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Les femmes et les marchés du travail dans la seconde moitié du XX e siècle

Plan de la thèse

2. Un symbole, mille visages de femmes et de filles : socio-économie historique du service

2.1 Les femmes et les marchés du travail dans la seconde moitié du XX e siècle

La salarisation d’une immense majorité de femmes au cours de la seconde moitié du XXe siècle est au centre d’une redéfinition profonde de leur statut social.

En effet, comme le résume M. Maruani, pour les femmes, « le salariat consomme le divorce entre le statut professionnel et le statut familial : salariées, les femmes ne sont plus « femmes de » (d’agriculteur, de commerçant, d’artisan, etc.). Au bout du salariat, c’est donc l’autonomie économique des femmes qui se profile »118. Au cœur

de cette profonde mutation socioéconomique, des modes d’accès spécifiques au salariat se créent pour les femmes depuis les années 1960, façonnant de nouveaux clivages dans l’accès à la citoyenneté économique.

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2.1.1 Travail/emploi des femmes : quelques précisions historiques

En 1946, Monique Boucher dans sa thèse de sociologie intitulée Le travail

féminin dans la province de Québec, précise d’emblée ce que répèteront les

historiennes des générations suivantes, soit que le travail des femmes n’est pas un phénomène nouveau :

La femme a toujours travaillé. Ce qui est nouveau c’est le mode de son travail et sa rémunération. Au temps de l’économie domestique, elle tissait le drap, le cousait, blanchissait le linge, cuisinait le pain, jardinait, donnait même, à l’occasion, un coup de main aux travaux des champs. Tel était le partage de toutes les femmes, mariées ou célibataires; parce qu’il est nécessaire d’appartenir à une unité économique pour vivre, et que les cadres de celle-ci étaient alors la famille. […] L’économie marchande et l’industrialisation ont brisé ces cadres. Toute la main-d’œuvre masculine s’en est évadée. L’économie domestique est alors devenue une économie féminine. Mais la femme elle-même n’y est pas restée confinée.119

Marie Gérin-Lajoie ne disait pas autre chose en 1896 lorsqu’elle évoquait la disparition des industries domestiques, et observait que « la femme, prise dans ce dilemme, ou de rester désoeuvrée au sein de la famille …, ou de franchir le seuil de la maison pour chercher de l’ouvrage en dehors, elle a opté pour le dernier parti »120. Les femmes constituent en effet une part importante de la main-d’œuvre

ouvrière à l’époque de l’industrialisation. Concentrées surtout dans les industries du vêtement, elles représentent au début du XXe siècle entre le quart et le tiers de

l’ensemble de la population ouvrière à Québec et à Montréal121. Néanmoins, leur

intégration au salariat se fait sur un mode subordonné, ce que révèle entre autres le niveau de leur salaire, la moitié de celui des hommes en moyenne, mais aussi le fait

119 Monique Boucher, Le travail féminin dans la province de Québec, Thèse de maîtrise, Québec,

Université Laval, 1946, p.16.

120 Marie Gérin-Lajoie, «Le mouvement féministe», Le Coin du Feu, juin 1896, p.164.

121 Marie Lavigne et Jennifer Stoddart, «Ouvrières et travailleuses montréalaises, 1900-1940 », Marie

Lavigne et Yolande Pinard, dir., Les femmes dans la société québécoise, Montréal, Boréal Express, 1977, p.127.

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que cette main-d’œuvre féminine de la période industrielle soit constituée surtout de femmes célibataires. Les femmes mariées sont largement exclues du salariat, bien que leur travail, rémunéré ou non, soit au cœur de l’économie familiale de l’époque industrielle122.

La distinction qui s’établit entre, d’une part, une sphère privée et féminine123,

et, d’autre part, une sphère « publique », devient symboliquement si rigide au XIXe

siècle qu’il devient pratiquement impossible de penser les activités des femmes et des hommes à l’extérieur de cette dichotomie124. Le capitalisme fait du travail une

activité objectivable : l’opération elle-même peut être séparée de la personne qui l’exécute, le rapport au temps qu’il établit implique une nouvelle mesure de la valeur du travail en termes de productivité. Le premier axe des nouvelles modalités de la division sexuelle du travail est donc l’assignation prioritaire des femmes au « travail domestique », défini comme « improductif », et inversement le salariat devient la seule forme reconnue de travail productif; incidemment, « travail » devient synonyme d’ « emploi » :

Le capitalisme instaure l’autonomisation de la production, la constitution d’une sphère économique d’où sont exclues toutes les pratiques n’ayant pas un effet dans le processus de valorisation et de réalisation du capital. Cette autonomisation est marquée concrètement par la constitution de lieux consacrés au travail : les manufactures, puis les fabriques, les bureaux, d’où sont rejetés toutes les activités qui ne sont pas du travail pour le capital. Le temps se divise. Le temps de travail se resserre en durées journalières continues et les temps non productifs sont expulsés de la sphère de la production : ainsi, les temps de repos, les temps de repas, etc., mais aussi les temps non productifs de la vie toute entière qui acquièrent ainsi un statut spécifique : l’enfance, la vieillesse, la maladie…

122 Bettina Bradbury, Working Families : Age, Gender, and Daily Survival in Industrializing Montreal,

Toronto, University of Toronto Press, 2007, 310 p.

123 Barbara Welter, « The Cult of True Womanhood : 1820-1860 », American Quarterly, 18, 2 (summer

1966), p.151-174.

124 Comment le souligne Diane Lamoureux, l’origine de la notion de sphères privée et publique

remonte très loin dans l’histoire de la pensée politique. À partir de l’époque moderne, cependant, elle se développe autour d’une idéologie naturaliste de la différence des sexes, dont la fonction principale est « d’interdire l’accès des femmes à l’univers politique et d’introduire un «double standard» sexué dans l’autre domaine public, le marché du travail» (Diane Lamoureux, «Public/Privé», Helena Hirata

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Toutes les activités qui relèvent de la reproduction des individus se séparent donc de la production des biens125.

À l’époque où Monique Boucher écrit sa thèse, après la Deuxième Guerre mondiale, le monde du travail amorce une nouvelle phase de transformations, qui toucheront l’ensemble de la main-d’œuvre et tout particulièrement les femmes126.

D’une société industrielle, le Québec se dirige vers un modèle postindustriel, et ce processus macroéconomique marqué entre autres par un déclin des secteurs primaire et secondaire et une montée rapide du secteur tertiaire, est indissociable d’une transformation non moins importante sur le plan socio-économique, soit la féminisation accélérée de la main-d’œuvre. Après une lente et constante montée du taux d’activité127 des femmes depuis le XIXe siècle, leur présence sur le marché de

l’emploi connait un pic pendant la Deuxième Guerre, puis ce taux recommence à grimper dans les années 1950, et à un rythme accru. Cet accroissement statistique spectaculaire visible surtout à partir des années 1960 s’explique essentiellement par la hausse de la présence des femmes mariées sur le marché du travail.

125 Chabaud-Rychter et al., Espace et temps, p.13.

126 Comme le montre M. Fahrni, la période de reconstruction d’après-guerre correspond aussi à une

phase de redéfinition des frontières entre la famille et les sphères publiques, autour notamment de l’intervention étatique et de nouvelles zones d’activisme des femmes comme consommatrices (Magda Fahrni, Household Politics: Montreal Families and Postwar Reconstruction, Toronto, University of Toronto Press, 2005, 350 p.).

127 Le taux d’activité se mesure au nombre de personnes en chômage ou occupant un emploi, par

rapport à la population âgée de 15 ans et plus. Les étudiants ainsi que les personnes considérées non disponibles à l’emploi ou qui ne sont pas à la recherche d’un emploi sont comptés dans la population « inactive ». Une mesure statistique qui, de toute évidence, est l’héritière d’une conception restreinte du « travail », telle qu’historicisée plus haut. Au sujet du concept « d’inactivité », lire Annie Fouquet, « L’invention de l’inactivité », Travail, genre et sociétés 11, 1 (2004), p.47-62. Les historiennes des femmes sont confrontées de façon récurrente au caractère androcentré des cadres statistiques, notamment à travers les catégories socio-professionnelles qui invisibilisent le travail des femmes, notamment dans les recensements (Catherine Omnès, « Les trois temps de l’emploi féminin : réalités et représentations », L’Année sociologique, vol. 53, no.2 (2003), 373-398). En regard du travail domestique rémunéré, les limites des données quantitatives existantes sont quasi insurmontables, comme nous le verrons plus loin.

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Tableau 2 : Proportion des femmes mariées dans la population active féminine, province de Québec, 1921-1971128

Alors que d’aucuns ont pu interpréter cet accroissement de la population active féminine comme une « conquête »129 du marché du travail par les femmes,

force est de constater que leur intégration s’est fait sur un mode bien spécifique, par les « entrées de service » plutôt que par la porte principale130. La présence accrue

des femmes dans le salariat indique un « déplacement » plutôt qu’un effacement de la division sexuelle du travail.

2.1.2 Pour une problématique de l’intégration des femmes au marché du travail depuis les années 1960

Après la Deuxième Guerre mondiale, un nouveau mode de régulation du travail se met progressivement en place, lequel allie emploi régulier à temps plein pour un seul employeur, droits syndicaux et protections sociales garanties par l’État.

128 Sources : pour les années 1921, 1931 et 1941: Boucher, Le travail féminin, p.31, 57. Pour les

années 1951, 1961 et 1971: Francine Barry, Le travail de la femme au Québec : l’évolution de 1940

à 1970, Montréal, PUQ, 1977, p.20.

129 Claudiane Attias-Donfut et Martine Segalen, Grands-Parents : La famille à travers les générations,

Paris, Odile Jacob, 2007, p.20.

130 La notion de « féminisation » de la population active ou de la main-d’œuvre, avec sa connotation

positive et ses implications égalitaires, cache effectivement les processus de segmentation et de hiérarchisation à l’œuvre dans cette transformation du marché du travail (Claude Zaidman, « La notion de féminisation : De la description statistique à l’analyse des comportements », Les cahiers du

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Le développement des États providence prend notamment la forme d’une intervention publique accrue dans le champ économique, dans une perspective keynésienne visant le « plein emploi »131. À son apogée au début des années 1970,

ce modèle dit fordiste s’applique à un nombre important de travailleurs de l’industrie, et s’est élargi à des travailleurs d’autres secteurs économiques132. Cependant, loin

d’une vision idéalisée et nostalgique de cette période fordiste, l’institutionnalisation d’un salariat « typique » a créé dans son ombre des marchés d’emplois atypiques où sont relégués certains groupes de travailleurs, notamment une partie des jeunes, mais tout particulièrement les femmes. Parallèlement et paradoxalement à la montée d’un modèle à prétention universaliste donc, la dualisation du marché du travail s’installe à travers le développement des formes non typiques d’emploi dès l’époque fordiste, mais s’accélère à partir du début des années 1980 avec la montée du néolibéralisme : temps partiel, travail temporaire, autonome, sur appel, cumul d’emplois133. Les femmes, de plus en plus présentes sur le marché du travail, sont

particulièrement touchées par cette tendance supposément marginale, qui s’avère être structurellement liée au phénomène de la féminisation du salariat134.

2.1.2.1 Le travail à temps partiel

Le travail à temps partiel incarne particulièrement bien cette dynamique d’intégration sur un mode spécifique des femmes au marché du travail. Le discours de promotion du travail à temps partiel comme forme d’emploi adapté aux femmes commence à surgir dès les années 1950, au moment où, après la baisse de l’après- guerre, le taux d’activité des femmes recommence à monter, et alors que la formule

131 Gosta Esping-Andersen, Les trois mondes de l'Etat-providence, Essai sur le capitalisme moderne,

Paris, PUF, 1999, 310 p.

132 Louis Côté, L’État démocratique : fondements et défis, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2008, 252 p.

133 Yannick Noiseux, « Travail atypique au Québec : les femmes au cœur de la dynamique de

centrifugation de l’emploi, 1976-2007 », Labour/Le travail, 67 (2011), p. 95-120.

134 Judy Fudge et Leah F. Vosko, « Gender Paradoxes and the Rise of Contingent Work : Towards a

Transformative Political Economy of the Labour Market », Wallace Clement et Leah F. Vosko, dir.,

Changing Canada. Political Economy as Transformation, Montreal & Kingston, McGill-Queen’s

University Press, 2003, 194. Monique De Sève, «Pour une mise à jour des caractéristiques de l'emploi féminin de 1961 à 1986», Interventions économiques, 20/21 (1988), p. 67.

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du plein temps est prédominante chez les travailleuses. Exprimant les ajustements des modalités de la division sexuelle du travail à la réalité du travail salarié des mères de famille, ce discours mise sur la « norme de la bonne mère »135, une norme centrée

sur la disponibilité permanente à l’enfant, et qui se manifeste entre autres par une contrainte forte au retrait du marché de l’emploi au moment de la maternité136. Au

Canada et au Québec, les études se multiplient après la Guerre pour comprendre ce phénomène du travail des femmes, qui continue d’être présenté comme un « problème » à solutionner137. À cet égard, la solution du travail à temps partiel,

plutôt que le reflet d’un besoin exprimé par les travailleuses, apparait davantage comme une injonction normative en pleine élaboration, comme en témoigne l’extrait suivant, tiré d’une enquête réalisée en 1958 pour le compte du ministère du travail du Canada :

Il n’existe aucun doute quant au désir général des mères qui travaillent de

passer plus de temps avec leurs enfants. Il est probable que les femmes exprimeraient ce désir en réduisant leurs heures de travail, si elles pouvaient le faire. … Il n’y a aucun doute qu’à mesure que les obligations familiales augmentent, il existe un désir et un besoin croissants d’alléger le fardeau au bureau ou à l’usine. Il est intéressant de noter, cependant, que bien que les femmes ayant trois enfants ou plus

135 L’expression est de Françoise Bloch et Monique Buisson, La garde des enfants une histoire de femmes : entre don, équité et rémunération, Paris, L’Harmattan, 1998, 319 p.

136 Lire Sangster au sujet des nombreux obstacles, matériels et idéologiques, au travail salarié des

femmes, malgré leur pénétration accélérée du marché de l’emploi (Joan Sangster, Transforming

Labour. Women and Work in Postwar Canada, Toronto : University of Toronto Press, 2010, p.16-52). 137 Quelques exemples : Canada, Enquête sur les femmes mariées en emploi rémunéré dans huit villes du Canada, Ottawa, Ministère du travail, 1958, 90 p. ; À travail égal, salaire égal : le progrès du concept au Canada, Ottawa, Bureau de la main-d’œuvre féminine, Ministère du travail du Canada,

1959, 33 p. ; La Femme canadienne au travail : un documentaire sur l'effectif ouvrier féminin, Ottawa, Ministère du travail,1960, 113 p. ; La Femme canadienne au travail : quelques données récentes sur

l'effectif de la main-d’œuvre féminine, Ottawa, Ministère du travail,1964, 108 p. Québec. Travail de nuit de la femme dans l'industrie: mémoire et rapport, Québec, ministère du Travail, 1964, 55 p. En

outre, le travail des femmes préoccupe aussi beaucoup les sociologues et travailleurs sociaux, qui sont nombreux à y consacrer leur thèse dans ces années, par exemple : Imelda Roberge, Le travail

de la femme mariée à l’usine St-Malo, Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 1946, 80 p. ;

Boucher, Le travail féminin; Suzanne Turgeon, La main-d’œuvre féminine à la buanderie Lévis, Thèse de diplôme, Québec, Université Laval, 1947, 69 p.; Guy Laferrière et Pierre Maheu, Effets du travail

de la femme mariée sur la structure d'autorité : une étude du travail de la femme mariée en emploi rémunéré, au point de vue de ses conséquences sur la structure d'autorité dans la famille à partir de deux groupes d'échantillonnage comparés à Montréal, Thèse de maîtrise, Montréal, Université de

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constituent une très faible partie de cet échantillon, près de 60 p. 100 d’entre elles semblent trouver nécessaire de travailler à plein temps.

Naturellement, un très petit nombre de mères de trois enfants travaillent

à l’extérieur. Les femmes ayant des responsabilités aussi lourdes ne

travailleraient probablement pas, à moins qu’elles ne subissent

d’énormes pressions financières138.

Au Québec, une autre étude menée en 1959 sur les conditions de vie des familles salariées canadienne-françaises témoigne du même type de biais139.

Fondamentalement, la question de la « raison » du travail féminin, qui n’est évidemment jamais posée pour le travail masculin, est toujours sous-jacente aux analyses. En outre, si le questionnaire destiné aux répondantes à l’enquête compte plus d’une vingtaine de questions concernant le travail du mari ― se rapportant au salaire, aux conditions de travail, au mode de transport, et aux horaires, notamment ― en revanche, à peine cinq questions suffisent à épuiser le sujet du travail de l’épouse. Parmi celles-ci, l’une concerne l’intention de continuer à travailler ou non, une autre considère les inconvénients de l’emploi en regard de « la tenue de la maison », de « l'éducation des enfants », de « la santé (de la femme) » ainsi que de « la bonne entente entre mari et femme ». Malgré cette insistance sur le caractère anormal du travail salarié des mères, les auteurs notent que selon les réponses apportées aux enquêteurs par les répondantes, « le conflit entre le travail de la femme mariée et ses rôles traditionnels semble surtout se situer au niveau du rôle de ménagère. Le rôle de mère et le rôle d'épouse ne semblent pas entrer en conflit avec le travail extérieur. »140 Négligeant de considérer le poids des normes sociales

entourant le travail salarié des mères, les auteurs de l’étude ne semblent par

138 Canada, Les femmes mariées en emploi, p.38. Nous soulignons.

139 Marc-Adélard Tremblay et Gérald Fortin, Les comportements économiques de la famille salariée du Québec. Une étude des conditions de vie, des besoins et des aspirations de la famille canadienne- française d'aujourd'hui, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1964, 450 p.

http://classiques.uqac.ca/contemporains/tremblay_marc_adelard/comportement_famille_salariee/co mportement_fam_salariee.pdf, consulté le 9 février 2015.

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conséquent pas soupçonner que les femmes qui répondent au questionnaire puissent tenter de minimiser les « inconvénients » de leur travail salarié.

La construction historique du « problème social » que représente le travail féminin est indissociable de l’émergence d’une peur, celle de la concurrence féminine dans le champ du salariat. En France, comme le rapporte C. Omnès, le taux d’activité très élevé des femmes au XIXe siècle ne suscite pas de polémique, et

d’ailleurs a un impact assez mince sur le taux de fécondité. De la fin du XIXe siècle

aux années 1960, on assiste selon elle à une « illusion d’optique sociale »141 : alors

que le taux d’activité des femmes recule, le travail féminin est perçu comme une menace grandissante. Elle l’explique par le fait que le travail féminin serait lors de la seconde phase d’industrialisation devenu plus visible avec la séparation du lieu de travail et lieu de vie et l’irruption des femmes dans des secteurs masculins. La peur de la concurrence a très clairement contribué à construire le discours sur l’incompatibilité de la maternité et de l’activité professionnelle des femmes.

Ce que Maruani nomme la « contingence du droit au travail des femmes », qui « repose sur l’idéologie du «libre choix» des femmes – celui de ne pas travailler– […]»142, apparait comme une dynamique structurant le rapport des femmes au

marché de l’emploi dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le discours idéologique

présentant le travail à temps partiel comme une forme d’emploi particulièrement adaptée pour les femmes, qui atteint son apogée dans les années 1980, mise sur donc sur la « norme de la bonne mère » tout en s’appuyant sur la contingence du droit au travail des femmes, au service à la fois des nouvelles exigences d’un marché du travail de plus en plus précaire, et d’une ré-assignation continuelle des femmes au travail domestique et de prise en charge des enfants143.

Au Québec et au Canada, le travail à temps partiel a touché durant le dernier quart du XXe siècle en premier lieu les femmes dans les secteurs de la vente et des

141 Omnès, « Les trois temps», p. 381.

142 Margaret Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte, 2003, p.68. 143 Fudge et Vosko, « Gender Paradoxes ».

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services : depuis la fin des années 1970, un peu plus d’une travailleuse sur cinq occupe un emploi à temps partiel144, mais c’est chez les jeunes femmes que

l’augmentation a été fulgurante.