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4.1 Modernisation du district de Sa Pa

4.1.2. Décisionnaires

4.1.2.1. Pouvoir politique

Le premier type de décisionnaire dans l’organisation du développement dans la région de Sa Pa émane, sans surprise, de l’arène politique étatique. Afin de choisir les directions que prend le développement, les représentants locaux du pouvoir politique, Conseil populaire, Comité populaire et Parti communiste au premier chef, disposent de plusieurs projets qui les aident dans l’orientation qu’ils souhaitent donner aux investissements rendus possibles par l’essor de l’industrie touristique.

Le premier de ces projets procède d’une collaboration franco-vietnamienne : le projet Lào Cai – Aquitaine, émergeant vers 1998. Michaud et Turner résument ce projet dans ces mots :

The Aquitaine Region of southwest France and Lào Cai Province signed a formal Memorandum of Understanding in 2002 and have collaborated in the

24 D’après http://vietnamtourism.gov.vn/english/index.php/items/12471, publié le 09.01.18 et consulté le

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development of Sa Pa District’s tourism sector, supported by millions of Euros from the European Union and the French Development Agency (AFD). Early on, this collaboration included the drafting of an Urban Development Master Plan for Sa Pa Town, followed by plans for arboriculture and viticulture. Since 2013, this collaboration has also included ongoing planning and management of Hoàng Liên National Park within Sa Pa District. (Michaud et Turner 2017 : 40)

Afin de bénéficier des fonds et de l’expertise français, les autorités de Lào Cai devaient faire respecter certains points, détaillés dans le Schéma et règlement d’urbanisme de la ville de SAPA (SRUVS, 2004). Ce Schéma spécifie comme ligne directrice :

Il est dans l’intérêt économique à long terme de tous les acteurs du tourisme à Sa Pa de conserver ou de restituer dans toute la mesure du possible à la ville son caractère, son charme et son harmonie. Ce sont ces atouts qui permettent de valoriser l’image nationale et internationale de Sapa, d’en faire dans le futur une station de standing international et de garantir la pérennité de la fréquentation touristique dans le temps (SRUVS, Tome 2, Livre 3, p.5).

Dans cette optique, les constructions récentes sont vues d’un œil critique. Trois interdictions en particulier soulèvent mon attention dans le SRUVS, détaillés en partie dans les Figures 10 et 11.

Photographie 8: Modèle de maison-tube

Photographie 9: Types d’implantation

« Les maisons-tube se développent à la place des maisons kinh ou des maisons de ville qui sont basses. Implantées face aux vues remarquables, elles effacent toute perception du relief » (SRUVS, Tome 1, Livre 2, p.13).

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La troisième interdiction concerne la hauteur des nouveaux bâtiments dans toutes les parties de la ville, qui ne doivent pas dépasser 14,5 mètres de hauteur, de l’égout jusqu’au faîtage, pour trois étages maximum. Les urbanistes à l’origine du SRUVS estiment également que

Le développement récent des constructions a pour conséquences de :

- Donner au paysage du centre-ville de Sa Pa, situé au pied des versants du parc de Ham Rong et en balcon face au Fan Si Pan, une image désordonnée et inachevée. - Obstruer les vues lointaines sur le grand paysage et combler les îlots en ne

laissant que des espaces étroits, sombre, peu aérés et humides. (SRUVS, Tome 1, Livre 2, p.19)

Les membres de l’équipe à l’origine du projet Lào Cai – Aquitaine estiment donc qu’un certain frein doit être mis aux constructions non-régulées qui bourgeonnaient dans la ville de Sa Pa en 2004. Or, et c’est là le point plus pertinent pour la recherche présente, ce plan d’urbanisme n’est pas respecté. Au moment de mon dernier terrain, en 2017, les maison- tubes, les façades à proue sur vide ainsi que les hôtels aux étages toujours plus nombreux continuent de se multiplier. Michaud et Turner remarquent aussi que « the reality today shows the extent to which local authorities have overruled such plans. This is clear in the authorization of buildings exceeding four floors in height, the destruction of colonial architectural remains, the re-routing of road traffic, as well as infringements on the National Park, top of the list being the Fansipan25 cable car complex » (Michaud et Turner 2017 : 40). De ce fait, il semble donc que le projet Lào Cai – Aquitaine se révèle être un outil de capitalisation financière dans les mains des gouvernements locaux. Sa création a permis l’obtention de financements français, sans toutefois induire l’obligation de suivre le règlement urbain mis au point.

25 Orthographe simplifiée de Phan Xi P𝑎̆ng.

« Limiter les proues sur le vide et privilégier les implantations parallèles aux courbes de niveau » (SRUVS, Tome 1, Livre 2, p.16)

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Le deuxième projet dont il est question ici concerne une éventuelle séparation du district de Sa Pa en deux parties, dont chacune aurait sa spécialité en matière de tourisme. Afin de bien comprendre ce projet, il faut se rappeler les classifications urbaines en vigueur au Vietnam. Pour rappel, Sa Pa est actuellement une zone urbaine de Classe III, tandis que Lào Cai est une ville de Classe II. Ce projet est résumé par Michaud et Turner comme suit :

There are now plans to divide the existing Sa Pa District into two new entities, one urban, one rural […]. Ambitious local officials hope for the new northern section to gain ‘special city’ status (alongside only five other such cities in Vietnam), which would make it a centrally-controlled municipality removed from provincial administration […]. The expanded Sa Pa City to the north would no doubt attract even more Kinh entrepreneurs and workers in hotels, restaurants, and shops. The city would cater mostly to domestic tourists […]. The southern district of Hoàng Liên, by contrast, would remain entirely rural, with little infrastructure, virtually no hotels (the only one at the moment being the exclusive Topas Ecolodge), and a very high proportion (>95%) of ethnic minority farmers distributed among dozens of hamlets in various states of remoteness (Michaud et Turner 2017 : 42‑43).

Afin de gagner le statut de Classe spéciale, la partie Nord du district actuel de Sa Pa devrait héberger au moins cinq millions d’habitants, tandis que la population en 2009 du district dans son ensemble est seulement de 53,549 habitants (General Statistics Office of Viet Nam 2010), et comporter une population non-agricole totalisant 90% de la main d’œuvre locale (Points 2 et 4, Article 9 du Décret No. 42/2009/ND-CP du 7 Mai 200926). Ce projet, si réalisé, permettrait alors la cohabitation des deux types de tourisme, domestique de loisir et international ethnique, sans nécessairement générer une concurrence qui pourrait leur être mutuellement néfaste. Il est toutefois important de souligner que ce projet est en discussion depuis déjà plusieurs années, sans que l’on puisse pour l’instant en voir une quelconque manifestation physique.

Deux outils supplémentaires sont aussi à la disposition des gouvernements locaux de Sa Pa : le cadastre et des grilles de compensation. D’après Laurent Fages, un expatrié vivant au Vietnam de longue date, ayant complété en 2004 un doctorat en géographie sur les minorités du Nord Vietnam, puis travaillé pour l’Agence Française de Développement sur plusieurs programmes de développement, notamment le projet Lào Cai - Aquitaine, les gouvernements

26 Issu de http://vietnamlawmagazine.vn/decree-no-42-2009-nd-cp-of-may-7-2009-on-the-grading-of-urban-

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locaux se servent du cadastre pour négocier le rachat de concessions foncières à moindre coût. Dans le cas des terrains existant dans le district de Sa Pa, le cadastre peut parfois différer des droits coutumiers que les nationalités minoritaires exercent sur leurs terres. Ainsi, lorsque l’État souhaite redistribuer une ressource foncière, il peut utiliser ces réglementations pour contredire les prétentions des habitants, les expropriant au besoin (JDT 29.05.17). Ces informations sont aussi confirmées par Claes Corlin lorsqu’il explique que la loi foncière de 1993 « requires that the individual farmer or property-owner has a good knowledge of management and, preferably, good « connections ». Inevitably, many ethnic minority people, lacking literacy or fluency in Vietnamese as well as the economic means, are bound to come out as losers in this competition for scarce resources » (Corlin 2004 : 301). L’État peut aussi utiliser une grille de compensation pour décider des dédommagements appropriés, par exemple pour la construction d’un barrage hydro-électrique, qui doivent être versés aux familles dont les terres sont inondées. Or, cette grille est, d’après Fages, déconnectée des prix du marché. Pour des terrains agricoles, la compensation est par exemple estimée à 200,000VND (8 USD) par m2 ; pour la construction d’une route, la compensation grimpe à dix millions de VND (400 USD) par m2 (JDT 29.05.17). Ces sommes sont dérisoires comparées à l’utilisation faite de ces terres par les familles qui en tirent des ressources sur plusieurs générations.