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Très peu de sources nous permettent d’évaluer, ne serait-ce qu’approximativement, le nombre et la diversité des emplois domestiques, hier comme aujourd’hui, puisqu’ils se situent très souvent dans le monde de l’économie informelle. Nous savons que le taux de recours à une employée domestique peut varier grandement d’un pays occidental à l’autre, mais aussi d’une région à l’autre, le phénomène étant étroitement relié au degré d’inégalité sociale prévalant dans un secteur donné, qui détermine la disponibilité d’une main-d’œuvre bon marché52.

51 Annie Dussuet, « Les emplois de proximité : Une opportunité de professionnalisation pour les

femmes de milieu populaire? », Revista de dialectología y tradiciones populares, LV, 2 (2000), p.125.

52 Milkman, Reese et Roth, « The Macrosociology »; Janeen Baxter, Belinda Hewitt et Mark Western,

« Who Uses Paid Domestic Labor in Australia? Choice and Constraint in Hiring Household Help »,

Feminist Economics 15, 1 (2009), p.1-26. Selon l’Enquête sur les dépenses des ménages de

Statistique Canada, entre 9% et 13% des ménages québécois auraient dépensé pour des services d’entretien domestique (à l’exception de la garde d’enfants) entre 1997 et 2009.

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L’invisibilité de ces activités rémunérées complique donc à la fois la mesure du secteur économique, largement informel, et l’identification et le dénombrement des travailleuses, dont une part n’exerce ce travail que par intermittence, à temps partiel ou de façon occasionnelle. Les catégories professionnelles des recensements ou les autres classifications administratives donnent d’ailleurs une image tronquée de ces occupations, qui sont souvent aux frontières de l’entraide et de l’emploi, et qui combinent différentes tâches de « reproduction ». La pratique de tenir pension, par exemple, illustre particulièrement bien la porosité des frontières entre travail gratuit et rémunéré53. Comme le suggère S. Lecomte : « Il semble clair qu’il faut casser les

cadres habituels, les cloisonnements institués, d’approche et de mesure du travail

…. Si cela n’était pas effectué, il me semble que nous ne cesserions de tourner en rond autour des clivages classiques domesticité/salariat, travail domestique/travail salarié, clivages sociologiquement, historiquement et biographiquement inadéquats

… »54.

Chez les historiennes des femmes, le recours aux sources orales a permis un accès privilégié à des vécus souvent occultés, et notamment à l’expérience du quotidien55. Le recours aux témoignages oraux a permis, non seulement de

documenter des pans de l’histoire restés dans l’ombre faute de sources, mais aussi de créer de nouvelles pistes de recherche; en ce qui concerne le travail domestique, pensons à la notion de « charge mentale » théorisée par Monique Haicault56.

L’histoire orale, parce qu’elle nous force à considérer les différentes sphères de la vie dans leur interpénétration plutôt que de façon isolée, nous permet de sortir des cadres d’analyse habituels (notamment aux frontières de l’histoire de la famille et de

53 Kari Boyd McBride, « A (Boarding) House Is Not a Home. Women’s Work and Woman’s Worth on

the Margins of Domesticity », Patricia Hart et al., dir., Women Writing Women. The Frontiers Reader, Lincoln and London, University of Nebraska Press, 2006, p.205-224.

54 Lecomte, « La bonne », p.340.

55 Denyse Baillargeon, « Histoire orale et histoire des femmes : itinéraires et points de rencontre », Recherches féministes, 6, 1 (1993), p. 53-68.

56 Monique Haicault, « La gestion ordinaire de la vie en deux », Sociologie du travail, 3 (1984), p. 268-

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l’histoire du travail). Notre projet de thèse, axé sur le parcours professionnel ainsi que le rapport au travail domestique (sur le plan des pratiques comme des représentations) des travailleuses domestiques, ne se laisse pas appréhender par des sources traditionnelles écrites. Les témoignages oraux de femmes dont les activités, de par leur caractère « privé » et souvent informel, ne laissent que peu de traces, apparaissent donc comme le seul accès, aussi partiel et partial soit-il, à leur expérience.

L’approche privilégiée est celle du récit de vie, qui permet non seulement « d’étudier l’action dans la durée »57, mais également qui donne aux participantes

l’espace discursif pour élaborer avec davantage de liberté les différentes trames biographiques, dans toute la complexité de leurs imbrications synchroniques et diachroniques. Pour l’histoire sociale, les récits de vie sont particulièrement précieux, car « les histoires de vie rapportent bien plus qu’un itinéraire : elles sont les révélateurs des modes de participation à une culture, un métier, une condition, à des lieux et à des relations sociales établies dans le quotidien »58. Animée par cette

ancienne conviction féministe que la réalité des femmes est une donnée signifiante au regard de l’histoire, aiguillée par cette conscience plus récente des différentes forces qui sont en jeu à toutes les étapes de la recherche, nous croyons que l’espace intersubjectif de la rencontre humaine est forcément le lieu où débute la connaissance.

Quelques sources complémentaires viendront étayer certains éléments de démonstration, principalement des documents issus du fonds de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC)59, ainsi que des études gouvernementales ou rapports de

Commissions d’enquêtes portant sur le travail des femmes et datant des années 1950 à 1990. Ces documents sont d’un apport certain pour situer les parcours biographiques des femmes et les formes d’emplois domestiques dans le contexte

57 Daniel Bertaux, Le récit de vie (2e édition), Paris, Armand Colin, 2005, p.8.

58 Odile Join-Lambert, « Les sources orales et l’histoire sociale », Florence Descamps, dir., Les sources orales et l’histoire, Rosny-sous-Bois, Bréal, 2006, p.169.

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sociohistorique d’une ville comme Québec. Ces pièces sont toutefois mineures aux côtés d’un corpus de trente récits de vie, qui constitue la base empirique de l’ensemble de la démonstration.