni planification, ni conflit de modernité. Les villes, notamment Jérusalem, Bethléem, traversées par la ligne verte sont disqualifiées par le principe de séparation et

sont à un point de croisement entre besoin de modernisation fonctionnelle et immobilisme.

A entendre les ingénieurs exerçant dans la période54, on peut penser qu´un domaine de savoirs techniques et fonctionnels s´est constitué puis transmis dans le concret de la gestion urbaine et des réalisations d´ouvrages publics. On réalise bon nombre de systèmes d´assainissement, la viabilisation de routes, notamment parce que les municipalités ont des compétences en infrastructures. Et le corps local des ingénieurs s´est conforté ou formé dans la période, notamment au sein du service des Travaux Publics de Jérusalem dirigé par Kendall, ou ceux des municipalités employant des ingénieurs qui ont été formés à l´étranger. Le service technique de Jérusalem qui compte 12 ingénieurs n´emploie pas d´urbanistes en dehors de Kendall, mais des ingénieurs civils et architectes formés quelquefois en Europe. Le service met en place le plan de voiries, un plan de lotissements à Beit Hanina, dessinent les équipements publics comme la poste, la cour de justice à l´entrée de Salah Eddin. Plusieurs des ingénieurs travaillant avec Kendall ont constitué leurs propres agences indépendantes. Pour une clientèle privée, ils construisent les premières villas simples fonctionnelles. L´exemple le plus significatif est celui de Joseph Khouri, chrétien né à Jérusalem (Baq´a), exilé en 48, formé comme ingénieur aux Etats Unis et revenu en Palestine. Ingénieur civil en chef à la Municipalité, il a créé en 1958 son bureau d´études et s´est associé à George Baramki, autre ancien ingénieur municipal.

De l´activité locale publique et privée, de celle des waqf-s qui a un service Architecture, naît le Bureau des Ingénieurs Palestiniens dont Joseph Khouri est le responsable. Il est rattaché au Syndicat des Ingénieurs jordaniens créé en 1958, lui-même affilié à la société des ingénieurs arabes basée à Alexandrie, celle-ci comprenant aussi la branche de Gaza. Néanmoins, on ne peut parler d´un milieu de bâtisseurs et d´un champ urbain constitué. Les architectes ingénieurs palestiniens sont encore peu nombreux : on en compte une cinquantaine enregistrés à Jérusalem généralement

54 Nous nous basons sur nos entretiens avec les ingénieurs civils notamment Joseph Khouri, Georges Baramki, Razik Khoury.

formés à l´étranger55. Mais on parlera d´une capitalisation d´expériences et de connaissances acquises directement aux côtés des urbanistes et fonctionnaires anglais, dans le creux de leurs savoirs techniques et militaires ou dans le passage du Mandat à l´administration jordanienne. Par contre, peu de circulation d´idées, d´échanges intellectuels semble avoir lieu entre les ingénieurs palestiniens, Kendall, et les architectes israéliens ou ceux des Palestiniens devenus Israéliens56.

Figure 34 : Villa des années 50 sur la ligne verte à l´entrée de Bethléem Image : G. Dupin

55 A l´Université américaine de Beyrouth comme Razik Khoury, ingénieur municipal à Ramallah ou Abdelkrim Youssef Abid au Collège royal de Bruxelles comme Jalil Aaacha de Jérusalem. Source : Annuaire des Ingénieurs en 1953, publié par le Syndicat Jordanien des Ingénieurs.

Figure 35 : Eglise à Al-Al-Bireh (Rammallah) construite vers 1950 Image : G. Dupin (2003)