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Organisation du métier de guide de trek

3.1. Organisation professionnelle : comment fonctionne le

3.1.2. Organisation du métier de guide de trek

Dans cette section, j’examinerai de plus près les caractéristiques du métier de guide de trek, en prenant pour exemple les quelques guides avec lesquels j’ai travaillé, puis en résumant les différentes compétences et attributs qui constituent cette classe professionnelle, composée en grande majorité de jeunes femmes Hmong, fait qui peut paraître surprenant au premier abord.

3.1.2.1. Portraits de guides

Commençons donc par décrire qui sont les guides de trek Hmong que j’ai eu l’opportunité de côtoyer. Ces portraits doivent permettre au lecteur d’une part de se représenter qui sont les participant-es principaux à la recherche, et d’autre part de comprendre

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comment certaines caractéristiques personnelles se retrouvent chez de nombreux guides, traçant ainsi un proto-idéal-type représentant fidèlement cette communauté d’individus. Afin de confectionner un tel dispositif heuristique, concentrons-nous sur les portraits de six guides de trek Hmong (dont cinq sont des femmes).

Lanh (JDT 05.05.17) est un jeune homme Hmong âgé de vingt-huit ans, vivant à Y Lình Hồ. Il a deux enfants de cinq et trois ans, dont sa femme s’occupe à la maison pendant qu’il exerce ses fonctions de guide de trek. Les activités économiques de sa famille reposent principalement sur la culture de riz. Sa famille possède quelques rizières en terrasses. Lu (JDT 08.05.17) est une jeune femme Hmong de vingt ans, résidant à Lao Chải. Elle a deux enfants de deux et quatre ans et travaille comme guide depuis deux ans, dont un mois pour Vietnam NomadTrails. Sa famille possède des terres sur lesquelles ils cultivent du riz, en petite quantité toutefois ; leur propriété n’est pas assez grande pour garantir du travail à tous les membres de la famille. De ce fait, c’est son mari qui souhaite qu’elle travaille comme guide, afin de compléter ses activités agricoles.

Linh (JDT 10.05.17) est une jeune femme Hmong de vingt-six ans, vivant à Giàng Tả Chải. Elle a trois enfants de cinq, trois ans et sept mois. Elle est guide depuis cinq ans, dont trois ans pour Vietnam NomadTrails et deux ans pour un hôtel. Linh est la cinquième d’une fratrie de six enfants, dont l’aîné est grand-père à trente-huit ans. Son mari travaille dans les rizières, et il arrive donc à Linh de devoir prendre son dernier enfant avec elle pendant les treks. Sanh (JDT 12.05.17) est une jeune femme Hmong de vingt-six ans, vivant à Tả Van. Elle a trois enfants âgés de six, cinq et trois ans. Elle est guide de trek depuis maintenant huit ans, dont un an et demi pour Vietnam NomadTrails. Elle construit actuellement une maison à Tả Van, dont elle ne fera pas un homestay, ce qui serait trop coûteux. Pendant qu’elle travaille comme guide, son mari s’occupe des enfants et travaille sur leur maison avec l’aide d’un ami. Mai (18.05.17) est une jeune femme Hmong âgée de vingt-trois ans et résidant à Lao Chải. Elle a deux enfants de trois et quatre ans. Elle travaille comme guide depuis deux ans, dont un an pour Vietnam NomadTrails après avoir été employée par différents hôtels. Sa famille habite trop loin de la route principale pour avoir un homestay.

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Sai (25.05.17) est une jeune femme Hmong de dix-sept ans, originaire de Lao Chải. Elle vit actuellement dans un petit appartement dans la ville de Sa Pa, qu’elle a obtenue par sa tante, guide plus expérimentée. Elle n’a pas d’enfant et travaille comme guide depuis l’âge de quinze ans. Au début de sa carrière, elle était à la fois vendeuse et guide, pour finalement se consacrer au métier de guide. Elle a bénéficié de l’aide de Sapa O Chau pour son parcours scolaire, ce qui lui permet maintenant de travailler ponctuellement pour Sapa Sisters, ainsi que pour sa cousine. Elle vient en aide financièrement à sa famille, qui ne produit pas assez de riz pour se nourrir à longueur d’année.

Voici donc quelques exemples de guides de trek Hmong. Ce panel, bien que limité, nous permet d'illustrer le quotidien des guides de trek Hmong travaillant dans la région de Sa Pa. En complétant les données biographiques de ces guides avec d’autres données recueillies lors d’observations et de discussions informelles, on s’aperçoit que la communauté de guides Hmong partage certaines caractéristiques : la majorité sont des femmes ; ils sont âgés de dix- sept à vingt-huit ans16 ; ils viennent de villages variés, mais proches de Sa Pa et fréquentés par les clients du tourisme ethnique ; ils ont entre deux et trois enfant âgés de sept mois à six ans ; ils ont commencé à travailler comme guide entre quinze et vingt-et-un ans. Bien que ne pouvant faire l’objet d’une solide généralisation, ces données nous permettent de brosser un portrait type des guides de trek Hmong opérant dans la région de Sa Pa.

3.1.2.2. Compétences

Au cours de leur travail, les guides Hmong font montre de plusieurs compétences. La première et la plus importante concerne leur capacité à ajuster l’itinéraire du trek en cas de besoin. La confection de l’itinéraire du trek dépend surtout du type de structure au sein de laquelle les guides Hmong opèrent : les agences de tourisme imposent un itinéraire, presque toujours le même (Lao Chải – Tả Van – Giàng Tả Chải) ; les entreprises sociales laissent une marge de manœuvre plus vaste aux guides (les employées de Sapa Sisters confectionnent elles-mêmes l’itinéraire directement avec les clients et les emmènent dans des homestays de leur propre lignage) ; et les guides indépendants décident entièrement de l’itinéraire à suivre.

16 À nuancer toutefois car je n’ai pas eu beaucoup l’occasion d’échanger avec des individus Hmong plus âgés,

principalement à cause de la barrière du langage. Sarah Turner semble toutefois confirmer ce groupe d’âge (Turner 2012b : 414).

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Toutefois la réalité du terrain oblige souvent les guides à adapter l’itinéraire, peu importe le type de structure dans lequel ils travaillent. Par exemple, Ban (JDT 23.04.17), employée régulière de Sapa Sisters, m’explique qu’elle adapte son itinéraire au fait que son groupe de clients est souvent accompagné d’enfants en bas âge ; mais elle ne prend pas un chemin trop facile non plus, à la demande des parents. Elle examine donc le potentiel physique de ses clients et ajuste son itinéraire en conséquence. De même, Linh (JDT 11.05.17), employée de Vietnam NomadTrails, demande à ses clients, une fois sur la piste, s’ils préfèrent emprunter un itinéraire plus long ou un raccourci. Les guides Hmong démontrent aussi une attention particulière portée aux clients. Ainsi Lu (JDT 08.05.17) fabrique une canne en bambou pour une de ses clientes plus âgées ; elle s’arrête aussi souvent pour demander au groupe si tout le monde va bien. Enfin lorsque le trek inclut un séjour en homestay certains guides aident les familles propriétaires dans leur rôle d’hôte : c’est par exemple le cas de Ban (JDT 23.04.17) qui aide à préparer le repas.

Ces quelques compétences démontrées par les guides de trek Hmong participent d’une part à définir un standard de qualité pour l’industrie ethnique et les attentes de ses gestionnaires envers leurs employés ; et d’autre part elles sont particulièrement saillantes dans la réussite de l’expérience des clients, participant ainsi à la construction d’une bonne réputation professionnelle pour les guides.

3.1.2.3. Attributs

Outre leurs compétences, certains attributs sont exigés pour exercer le métier de guide de trek. Comme l’explique Sarah Turner, « In the mid-1990s, in a push to increase state regulation over the local trekking industry, the local Vietnamese authorities decided that trekking guides in Sa Pa district, Kinh and ethnic minority alike, should undergo training and possess a guide license » (Turner 2012b : 415). Cette information est confirmée par San (JDT 09.06.17), d’après qui pour être guide il fallait, pendant un temps, une licence nationale, nécessitant un diplôme universitaire. Pour certaines localités comme Sa Pa, l’exigence était abaissée à une licence locale qui ne nécessite qu’un diplôme du secondaire ; la licence devait toutefois être renouvelée tous les deux ans. Pour obtenir une telle licence, il était exigé d’assister à une classe étalée sur une semaine, organisée par le gouvernement provincial, pour un prix variant de 150 à 200 dollars US. Un examen de santé ainsi qu’un certificat de

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naissance étaient aussi requis. Ces exigences administratives ne correspondaient cependant pas à la réalité des guides Hmong, qui n’ont bien souvent ni le temps ni les ressources pour obtenir de telles licences. Si certaines guides sont allées jusqu’à falsifier « their age while renewing “lost” state identity cards to attend training sessions and acquire a trekking guide license » (Turner 2012b : 415), d’autres avaient choisis d’exercer leur métier de guide illégalement. Toutefois, Turner souligne : « Interestingly enough, a year later [in 2011] the guide license process had been quietly dropped » (Turner 2012b : 415).