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EN PALESTINE ARABE, LA RENCONTRE MANQUEE AVEC L´INTERNATIONALE URBAINE

DE L´INDEPENDANCE PALESTINIENNE

3.3.3 Les valeurs de l´indépendance

Toutes ces oppositions de clans pour le contrôle des instances politiques et les fluctuations d´alliances avec les Anglais, ces rivalités géographiques dans le patriotisme n´allaient pas dans le sens du développement territorial et encore moins du développement urbain ni même de la mise en projet d´un discours politique. Le maire Musa Kazem Pacha al-Husseini, ou le mufti Amin apportent peu d´importance à la gestion urbaine au-delà des waqf-s, préférant le patronage. Nashashibi, de formation technique, développe les services minicipaux mais semble peu se consacrer aux services urbains, à l´urbanisme. Mais il accorde une importance à la qualité de ses constructions personnelles à Sheik Jarrah, Talbieh, avec une architecture orientale soignée et fit réaliser un lotissement privé à Sheikh Jarrah61.

L´urbain ne fera t-il jamais partie du discours des élites et des dirigeants de l´exécutif arabe ? Il semble bien en effet que la ville, comme fabrique de projets ou d´objets n´a jamais pu émerger au sein d´un contexte politiquement situé et centré sur la question de l´indépendance nationale, mais sans que celle-ci donne nécessairement lieu à des propositions techniques. On sait que la demande politique des arabes était celle d´un gouvernement national indépendant. Les arabes palestiniens refuseront d´ailleurs de siéger au Conseil législatif proposé par les Anglais et censé représenter les trois communautés dès 1922.

«Les Turcs gouvernaient mieux que les Anglais» commente Mussa Kazim al Husseini au nom du Congrès Arabe Palestinien, dans un des premiers rapports au haut Commissaire Herbert Samuel et «L´administration anglaise n´a pas de fondement politique» 62.

Pour les Anglais, c´est l´amélioration globale des conditions de vie des arabes, et non le rapport politico-ethnique, celui-ci étant défavorable aux arabes, qui doit permettre de prendre la mesure du changement. C´est là une conception qui heurte de

61 Contenant des immeubles de très grande qualité aujourd´hui occupés par les services consulaires ou les descendants de la famille Nashashibi.

plein fouet celle des Palestiniens, urbains ou ruraux. Pour ces derniers, la tutelle anglaise a mis à jour les dépossessions de leurs terres, creusé les écarts entre société rurale et urbaine, entre propriétaires notables et fellah prolétaires, et concomitamment entre juifs et arabes.

A maintes reprises, à partir de 1925, l´exécutif arabe représentant les différents groupes politiques nationalistes et les notables a exprimé, par écrit dans des rapports au Haut Commissaire, le vif ressentiment de la société palestinienne, face à l´administration anglaise, jugée despotique et partiale tant dans ses décisions que dans son mode de fonctionnement. Celui-ci est considéré comme privilégiant le recrutement juif, alors qu´aucun arabe n´accède aux responsabilités, à la formation et le développement économique juif, et que rien n´est fait pour aider les arabes63 :

«Toutes les industries juives sont aidées par les anglais à la différence de l´économie locale qui ne reçoit aucun subside. Et finalement tout le secteur productif est aux mains des juifs» rapporte Husseini64 parmi les arguments en faveur de l´Etat palestinien qui seront soumis aux Commissions royales successivement dépêchées sur place.

En 1936, l´exécutif arabe dont certains membres sont des fonctionnaires écrit un mémorandum à la Couronne concernent l´arrêt de l´immigration juive massive, la fin du transfert foncier. En 1935, 40% des terres cultivables65 du pays ont été acquises par des propriétaires juifs. Et suite au rapport de la commission Peel de 1939, dans le contexte de la révolte arabe les Anglais seront obligés de limiter les transactions foncières66.

63 L´historien israélien Dan Barat, dans Illustred Atlas of Jerusalem, Municipality of Jerusalem, 1976 argumente au contraire qu´au sein de l´administration anglaise, 66% des emplois sont confiés à des arabes, alors que les juifs représentent 52% de la population puis 60 % en 1947. En fait, le recrutement dans les services publics (poste, chemin de fer, ports) n´est pas mixte. Pour les travaux publics, dans les zones à dominante juive, les travaux sont confiés aux juifs et dans les zones à prédominance arabe, aux arabes, selon le Rapport Commission de 1937, op.cit., p320.

64Les différentes Commissions Royales examineront très largement la requête des services royaux la question de l´équité des crédits gouvernementaux affectés aux services publics juifs ou arabes, tout comme celle du choix de faire travailler ensemble juifs et arabes dans les administrations. A chaque fois, constatant l´antagonisme des modes de faire et de vivre, elles optent pour une gestion des interventions séparées (recrutement, crédits alloués).

65 Selon Palestinians, the making of a people, op. cit., p.59.

66 En zone A couvrant la Samarie, Beer Sheva et Gaza, il devient interdit de vendre à un juif. En zone B les transactions sont permises partiellement, pour les besoins de l´irrigation. La réglementation adoptée en 1939 doit permettre de sauver l´agriculture d´autosubsistance et de la structure foncière en limitant les échanges fonciers.

3.3.1.1 La campagne nationaliste. La ville n´est pas un enjeu politique, ni professionnel

Au sein des discours nationalistes, aucune orientation pour le développement de la Palestine indépendante, et encore moins une vision urbaine ne transparaissent. Force est de constater que la question urbaine, le sens à donner à la croissance des villes dans le cadre d´un Etat Indépendant n´est pas un objet de discours, d´engagement professionnel ou technique pour les acteurs sociaux et politiques. D´une part, la question de l´immigration et celle du foncier occultent constamment les réflexions sur la forme que doit prendre un Etat arabe, y compris dans ses aspects urbains. Et force est d´admettre, si l´on s´en tient aux communiqués de l´Exécutif arabe que les revendications en faveur de la création d´un Etat palestinien ne peuvent être qu´exclusivement politiques, sans contenu social et économique.

D´autre part, c´est une vison centrale qui émane du Conseil exécutif, représentant le peuple palestinien, musulman et chrétien. Aucune revendication ne semble émerger des corporations comme celle des ingénieurs, qui ne se structureront qu´à partir de la deuxième guerre67. Enfin les services publics ou les activités urbaines sont de plus en plus perturbés et dans les années de révolte à partir de 1930, la municipalité fonctionne de façon sporadique.

Quand arrivent les appels à la grève, accrus à partir de 1935, et avant le stade final de la proposition d´un Etat arabe de 1939, la protestation a gagné tout le corps social. C´est la Société des travailleurs palestiniens, la seule organisation arabe créée en 1925 à Haïfa, qui la première a émis l´appel à la grève. Comme l´ont bien décrit Kimmerling et Migdal, l´association des travailleurs a émergé en ville, dans les poches ouvrières de Haïfa et Jaffa. En 1945, les dix sept branches de la Société des travailleurs arabes compte 150.000 membres. Mais elle laisse de côté l´entité professionnelle des ingénieurs architectes. Ceux-ci sont pris entre leur désir d´indépendance et leur obéissance a l´administration, quand ils travaillent au sein de cette dernier, hésitent aussi

67 Sur ce point nous nous basons sur les discours de l´Exécutif Arabe synthétisés par exemple par Henry Laurens, dans La Question de la Palestine, L´invetion de la Terre Sainte

entre le séparatisme prôné par le Mouvement national et l´ouverture aux marchés ou aux cultures occidentales.

Quand l´opposition au régime anglais et la lutte pour l´indépendance de la Palestine arabe se sont étendues au-delà du Jourdain en Irak, en Syrie et Transjordanie, les ingénieurs et architectes rejoignent le Syndicat des Ingénieurs arabes, se rendent au premier congres d´Alexandrie en tant que représentants palestiniens en 1945. Il y a bien là un triple démarquage régional : d´une part, la marque de l´identité palestinienne émerge au sein du panarabisme ou du nationalisme arabe (qawmiya) et d´autre part le séparatisme avec les professionnels juifs, autant pour des raisons politiques et culturelles devient formel. Il n´y a plus de probabilité de voir se regrouper à l´échelle des villes de Haïfa ou Jaffa, les plus perméables ou à l´échelle d´une fédération bi-ethnique les architectes juifs et arabes.

Pour le reste, on sait que le mandataire à la fin des années 1930 ne sera plus en mesure de réguler le développement désormais séparé entre juifs, ni d´enrayer la révolte des arabes68. Le mécontentement arabe autour des nationalistes palestiniens jusqu´à la révolution palestinienne (al Thawra) d´avril 1936 enchaîne sur quatre années de violences, d´arrestations. Le mandat est «à l´agonie»69, les Anglais épuisés par les fronts de guerre en Palestine et en Europe. Ils abandonnent leur Mandat, suspendent les institutions municipales, les élections. La seconde guerre mondiale a peu de prise dans les villes déjà perturbées voire détruites par les combats de la Haggadah juive et la Résistance, ni sur le nationalisme au jour le jour. Mais elle laisse en 1945 un conflit non résolu, ni par la Communauté Internationale, ni par les nations arabes, celles-ci refusant en 1947, le plan de partage de la Palestine adopté par les Nations-Unies au terme de dix années de révoltes.

68 N. Picaudou, rappelle l´appel de 1944 du Sheikh Abd al-Qader à la Mecque appelant à la sacralité d´al-Aqsa menacé par le sionisme, dans Identité-mémoire et construction nationale», in Picaudou (dir.), «La Palestine en transition », Annales de l´Autre Islam, n°8, Paris, ERISM, INALCO, 2001, pp.339-36, op.cit., p 351.