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Solidarité au service de la modernisation du district

5.1. Discours publics et obéissants

5.1.4. Solidarité au service de la modernisation du district

Il existe chez les Hmong participant au tourisme dans le district de Sa Pa différents types de réseaux de solidarité. Je divise ici ces réseaux en deux catégories : inter-ethniques d’une part, et intra-ethniques d’autre part. Dans les deux cas, j’estime que ces catégories peuvent servir la modernisation du district de Sa Pa, entendu comme l’adéquation entre une image répandue dans l’imaginaire de la culture dominante présentant les nationalités minoritaires, dont les Hmong sont un représentant pour ce cas, comme des « petits frères » sous-développés ; et un besoin partagé par la même culture dominante de jouer le rôle de « grand frère » afin d’aider les nationalités minoritaires à s’élever vers un idéal national de l’homme socialiste moderne (Michaud 2013). Afin de démontrer ce point, j’offre d’observer quelques exemples de solidarité, d’abord inter-ethnique, entre participants au tourisme dans la région de Sa Pa.

Certains participant-es à la recherche font ainsi état de cas de solidarité où des Kinh aident des Hmong. Par exemple, lors d’une visite chez Nam, une femme Hmong habitant le village de Lao Chải, cette dernière m’explique que peu après le décès de son mari, le gouvernement lui a donné dix millions de VND (environ quatre cents USD). Ce pécule lui a notamment permis d’investir dans la construction d’un homestay. Un autre exemple est porté à mon attention au cours d’un trek (JDT 15.05.17). Avant d’arriver au village de Lao Chải, Lao, guide pour Vietnam NomadTrails, me pointe une maison en métal du doigt, au bord de la route. Elle m’explique que ce petit bâtiment appartient au gouvernement, qui le prête à une famille Hmong, embauchée pour surveiller la construction d’une route. Cette famille profite

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de l’abri pour vendre des fruits et de l’eaux aux touristes de passage durant la journée. Dans un autre exemple, la solidarité se fait entre des Hmong et une organisation non- gouvernementale, CBT (pour Community Based Tourism), qui offre des formations aux familles minoritaires de la vallée pour améliorer leur offre d’hébergement, homestay comme

guesthouse. Cette ONG délivre notamment des diplômes certifiant que les hébergements

respectent des standards internationaux ; diplômes que je repère notamment dans la maison de Chan, propriétaire de homestay, lors d’un séjour à Lao Chải (JDT 23.04.17). Bien que la main tendue provienne d’une compagnie étrangère, le fait que le gouvernement local permette à l’ONG d’opérer auprès des nationalités minoritaires du district indique à quel point l’État vietnamien encourage les initiatives visant le développement de ses « petits frères ».

D’autres exemples illustrent une solidarité intra-ethnique, des Hmong vers d’autres Hmong. C’est le cas pour Sapa O Chau, entreprise sociale, dont un des buts est l’entraide entre Hmong du district de Sa Pa. Au cours d’un entretien avec Po (JDT 08.06.17), employée au bureau de l’entreprise sociale, cette dernière m’explique comment la compagnie offre des programmes d’aide aux propriétaires Hmong de homestay, mais aussi des licences, des cours d’anglais et de compétences nécessaires pour travailler dans le tourisme pour des guides de trek, ainsi que des hébergements et de l’aide alimentaire pour les Hmong allant à l’école dans le district. Sur le site de l’entreprise sociale sont d’ailleurs affichés des témoignages de cette solidarité38,

accompagné d’un résumé des bienfaits de Sapa O Chau : Legacy 2014

*70 students trained as tour guides

*50 students continue education and vocation training programs *11 homestays supported to date

*1 homestay in Lao Chai built by SOC

*15 students graduated from external training programs *30 trekking guides employed by SOC

*20 trekking guides that have gone on to work in other trekking businesses

132 *Over 100 volunteers have been helped to date *12 families benefited from help of SOC to date

Cette solidarité intra-ethnique est, pour cet exemple, chapeauté par une femme Hmong à l’influence croissante : Mai Tin. Le profil de cette jeune entrepreneure hors norme est couronné par son apparition dans les « 30 under 30 » de Forbes Vietnam, listant à l’échelle nationale trente entrepreneurs âgés de trente ans et moins dont la carrière promet un succès assuré. Sur le site de Sapa O Chau39, il est aussi dit que Mai Tin est considérée pour les 2019

Women of the Future Awards – Southeast Asia Social Entrepreneur. Il ne fait aucun doute

que cet encensement, inhabituel pour tout ressortissant des nationalités minoritaires au Vietnam, par la communauté internationale est bien perçu par l’État vietnamien. Ce dernier bénéficie ainsi d’un brillant modèle de réussite ayant l’avantage de mettre en adéquation l’image d’une « petite sœur » Hmong parvenue au succès grâce à la modernité capitaliste portée par les « grands frères » Kinh.

Photographie 15 : Mai Tin dans Forbes Vietnam39

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Ces quatre exemples de discours peuvent être catégorisés comme des discours publics obéissants d’après le modèle analytique choisi. Ainsi, les Hmong participant au tourisme à Sa Pa produisent publiquement des discours qui présentent des aspects bénins, majoritairement esthétiques, de la culture Hmong. On peut également souligner le fait que certains de ces discours reprennent des stéréotypes originellement produits par la culture des dominants, les Kinh dans ce cas. Ce mimétisme rappelle les propos de Scott (1990 : 3), lorsqu’il explique comment « the greater the disparity in power between dominant and subordinate and the more arbitrarily it is exercised, the more the public transcript of subordinates will take on a stereotyped, ritualistic cast », suggérant que dans le cas des Hmong de Sa Pa et des Kinh, les rapports de domination ont atteint un niveau d’inégalité conséquent. Quant aux disparités entre les récits racontés aux touristes et la réalité telle qu’observée par d’autres chercheurs, elle suggère que la situation est en adéquation avec le reste des propos de Scott (1990 : 3) : « the more menacing the power, the thicker the mask ». Le masque porté par les Hmong de Sa Pa serait donc plus épais, vraisemblablement pour mieux parer aux dangers de la domination Kinh.