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5.1. Discours publics et obéissants

5.1.2. Une vie traditionnelle

Dans le même esprit, certains Hmong participant au tourisme dans la région de Sa Pa produisent des discours évoquant différents aspects de la vie de leur communauté. Ces discours, tels qu’ils ont été recueillis au cours de l’enquête ethnographique, abordent divers sujets, dont la famille, le genre, et les apparences. Ainsi, les guides dont j’ai pu observer le travail évoquent régulièrement les fratries nombreuses parmi les familles Hmong de Sa Pa. Lu prend pour exemple sa grand-mère, qui a eu quinze enfants (JDT 08.05.17). Sanh, une autre guide, explique aussi que dans la culture Hmong les familles habitent sous le même toit, pouvant ainsi mener à des maisonnées abritant jusqu’à une quinzaine de personnes (JDT

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12.05.17). Plusieurs guides donnent également des explications sur la création des familles Hmong. Ainsi, Linh, guide pour Vietnam NomadTrail, explique à ses clients que les Hmong attendent l’arrivée du Nouvel An pour se trouver des partenaires amoureux, parce que tous les membres de la communauté Hmong de Sa Pa s’y trouvent rassemblés (JDT 10.05.17). D’après Sanh (JDT 12.05.17), le futur mari doit alors demander la main de sa conjointe auprès de sa famille, en leur offrant une corne de buffle remplie d’alcool de riz. Si l’union est acceptée, la famille du mari paye une dot à la famille de la mariée. La mariée passe ensuite une semaine dans la famille du mari et leur offre du riz et des poulets. Une fois ces conditions remplies, un mariage peut avoir lieu. Sanh décrit les mariages Hmong comme une fête en plusieurs temps : les mariés célèbrent d’abord leur union avec les amis, puis les cousins et enfin la famille du mari.

Les guides de trek Hmong énoncent aussi des éléments ayant trait aux différenciations de genre pratiquées entre les hommes et les femmes Hmong. Christine Bonnin et Sarah Turner résument la situation comme suit : « while not historically static, gender-ascribed labour roles for Hmong and Yao tend to reveal that men are predominantly engaged in more physically demanding but shorter-term activities, while women’s workloads are ongoing and more time- consuming, notably including the ‘double burden’ of most of the day-to-day labour for subsistence agriculture in addition to all household reproductive labour (Sowerwine 2004 ; Bonnin 2012 ; Turner 2012)» (Bonnin et Turner 2014 : 1304‑1305). À propos des hommes, Lu dit à ses clients que les maris Hmong restent au village, et qu’ils n’aiment pas que les femmes aillent étudier en ville parce qu’ils sont jaloux (JDT 08.05.17). La même guide explique à un autre groupe (JDT 20.05.17) que seules les femmes tissent les textiles, les hommes qui s’y essaieraient seraient traités de travestis. Turner et Michaud confirment cette vision, en expliquant : « Rarely do Hmong men partake in producing the hemp fabric. […] It is also typically women who assume the task of transforming the plain cloth into finished clothing » (Turner et Michaud 2008 : 166).

L’apparence de certaines guides Hmong de trek est aussi un marqueur important dans l’analyse des discours produits par les Hmong participant au tourisme dans la région de Sa Pa. Bien qu’il ne constitue pas un discours oral, ce troisième élément peut tout de même être interprété comme un discours au sens entendu par James Scott. On peut ainsi souligner le fait

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que, sur les six guides que j’ai accompagnés au cours de trek, cinq d’entre eux portaient un costume d’apparence traditionnelle, composé de guêtres, d’une jupe et d’un gilet de couleur indigo, souvent ornementés de broderies variées. Le seul guide portant des vêtements d’apparence occidentale était aussi le seul homme parmi l’échantillon suivi pour l’enquête ethnographique. Les tendances vestimentaires changent toutefois en dehors des moments de travail, comme le remarque Dương à propos des filles Hmong qu’elle observe dans la ville de Sa Pa :

« While they continued to wear their indigo-dyed Hmong clothes, the brown plastic sandals they all once wore were replaced with various kinds of hiking shoes […] —some gifts from tourists, others bought in a new shoe store near the church. With warm and in many cases waterproof jackets as well, the girls were now much better equipped to cope with the Sa Pa winter. In the summer, shoes were still essential for treks, but on coming back to Sa Pa in the evening the girls would often change into slip-on sandals, some rather stylish. […] They began to wear Kinh clothes because they were more comfortable than Hmong clothes. » (Dương 2008 : 251)

Si l’on en croit Dương, on peut alors se demander quelles sont les raisons qui motivent les choix vestimentaires des Hmong participant au tourisme à Sa Pa, et comment ces raisons coïncident avec le contexte de production à la fois public et obéissant de ces discours non- verbaux. En tous les cas, le port répandu d’habits Hmong traditionnels au cours des treks correspond aux critères d’un discours public et obéissant, au sens où il s’agit d’un critère identitaire ethnique à la fois avantageux commercialement parlant, et encouragé par les préceptes de la préservation culturelle sélective prônée par l’État. Ces trois groupes d’éléments de discours énoncés par les guides de trek Hmong concernant la famille, le genre et l’apparence représentent donc autant d’exemples de critères identitaires qui sont à la fois publics puisqu’abordés au sein d’activités touristiques, et obéissants puisque correspondant aux attentes de l’État vietnamien en matière d’identité ethnique.