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LE MANDAT ANGLAIS EN PALESTINE : LA DERNIERE PRESENCE DES LUMIERES AU LEVANT

1.1 L´IDEAL CONTROVERSE DU PROGRES

1.1.2. Les apôtres de l´émancipation

«Les Arabes sont hostiles à la modernité occidentale» avait noté le consul de France et archéologue Botte, en 186515.

Les Anglais comme les chrétiens, et les pionniers juifs demeurent eux aussi des occidentaux, et sont étrangers aux cultures locales. «L´administration d´un pays étranger ne s´improvise pas16». Les Anglais trouvent moins facilement que les Turcs ottomans, une légitimité. Ces derniers avaient dû apprendre à s´adapter à la population qu´ils administraient n´étaient pas de souche sémite et étaient facilement qualifiés de despotes, tout comme ils négligeaient les intérêts communs. Mais ils avaient peut-être l´avantage d´être, à la différence de leur successeurs anglais, de confession musulmane.

15 Citation de D. Dorsay, The roads and Highways of Ancient Israel, Jerusalem Rockfeller Fundation, 1978.

Le Haut Commissaire Herbert Samuel commente à son arrivée en 1917 :

«J´ai été dans les coins les plus reculés, les villages étaient excessivement pauvres sous 400 ans de règne ottoman, des villages construits sur des collines, sans équipement sanitaire, sans électricité, sans route. On voit seulement des paysans arriérés sur leurs ânes et des riches à cheval […] Le paysage est ancestral et biblique.[…] Le Gouvernement a commencé à délivrer des prêts agricoles, fait des visites pour recouvrer les impôts, mais il faut se faire aider de la police».

L´ordre colonial et son désir de progrès reviennent en ce point de constat des faibles capacités de la société locale. En dressant le bilan de l´administration ottomane au terme de deux premières années d´administration provisoire dans son rapport de 192218, la Commission royale rend compte du retard économique de la Palestine intérieure, du désordre et de l´inertie administrative. Elle constate les faibles rentrées fiscales, l´inefficacité du découpage territorial turc19 qui n´emboîte pas les identités spatiales, la prégnance d´un ordre rural jusque dans le sociétés urbaines. Elle note également le désordre du système de prélèvement sur les terres et surtout la persistance de féodalités dans les villes (Naplouse, Djénine, Tulkarem) réfractaires à toute réforme, au pouvoir centralisé du Walli (gouverneur turc) et fermées à toute pénétration occidentale.

Pour qu´intervienne la modernisation, il faut nécessairement rendre possible de nouvelles perceptions et instaurer de nouvelles normes techniques et rationnelles. Pour les Anglais, le désir de progrès avant même ou à défaut de s´appuyer sur la société arabe, doit se diffuser dans les sphères administratives institutionnelles, dans des domaines de projets : planification, équipements, hygiène et de savoirs : éducation, foncier, jusqu´à pouvoir pénétrer lentement les sociétés locales, leurs dirigeants au but avoué de leur émancipation. L´idéal du progrès civilisationnel, porté par la présence mandataire, passe d´abord par un ordre technique.

17 In British Lives in Palestine, 1918/1948, A, J Sherman, Edition Thomas and Hudson, 1998, op.cit., p. 61.

18 In Palestine Royale Commission Rapport par le Secrétaires d´Etat aux colonies, Office Majesty´s, 1921. D´autres rapports triennaux suivront. Nous nous réfèrerons constamment à ces rapports pour les analyses qui suivent.

19 Le sandjak de Jérusalem est indépendant des trois autres sandjak de Beyrouth Acre, Naplouse, dépendant de la préfecture (wilayet) de Beyrouth. Plus de pouvoirs avaient été accordés en 1908 aux Municipalités aux conseils de village et aux mukhtars (chefs de village) rétribués traditionnellement par le pouvoir régional. La collecte des impôts n´est plus assurée par les fermiers effendi mais par les mukhtars.

1.1.2.1 Une administration locale et universelle

Tout de suite, le gouvernement mandataire a souhaité ordonnancer la gestion laissée par les Turcs, moderniser le territoire, introduire une nouvelle légitimation technique sans vouloir nécessairement remettre en cause l´ordre politique existant. Le découpage administratif ottoman est modifié car il ne paraît pas possible à l´administration coloniale de gérer 21 districts qui ne sont pas opératoires et qui entraînent des dépenses de fonctionnement. L´administration anglaise réorganise trois districts : Jérusalem qui comprend Jérusalem, Jéricho, Ramallah et Bethléem. Le district du Sud comprend Gaza Jaffa, Beer Sheva, Ramleh, celui du Nord, Haïfa Tibériade, Safed, Naplouse, Janine, Tulkarem, et Nazareth20.

En rationalisant de la sorte l´organisation des régions, des disparités n´apparaissent pas entre les villes côtières et centrales : Jaffa ou Haïfa et Jérusalem, mais aussi entre la Palestine urbaine et intérieure ? Dans cette dernière, l´administration qui compte en tout plus de 2400 fonctionnaires et l´élite technique ou intellectuelle sont moins implantées que dans les centres urbains. A Jérusalem, le District de Jérusalem abrite les administrations centrales : cabinet du Commissaire, Secrétaire général, affaires juridiques, inspecteurs généraux des départements d´Archéologie, travaux publics et urbanisme, hygiène et santé. Ce dernier avait été créé dès 1918 par l´administration provisoire militaire, suivi des affaires sociales et des travaux publics en 1920. Les services de l´hygiène et des travaux publics, chargés également des questions d´assainissement, électricité, transports, habitat et eau sont déconcentrés dans les trois districts.

Une administration civile a donc été mise en place en juillet 1920, avec la nomination du Haut Commissaire Herbert Samuel succédant au gouverneur militaire Storrs et qui va s´appuyer sur une technocratie anglaise efficace. Il sera remplacé en 1925 par Herbert Plumer, mais restera présent en Palestine, en tant qu´homme politique, diplomate, éminence de la Couronne. La langue anglaise devient langue

20 La description de l´administration anglaise donnée dans ce chapitre provient de The Hand-Book of Palestine, London, H.C Luke (ed.) qui donne une évaluation détaillée de la province vue par le commissaire et son assistant H.C Luke, rédacteur de l´ouvrage.

officielle et remplace le turc. Le Haut Commissaire nomme les fonctionnaires et les gouverneurs des districts, met en place les institutions locales comme le Conseil Exécutif palestinien comprenant des représentants des trois confessions juive, musulmane et chrétienne associés aux décisions sur les affaires courantes. L´administration centrale et régionale est entièrement britannique sauf en ce qui concerne les tribunaux civils, comprenant juges, juifs et musulmans, chrétiens21. En dehors des juges habilités, aucun poste de direction ou poste clef de l´administration civile n´est confié aux autochtones. A l´échelle des districts, les postes d´enseignants et de juristes sont confiés à des natifs de Palestine par souci d´économie et pour permettre de transférer des savoir-faire au populations mais aussi par commodité linguistique. 1.1.2.2 Garantir l´autonomie des communautés juives et arabes

L´administration mandataire ayant besoin d´une légitimité politique, elle cherche avant tout à préserver les héritages coutumiers ou communautaires et la place des autorités traditionnelles. Les Anglais maintiennent certaines des règles de gestion ancestrale reposant à la fois sur le respect des institutions tribales et ancestrales, comme les Tribunaux de juridiction musulmane, comme le droit foncier coutumier, mais sans jamais se départir de leurs pouvoirs de redéfinition, de réglementation et de rationalisation des politiques territoriales.

«L´administration doit permettre et encourager l´autonomie locale» précise l´article 3 du Mandat.

Elle cherchera à s´appuyer, autant que faire se peut sur les pouvoirs locaux formels ou informels. L´administration ne remettra pas en cause les collectivités rurales et urbaines crées par le régime ottoman : les conseils locaux, les assemblées de village (les nah´ra) voient leur pouvoir consultatif renforcé par la loi de 1921 pour la gestion de la vie civile, mais sans pouvoir exécutif. Les mukhtar-s, chefs élus par les assemblées de village et qui monopolisent bien souvent toutes les fonctions locales, sont conservés dans leur fonction d´intermédiaire entre les citoyens et l´administration. Ils sont chargés de faire appliquer les décisions anglaises. Ils suivent les affaires courantes, collectent les

21 Au départ deux tribunaux séparés pour la juridiction civile juive et musulmane. En 1937, les chrétiens arabes orthodoxes demandaient que leur communauté ait leur tribunal, in The Hand-Book of Palestine.

prélèvements fiscaux, publient les ordonnances, tiennent les registres d´état civil, font des rapports au poste de police sur la santé publique et la sécurité de leur village. Les 24 Municipalités22 mises en place par les Ottomans sont maintenues avec des Conseils Municipaux mixtes à Jérusalem ou Jaffa, Haïfa. Des conseils régionaux, sont créés dans les bourgs intermédiaires, c´est à dire essentiellement dans la partie juive occidentale de Lydda, Bat Yam, mais aussi dans les centres chrétiens de Beit Sahur, Jéricho, Al Bireh. Ils correspondent aux zones de croissance démographique mais surtout répondent à la demande des populations juives. Celles-ci souhaitent intervenir davantage dans la gestion civile et dans la planification, sur la base d´une vision culturelle qui ne soit plus celle de la communauté arabe mais bien celle d´un modèle occidental.

1.1.2.3 La mise aux normes de la société locale : grands travaux, éducation et espérances

Une idée de la civilisation commandent des secteurs d´interventions, codifie la cité et la vie sociale. Ainsi, alors que les conditions de vie et de santé des populations avaient peu d´importance pour le gouvernement turc, le Haut Commissaire Samuel souhaite au contraire modifier substantiellement l´accès des populations aux services de base, sanitaires et scolaires. La Commission Royale dans un rapport en 1925 présenté par le Haut Commissaire au terme de deux ans de présence constate des retards dans les domaines de l´entretien public, la prévention sanitaire, et le faible niveau de scolarisation23. Elle dit son incompréhension face à une conception archaïque de la société, non plus seulement dans le domaine politique et public, mais aussi dans la sphère domestique. Elle soutient une vision continentale de la sphère publique et des services qui rend nécessaire de nouvelles normes en matière de salubrité, d´hygiène, de nouveaux modèles en matière d´éducation «au sens ou l´on entend en Europe»24 avec

22 Dont celles exclusivement arabes de Djénine, Tulkarem, Beit Jala, Khan Yunis, Naplouse, Hébron, Bethléem, Gaza. Sur l´administration, on reprend en dehors des rapports de la Couronne, les informations fournies par H. Laurens dans La Question de la Palestine, Tome 2, 1922-47, Une mission sacrée de civilisation, Paris, Fayard, 2002.

23 Le rapport de la Commission Royale de 1925 fait remarquer qu´aucun service local de santé n´existe en dehors de l´Hôpital de Jérusalem et des missions chrétiennes (à Bethléem, Gaza, Hébron). La commission Royale rend compte de l´état sanitaire dramatique de la province et de la négligence des autorités turques en matière de soins, de prévention des maladies. La description est la même dans Handbook of Palestine.

de nouvelles perceptions morales et spirituelles qui s´appliquent aussi au domaine familial.

L´administration de la Couronne entreprend de vastes programmes de modernisation sanitaire et scolaire et des infrastructures rurales tout comme elle souhaite sensibiliser les populations juives et surtout arabes au domaine sanitaire. Et le budget de l´administration de la Palestine est important : 60% du budget est consacré aux investissements et services sociaux sur des financements du Foreign Office25, aux programmes d´infrastructures de potabilisation et d´assainissement. Un réseau d´inspecteurs et de docteurs sillonnent les campagnes, mettent en place les premiers suivis épidémiologiques de lutte contre la malaria, supervisent les campagnes de distribution de médicaments, forment des inspecteurs, entreprennent des campagnes de vaccination.

Le mandataire souhaite très nettement s´appuyer sur les communautés locales, déléguer les services caritatifs aux assemblées villageoises en leur donnant des pouvoirs de surveillance et de maintenance des équipements. Une ordonnance administrative de 1925 a introduit un règlement sanitaire dans les villages en s´appuyant sur les communautés. Elle demande notamment aux mukhtar-s et aux assemblées de veiller aux enregistrements des naissances et des décès, aux vaccinations, au nettoyage des espaces publics à l´intérieur de chaque village, à la destruction des cultures malades, à l´état de la santé publique. Les troupeaux deviennent interdits en ville. Le non-respect de l´ordonnance fixée par la loi est passible de contraventions. Plus tard, l´ordonnance de 1934 permettra aux mairies de se doter de services techniques et administratifs, de recruter des ingénieurs, des médecins pour suivre les programmes sanitaires mais ils seront créés seulement à Haïfa, ville développée, à l´ouest.

Dans le domaine scolaire, c´est une éducation occidentale que veut encourager le mandat qui souhaite que les établissements soient binationaux ou mixtes. Les institutrices sont anglaises dans les collèges. L´ordonnance de 1926 encourage

25 Le budget en Palestine pour l´administration et la sécurité est en proportion cinq fois supérieure au budget de fonctionnement public en Grande Bretagne. Le budget pour les investissements économiques est similaire en Palestine et Métropole. Celui pour les services sociaux cinq fois supérieur en Palestine qu´en Grande Bretagne, d´après Laurens, L´invention de la Palestine, tome 2, op.cit., p.117.

l´enseignement des sciences naturelles, les mathématiques, l´éducation civique et scientifique, mais aussi de l´histoire et de la littérature dans les collèges «pour briser les barrières entre les deux communautés». Mais surtout, la délégation de mandat de 1926 donne la possibilité aux communautés locales juive et arabe d´être directement impliquées dans une éducation laïque et universelle «au sens de la pratique anglaise» selon les termes de la Couronne26. L´administration délègue une bonne partie de ses responsabilités et ses budgets aux communautés pour l´organisation du secteur scolaire. 190 écoles élémentaires sont ouvertes en 1922 pour atteindre le nombre de 265 en 1925 et 310 en 193027. Des comités d´éducation sont mis en place au niveau des districts avec la participation de notables.

Figure 4 : Le Haut Commissaire Samuel et Storrs quelque part en Palestine vers 1921 Source : T. Seguev, C´était en Palestine au temps des coquelicots.

1.2 LES DESEQUILIBRES COMMUNAUTAIRES DU PROGRES

26 Rapport de la Commission Royale, 1925, op.cit., p.44.

On peut considérer que la tutelle britannique dans ses intentions politiques, ses outils, entreprend plus de moderniser que de gérer la société locale, en se glissant plus ou moins dans la tradition coutumière, confessionnelle ou dans un ordre social. Si elle entreprend de développer des équipements de santé, des écoles communautaires c´est par le bais de la délégation de services qui rend possible des initiatives, des savoir-faire. Si elle rationalise l´administration, elle confère des pouvoirs aux élus en vue d´une émancipation politique. Si elle prône l´universalisation du droit et des savoirs, elle préserve par endroit les bases du système coutumier, dans les cours de justices, les affaires domestiques, l´enseignement religieux dans les écoles primaires. Cette conception moderniste et du self-government appelle un ordonnancement technique, que les deux parties juives et arabes ne soutiennent ou ne relaient pas de la même façon.