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L´exemple de la réforme foncière, du désir d´ordre à la déstabilisation sociale

LE MANDAT ANGLAIS EN PALESTINE : LA DERNIERE PRESENCE DES LUMIERES AU LEVANT

I.2.2 L´exemple de la réforme foncière, du désir d´ordre à la déstabilisation sociale

La réforme du cadastre et du droit foncier est celle qui illustre le mieux cette conception «rationnalisante» de la gestion de la cité, non sans conséquence. Le mouvement de réforme part d´une conception libérale et moderne de la propriété.

Dans un contexte de généralisation de la valeur marchande au début du siècle, il fallait donner un cadre juridique et technique aux transactions foncières et fixer des règles sur l´usage des sols. Les Anglais souhaitent mieux contrôler les échanges, les

actes de vente et leurs enregistrements qui avaient été stoppés durant la période d´administration provisoire suite à l´afflux des migrants juifs32. Il souhaitent aussi éviter les ventes abusives de terres non identifiées, optimiser les bases d´impositions fiscales sur les terres agricoles, c´est à dire identifier les propriétaires, mauvais contribuables. C´est le système foncier collectif ancestral basé sur la pratique coutumière33 qui doit être «détribalisé» et surtout individualisé ou privatisé et que les Ottomans avait commencé eux-mêmes à réformer. La loi sur le foncier ou Land Transfert Ordonnance de 1922 rend obligatoire l´enregistrement des transactions sur l´ensemble des terres, y compris celles exploitées de façon coutumière, relance les transactions qui avaient bloqué depuis deux années. L´année suivante, une ordonnance interdit aux fellah-s la culture des terres de type malhul, c´est à dire des terres de pacage ou en friche, qui n´étaient pas cultivées durant trois années. Celles-ci reviennent au domaine public qui peut les mettre en vente au titre des articles 12 et 13 du mandat autorisant le gouvernement britannique à céder des terrains du domaine public et déclarés vacants.

La première conséquence directe de la réforme foncière fut la disparition économique d´un pan entier du monde rural. Et on sait que cette histoire là est l´objet de controverses. A mesure que les transactions et que les régularisations croissaient sur des terres rendues à leur valeur marchande, les terres se vidaient de leurs fermiers. Les fellah, exploitants invisibles dans le système foncier, non-détenteurs de droits formels n´étaient pas en mesure de faire valoir leur légitimité sur des terres qu´ils cultivaient de façon coutumière et étaient obligés de quitter ces dernières. La politique mandataire

32 Le général Allenby, administrateur provisoire par ordonnance militaire avait fermé l´enregistrement foncier en raison des troubles locaux, l´inquiétude des paysans arabes et interdit toute transaction en 1918. K. Stein dans son interpellation sur la question foncière, in The question of The Land in Israël, University North of California, 1987 impute la décision anglaise de fermer les transactions non pas à la situation politique mais au souci de clarifier les nomenclatures foncières. Selon lui, les fellah étaient réfractaires à apparaître dans tout document civil à la veille de la première guerre mondiale, pour échapper au service militaire. Ils faisaient inscrire des collatéraux plus âgés dans les déclarations fiscales aux mukhtar-s ou à leurs propriétaires; accentuant ainsi le désordre des procédures.

33 Six catégories de terres entre dans le régime ancestral dont les terres miri, terrains communaux, cultivés collectivement. les terres dites « mulk » sont celles que l´on trouve à proximité des propriétés domestiques, d´habitations (jardins, agriculture de proximité, terrains résiduels, cultivés). Elles ne sont pas subordonnées à l´impôt et leur propriétaire en disposent comme il l´entend .Les autres catégories comprennent les terres

malhul, équivalent à des terres agricoles miri mais laissées en friche, les matruka et mawhat équivalent à des

emprises publiques sans valeur ou des terrains communaux utilisés pour le pacage. Les waqf-s sont des propriétés publiques, quelquefois cultivables situées à proximité des édifices religieux, concédés ou données aux autorités traditionnelles religieuses musulmanes.

donnant la priorité à la communauté juive dans le désenclavement palestinien, ce sont les investisseurs, les entrepreneurs juifs qui prirent possession des terres vacantes ou publiques par le biais de l´Agence juive. Aux yeux des arabes, celle-ci a usé excessivement de son pouvoir consultatif sur la bureaucratie anglaise pour mettre en œuvre la loi foncière de 192034. On sait que l´élément foncier allait devenir le motif central de la révolte arabe des fella-s ruinés, dépossédés ou qui voyaient les terres fertiles décroître35. En 1936 les Anglais ne seront plus en mesure de calmer la révolte des fellah-s ni cellefellah-s defellah-s nationalifellah-stefellah-s arabefellah-s qui fellah-s´emparent du problème foncier pour contefellah-ster la légitimité anglaise.

Car, c´est à partir de cette nouvelle réalité économique, de l´accélération des achats et des ventes des terres au nom de la mise aux normes du droit et de l´économie que s´est s´opérée une prise de conscience politique des Palestiniens. La loi sur le transfert foncier allait être considérée par ces derniers comme la base même d´une stratégie d´absorption par les sionistes soutenus par les anglais. La réforme avait des conséquences politiques : l´émergence du mouvement nationaliste. Il est admis par les historiens, israéliens ou palestiniens et arabes que la lutte palestinienne se cristallise à ce moment de l´histoire.

Les mécanismes d´éviction des fellah-s et même la simple question de l´enregistrement de terrains ou en friche allaient devenir un enjeu essentiel d´interprétation majeure du conflit politique en Palestine mandataire maintes fois abordé par l´historiographie juive ou arabe. D´un côté, pour les nationalistes palestiniens c´est bien le mouvement de transactions qui a ruiné l´édifice communautaire, ruiné l´agriculture locale et rendra inévitable le conflit avec les arabes. La responsabilité de l´éviction des fellah-s incombe alors, soit directement aux Anglais ayant interdit la culture des terres de droit coutumier, soit indirectement aux investisseurs juifs (l´Agence Nationale Juive) exigeant des vendeurs arabes des terres

34 Son rôle a été largement évoqué par le Congrès Arabe de 1925. Le rapport remis à H. Samuel, Report on the

State of Palestine, by Palestinien Arab congres to the High Comissionnier, Jerusalem, 1925, rend également compte de

l´engrenage économique, des pressions exercées sur les agriculteurs.

libres (ces derniers étant assurés d´une meilleure rente foncière) ; ou plus franchement aux colons réalisant eux même l´éviction des fermiers ou des ouvriers.

A l´autre extrémité du discours ou des représentations arabes, les historiens du sionisme considèrent que les anglais n´ont fait que révéler sinon stimuler le réveil de la terre et de l´agriculture palestinienne et de la modernisation territoriale. Le mouvement foncier n´aurait de toute façon pas bloqué le développement d´une économie autochtone archaïque36. Le mouvement sioniste lui-même, juge légitime la récupération des terres de pacage et en friche par l´entité juive au nom des droits ancestraux et bibliques, les Palestiniens étant considérés comme des locataires et non des propriétaires, et leur droit historique revendiqué au titre de l´exploitation de la terres ne voulant pas dire propriété37.

I.2.3 Entre idéologie et progrès, une politique introuvable

L´idée de progrès porté par une administration mandataire anglaise reviendra donc progressivement au fil de sa présence en Palestine comme l´objet même de la contestation arabe. Car au-delà de la question foncière, on sait que les dirigeants nationalistes sont devenus largement opposés au Mandat quand la politique de modernisation anglaise et occidentale, menaçait selon eux, l´ordre communautaire établi dans la sphère publique, sociale mais aussi privée. A plusieurs reprises et à partir de 1929, le Comité Exécutif Arabe représentant le peuple palestinien rappelle à l´ordre le Haut Commissaire sur le risque de déstabilisation que font encourir les Anglais à la société locale en raison de sa politique foncière et économique38.

Mais certains des nombreux travaux consacrés au nationalisme vont montrer à quel point l´opposition nationaliste n´était pas seulement un refus de l´immigration sioniste, voire de la politique anglaise mais celui de l´occidentalisation de la société

36 C´est le point de vue de Stein (1985), historien israélien qui estime plus contextuellement dans « The question

of The Land in Israël », que les fermiers eux-mêmes apeurés par l´idée de nouvelles taxations fiscales refusant

d´être enregistrés fiscalement ont abandonné eux-mêmes leurs terres.

37 On se rapporte ici aux rapports de l´Association pour l´Assistance des colons et ouvriers juifs en Palestine sur l´éviction des fermiers et ouvriers palestiniens qui figurent dans les archives collectées par Henri Laurens, in Le retour des Exilés, la lutte pour la Palestine, de 1889 à 1997.

palestinienne. La crise foncière masquerait mal une rupture avec l´Occident dès lors qu´elle aurait accentué les brisures intérieures entre paysans, propriétaires terriens enrichis par la rente39.

On voit peut-être ici le fil étroit qui relie progrès et idéologie. En posant des principes modernisateurs de domaines de gestion réputés plutôt immobiles, les Anglais ont introduit des normes techniques, juridiques ou technocratiques, à l´image du cadastre et du droit, dissociées de leur représentation sociale ou culturelle. Le désir positiviste et le sécularisme bouleversaient par endroit des structures informelles jusqu´à ouvrir sur une crise historique. Qu´en est-il de la ville ?

38 On se fie par exemple au rapport du Comité Exécutif Arabe du 28 octobre 1933, cité par Henri Laurens, le

retour des exilés, la lutte pour la Palestine de 1869 à 1997.

39 C´est le point de vue, par exemple des sociologues Baruch Kimmerling et Joel. S. Migdal, in Palestinians, the

CHAPITRE 2