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2.2. L’État-Parti et les nationalités minoritaires

2.2.1. Portrait géopolitique du Vietnam

Afin de brosser le portrait du Vietnam contemporain, je propose d’exposer la structure politique et administrative qui régit le pays. La République socialiste du Vietnam est un État autoritaire et de régime communiste. Son organisation politique repose en grande partie sur le dualisme État-parti : bien que l’État et le Parti Communiste Vietnamien (PCV) soient deux organes distincts, dans la réalité politique ils sont fortement liés (le secrétaire général du parti est maintenant aussi président du pays, depuis novembre 2018, comme en Chine). Cette entité politique bicéphale règne suprême sur les sphères qui constituent la société vietnamienne contemporaine, soient les organes du pouvoir central et local, l’armée, et la société civile.

Commençons donc par expliciter le fonctionnement de l’État-parti au Vietnam. Bien que le pays ait connu plusieurs constitutions depuis son indépendance (1946, 1959, 1980, 1992 et 2013), on ne retiendra que certains éléments de cette parenthèse historique : la Constitution de 1980 marque l’avènement du PCV dans la nouvelle République socialiste du Vietnam réunifié ; celle de 1992 relève les défis de la fin du Bloc communiste et de l’ouverture du pays à l’économie néolibérale à travers les politiques de la Đổi mới ; la dernière Constitution en date (2013) assoit le pouvoir du PCV en maintenant son monopole, et en ne faisant aucune référence à un éventuel organe de contrôle sur ses actions. D’après cette dernière constitution et en concordance avec les précédentes, l’État-parti vietnamien est composé de trois branches dont les pouvoirs sont respectivement législatif, exécutif et judiciaire.

Le pouvoir législatif est assuré par l’Assemblée nationale, organe étatique suprême. Elle a pour rôle de voter les lois, mais décide aussi d’affaires nationales importantes et exerce le contrôle sur toutes les activités étatiques. Ses 498 membres sont élus pour cinq ans par le PCV et les représentants des organisations de masse. Ils forment une chambre unique, bien qu’ils ne siègent pas en permanence. En dehors des sessions, le Comité permanent assure les fonctions de l’Assemblée. Ce Comité représente les forces idéologiques de la nation (par exemple 26% de

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femmes, 13% de minorités ethniques, et il fait une place croissante au monde des affaires d’après Papin 2003 : 133). Le pouvoir exécutif est assuré par le gouvernement en tant qu’organe administratif suprême. Il opère en tant que corps exécutif de l’Assemblée nationale et a pour rôle de mettre en place toutes les décisions politiques, économiques, culturelles, sociales et sécuritaires. Ses membres élus par l’Assemblée nationale sont le Président (mandat de cinq ans, rôle minime), le Premier ministre et les différents ministres. De manière générale, les membres du gouvernement font partie du PCV. Le pouvoir judiciaire est assuré par la Cour Populaire Suprême, qui régit les tribunaux populaires ; son budget est contrôlé par l’Assemblée, qui confirme également les Procureurs populaires suprêmes nommés par la Cour.

Tableau 1 : L’organisation de l’appareil d’État depuis la Constitution du 15 avril 1992 (Papin 2003 : 131)

Le Parti Communiste Vietnamien domine la politique nationale grâce à son statut de parti unique. Il est omnipotent puisqu’au Vietnam, « il n’y a pas d’affaires administratives « exemptes de politique » » (Kornai 1996 : 60). Ses membres voient leurs candidatures proposées par des citoyens, puis choisies par le parti. Les candidats ainsi choisis sont ensuite formés à l’idéologie et

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aux techniques de gouvernement. Les militaires sont exempts de ce processus puisqu’ils deviennent automatiquement membres du parti du fait de leur service. C’est le secrétaire général du PCV qui est le réel maitre du pays, du fait de l’omniprésence du parti dans ses organes politiques. Il met en application les décisions prises par le parti à travers des plans quinquennaux et une coordination bureaucratique axée sur des retours de la population.

Le pouvoir local repose sur la division du territoire national en 58 provinces, ainsi que cinq municipalités disposant de la même autonomie (Hà Nội, Hồ Chí Minh, Cần Thơ, Đà Nẵng et Hải Phòng). Chaque unité administrative est régie par un Conseil populaire élu (en théorie) par les citoyens. Les membres du Conseil élisent en leur sein un Comité populaire comme organe exécutif (à noter qu’il existe de nombreux autres comités dont les tâches sont thématiques : dans les provinces où vivent un grand nombre de minoritaires, on retrouve par exemple des comités pour les affaires ethniques). Les Comités populaires sont les victimes d’une double dépendance pouvant parfois poser problème. Ils doivent obéir d’une part aux échelons supérieurs de l’administration, et ultimement au gouvernement ; et d’autre part aux Conseils populaire. Il arrive alors parfois que les membres du Comité hésitent entre désobéir à leurs supérieurs, ou bien risquer ne pas être reconduits dans leurs fonctions en n’écoutant pas les demandes des membres des Conseils.

L’armée est une composante importante dans la société vietnamienne. Bien que son importance dans le champ politique ait diminuée (en 1975, presque tous les cadres politiques avaient fait la guerre), elle continue de servir le PCV. Ainsi, son objectif premier est de protéger le parti ; elle doit ensuite assurer l’ordre interne au pays ; et enfin garantir la défense du territoire. Elle conserve toutefois une importance politique notable au niveau local, garantie par le fait que les zones administratives militaires sont plus grandes que les zones civiles ; les militaires dominent donc souvent les autorités locales.

Enfin, la société civile est politiquement représentée par les Organisations de masse. Ordonnées par thème (par exemple l’Organisation des travailleurs, la ligue pour la jeunesse, l’Organisation des femmes, des aînés, ou encore de nombreuses professions), elles sont dirigées par des membres du Parti qui appliquent les politiques décidées au niveau national. Elles servent ainsi à coordonner la dissémination et la mise en place des politiques officielles (Malarney 2002 : 64), et forment les « courroies de transmission » du Parti vers la société civile (expression de Lénine, rapportée par Kornai 1996 : 61).

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