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Une typologie des trajectoires liées aux emplois domestiques

Année Salaire de domestique résidente

4. Du travail domestique rémunéré au travail salarié non domestique et vice-versa : des parcours

4.3 Une typologie des trajectoires liées aux emplois domestiques

Les logiques sociales à l’œuvre dans la construction des trajectoires professionnelles ont été appréhendées spécifiquement à partir de l’inscription des emplois domestiques dans ces parcours. Dans un premier temps, nous avons regroupé les parcours similaires selon trois critères, soit la prédominance, la récurrence et l’emplacement des emplois domestiques dans ceux-ci. Cette première étape de nature plutôt inductive a été suivie d’une étape davantage analytique, au cours de laquelle nous avons cherché à établir ce qui définissait le rapport au travail domestique rémunéré pour chacun de ces groupes de parcours. L’identification de ces groupes procède d’une approche typologique davantage que classificatoire. Chacun des idéaux-types ainsi créés sera illustré par un parcours particulier, qui n’en est pas pour autant l’incarnation parfaite, évidemment. Rappelons que la démarche n’a pas pour but de classer les personnes dans des catégories hermétiques, puisqu’aucun parcours n’épouse parfaitement le portrait décrit. Trois profils se dégagent, qui mettent à jour à la fois les mutations profondes du rapport des femmes à l’emploi et à la famille au cours des dernières décennies et les mécanismes de segmentation du marché du travail qui s’opèrent à l’échelle biographique (mécanismes d’exclusion, de refoulement et de concentration).

4.3.1 Profil 1 : Parcours longuement interrompus et emplois domestiques dispersés

Ce profil caractérise les parcours des femmes parmi les plus âgées de notre échantillon. Elles ont pour la plupart travaillé comme domestiques dans leur jeunesse, pour ensuite quitter le marché du travail pour plusieurs années. Par la suite, les activités rémunérées apparaissent de façon éparse dans leur trajectoire. Elles n’ont pas occupé d’emploi de façon prolongée ou stable. En outre, l’éventail des expériences professionnelles de ces femmes est limité. Leurs activités rémunérées se situent exclusivement ou presque dans la vaste nébuleuse des emplois domestiques. Peu scolarisées, éloignées du marché du travail formel pendant plusieurs années, elles n’ont jamais intégré comme tel le monde de l’emploi typique, avec ses pratiques encadrées ou institutionnalisées (institutions de la

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recherche d’emploi, recrutement, cv, entrevues d’emploi, contrat de travail, assurance-chômage et régime de retraite…). Leur parcours est marqué par une très nette prédominance de l’informalité des occupations rémunérées, lesquelles sont par ailleurs disséminées sur l’ensemble de la trajectoire.

À partir des récits de vie des femmes dont le parcours se rapproche de ce profil, il a été souvent difficile de reconstituer précisément la chronologie de leurs expériences professionnelles : leurs souvenirs étaient vagues, elles ont fourni peu d’indications temporelles, sinon indirectes, nous permettant de situer les différents épisodes de leurs parcours. Nous avons dû insister beaucoup sur certains détails pour pouvoir replacer certains souvenirs dans la trame chronologique de leur parcours, et nous avons abondamment recouru à des repères tels que l’âge des enfants, le lieu de résidence, certains éléments de la trajectoire professionnelle du mari ― mais parfois sans succès. Bien que les contradictions majeures soient rares dans ces récits, la temporalité est souvent assez floue pour induire quelques incohérences. Il est en outre assez fréquent que certaines femmes passent sous silence de longs épisodes de travail, dont le souvenir n’émerge que par hasard alors que la conversation porte sur un autre sujet.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces aléas de la mémoire. D’abord, notons le fait que les expériences de travail de ces femmes sont peu pensées dans un registre professionnel, contrairement à la carrière de leur mari dont elles suivent le fil jusqu’à la retraite, malgré les interruptions. D’ailleurs, leur salaire n’a jamais représenté le revenu principal du ménage. Le contexte stressant de l’entrevue est aussi un facteur important, ainsi que le peu d’habitude que ces femmes ont de « reconstruire » leur parcours de façon chronologique et linéaire. Le fait qu’elles ne se figurent pas leur propre parcours professionnel comme une trajectoire explique les sauts de quelques dizaines d’années, qui sont fréquents dans ces remémorations. Leur narration procède plus par association d’idées et de souvenirs, résistant au cadrage artificiel pourtant fortement suggéré par l’entrevue elle-même. Les récits des femmes plus jeunes ont pour leur part bien davantage épousé la structure linéaire.

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4.3.1.1 L’exemple de Mme Rinfret (1934)

Mme Rinfret a occupé des emplois domestiques dans sa jeunesse, en milieu rural, jusqu'au moment de son mariage. À cette époque, elle quitte son emploi pour faire « c'que c'est que toute femme faisait dans c'temps là… Le ménage, le manger, [le linge], etcétéra, etcétéra… ». Par la suite, des expériences de ménage rémunéré surgissent ponctuellement dans son parcours, de façon un peu plus concentrée à certaines périodes. Ces épisodes sont très difficiles à situer, parce que Mme Rinfret semble se représenter sa situation durant toute cette période comme étant celle d’une femme au foyer. Elle saute d’une période à l’autre, au gré des remémorations. D’ailleurs, je dois ramener régulièrement le sujet du travail rémunéré car son récit s’égare surtout dans la sphère des relations familiales.

C.C. Alors… racontez-moi… est-ce que vous avez recommencé à travailler un moment donné, pour un salaire? Dans votre parcours?

Ben après… quand mes enfants ont été assez grands pour… s'organiser là… s'prendre à manger à la maison, pis tout ça là…

CC: Ça a été à quel moment, ça?

[…] À quel moment ça peut être…. Mes enfants étaient… Y'en a qui étaient mariés…

CC : Ok, y'étaient grands, là…

Oui. Oui oui. Attends un tit peu… Y'allaient encore à l'école. Non, y'étaient pas mariés. Y'allaient encore à l'école. Toutes les 5, là… Et puis le plus vieux, un moment donné y s'est marié. Puis… ma fille elle s'est mariée, ensuite mon garçon… [rire]

Vraisemblablement, plusieurs expériences vécues de travail domestique rémunéré n’ont pas émergé dans ce récit. Alors que Mme Rinfret peut situer assez précisément ses occupations dans la période qui précède son mariage, par la suite, son récit change. Une temporalité différente s’installe, et il est beaucoup plus difficile de replacer les différents moments sur une trame de plus de cinquante ans, parsemée de différentes expériences de travail domestique rémunéré ou bénévole : ménage chez des particuliers (familles aisées), dans des institutions, chez des