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Dynamiques contemporaines des « secteurs domestiques» formels et informels

Plan de la thèse

2. Un symbole, mille visages de femmes et de filles : socio-économie historique du service

2.3 Dynamiques contemporaines des « secteurs domestiques» formels et informels

La recherche sur les formes contemporaines d’emplois dans le secteur de l’aide à domicile en retrace couramment deux généalogies distinctes : celle de la domesticité, d’une part, et celle du bénévolat ou de l’assistance sociale, voire des solidarités familiales d’autre part191. S’il est tout à fait adéquat, de notre point de vue,

de reconnaître dans les nouvelles figures du travail domestique rémunéré quelques traits anciens à la fois de la « servante » et de la « religieuse » ― disons-le ainsi pour faire image ―, il est également important de rappeler que ces deux lignées n’ont pas attendu la fin du XXe siècle pour se rejoindre, mais que leur proximité a

constitué une composante structurante de leur évolution historique depuis le XIXe

190 JOCF, Mémoire.

191 Notamment Geneviève Fraisse, Femmes toutes mains, essai sur le service domestique, Paris,

Seuil, 1979, 246 p.; Brigitte Croff, Seules. Genèse des emplois familiaux, Paris, Métailié, 1994, 199 p.; Tania Angeloff, « Employées de maison, aides à domicile : un secteur paradoxal », Florence Weber, Séverine Gojard et Agnès Gramain, dir., Charges de famille : Dépendance et parenté dans

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siècle. Les définitions du travail domestique rémunéré se sont articulées historiquement autour des référents disponibles dans la réalité concrète autant que dans l’imaginaire collectif.

2.3.1 L’aide à domicile ou l’auxiliaire familiale : nouvelle figure de proue La décennie 1960 est une période de transition pour le secteur des emplois domestiques, au cours de laquelle les codes du service domestique « traditionnel » coexistent avec de nouveaux référents, plus proches de la figure émergente de la « travailleuse sociale ». Reflétant parfaitement cette ambivalence des modèles, le Conseil central des œuvres de Québec, ancêtre de Centraide, fonde le « Service d’auxiliaires-familiales de Québec » et organise dès 1964 un programme de formation leur étant destiné. Les femmes visées par cette organisation sont âgées de trente ans et plus, ciblées pour leur expérience familiale, et la clientèle est constituée de personnes âgées et de familles dont la mère travaille. Ce programme est centré principalement sur les savoir-être de l’auxiliaire familiale et ses « vertus » principales, qui demeurent la « charité et la discrétion ». Le contenu des cours offerts à la même époque par la JOCF est à l’avenant.

Auxiliaires-familiales : Femmes sérieuses et dévouées, discrètes et charitables, sans obligation de famille, en bonne santé, d’éducation excellente, aimant rendre service, capables de remplacer temporairement la mère de famille à son foyer. Cette fonction tient le milieu entre la maîtresse de maison, l’infirmière et la travailleuse sociale.192

L’alignement vers de nouveaux besoins sociaux, prend appui sur des traditions bien établies de service domestique. Néanmoins, les « auxiliaires familiales », absorbées par le secteur public au tournant des années 1980, fonderont une association qui servira de véhicule à leurs revendications de reconnaissance professionnelle dans les décennies suivante193.

192 « Résumé du cours suggéré pour la formation du cours d’auxiliaire familiale », p.1, Archives

nationales du Québec à Québec (ANQ-Qc), Fonds du Ministère de l’Éducation, (E13), boîte 1999-08. Merci à Maryline Brisebois de m’avoir signalé ce dossier.

193 Raymonde Bourque, Évolution de la profession des auxiliaires familiales et sociales: significations et enjeux, Mémoire de maîtrise, Montréal, UQAM, 1991, 206 p.

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L’enjeu de la vieillesse commence à poindre dans les années 1960, alors que se développe l’État Providence mais que se délitent lentement les vieilles structures de prise en charge des personnes âgées. Des voix commencent à se faire entendre pour imprimer un tournant dans la gestion collective de la perte d’autonomie, un tournant qui repose sur de nouvelles formes d’emploi domestique permettant le maintien dans leur milieu de vie des personnes âgées. Le modèle imaginé en 1961 par C. McAllister, du Conseil canadien du bien-être, prévoit non seulement l’établissement d’institutions qui deviendraient des intermédiaires employeurs, mais également une formule de multi-clientèle qui préfigure le modèle qui s’établira dans les dernières décennies du XXe siècle au Québec :

Un service d’aides ménagères sous auspices soit publics, soit privés, emploie du personnel pour accomplir le travail ménager ordinaire. Mais parce que ce service est une réponse à un diagnostic de besoin social ou médical, le personnel professionnel se doit d’apprécier les demandes de service et leur durée possible. Là où le service est disponible pour des personnes seules ou des couples âgés, il suffira, le plus souvent, à les garder à leur propre foyer ou dans une autre habitation. Le service à temps partiel : une aide ménagère viendra en aide à plusieurs personnes âgées pour quelques heures par jour seulement ou quelques jours par semaine et c’est tout ce qui sera nécessaire peut-être.194

Cependant, la remise en question des pratiques d’hospitalisation des vieillards au Québec tarde encore, et il faut attendre à la fin des années 1970 pour qu’une première politique québécoise de soutien à domicile soit mise en place. C’est l’époque de la création des Centres locaux de services communautaires (CLSC), nouvelle structure servant d’intermédiaire entre le système hospitalier et la population, interface de mise en œuvre de cette nouvelle politique. Employées des CLSC, les « auxiliaires familiales » prennent le relais des organisations charitables ou communautaires et offrent des services d’aide domestique et de soins quotidiens à une population ciblée, soit les personnes âgées ou handicapées. Le milieu

194 Clare McAllister, « Assurons des services d’aide familiale aux personnes âgées », Vivre longtemps/On Growing Old vol. III, no.4, nov. 1961, p.1.

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communautaire et ses travailleuses, bénévoles pour la plupart, ainsi que les familles continuent de jouer un rôle primordial pour répondre aux besoins non comblés par le système public.

À partir du milieu des années 1980, dans un contexte de hausse de la demande pour des services à domicile et de compression des dépenses publiques, on assiste au début d’un transfert progressif des services d’aide domestique donnés par les CLSC vers des « sous-traitants » communautaires ou privés195. Ce transfert

donne lieu à une dégradation de la qualité des emplois, qui, lorsqu’évacués des CSLC, en sont par ailleurs réduits à leur portion « entretien ménager ». Les auxiliaires familiales des CLSC, dont la tâche se concentre désormais sur les soins, misent sur cette distinction, dans un processus de reconnaissance de leur titre professionnel, mais aussi de segmentation et de hiérarchisation des emplois sur la base des soins versus de l’aide domestique, processus sur lequel nous reviendrons dans le cinquième chapitre de cette thèse. Les « aides à domicile », employées d’agences privées ou d’organismes communautaires ou employées de gré à gré, se multiplient devant la demande grandissante d’aide domestique, désormais clairement rejetée par les CLSC. L’implantation d’un système « d’allocation directe » contribue aussi à ce que Jenson appelle une « multiplication des marchés du travail »196, et un éclatement des formes d’emplois, processus dont l’État est partie

prenante.

Un exemple frappant de cette convergence entre les politiques publiques et les « forces du marché » dans la construction d’un « secteur » domestique, nourri par une main-d’œuvre ciblée, se trouve du côté de l’aide sociale (les politiques d’immigration, on l’a vu, en sont une autre illustration). Au Québec comme ailleurs, les services à domicile dans les années 1980 et 1990 sont vus comme un gisement d’emploi en période de fort chômage. L’État y voit aussi l’occasion de

195 François Aubry, Christian Jetté et Yves Vaillancourt, dir., L’économie sociale dans les services à domicile, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2003, p.57-59.

196 Jane Jenson, « D'un régime de citoyenneté à un autre : la rémunération des soins », Travail, genre et sociétés, 6, 2 (2001), p.55.

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favoriser l’insertion sociale, alors que s’opère une transition dans la philosophie de l’aide sociale, de plus en plus centrée sur la réintégration au marché du travail et « l’employabilité » des personnes197. C’est dans ce contexte que sont créés des

programmes dits « d’insertion » au marché du travail, qui canalisent des femmes prestataires d’aide sociale vers des organismes communautaires d’aide domestique. Très critiqués, ces programmes n’offrent en réalité pas de débouchés professionnels, en plus d’exploiter de façon éhontée le travail des femmes198.

À partir de 1996, le gouvernement du Québec mise sur le secteur de l’ « économie sociale »199 pour créer des emplois dans le secteur domestique. Une

centaine de ces organismes ont été accrédités depuis et reçoivent leur financement en échange d’un engagement en faveur du développement de services domestiques et de la création d’emplois « durables »200. Tous les clients des entreprises

d’économie sociale en aide domestique (EESAD) peuvent bénéficier d’une exonération financière, ce qui réduit considérablement les coûts individuels des services, cette mesure étant destinée à lutter contre le travail au noir. Les personnes

197 Lise Poulin-Simon et Judith Caroll, « Historique des interventions du gouvernement du Québec

dans le domaine de la main-d’œuvre : une politique en panne », Relations industrielles, 46, 4 (1991), p.766-802.

198 Dans les années 1980, les programmes EXTRA, par exemple proposaient aux femmes

bénéficiaires d’aide sociale d’effectuer un «stage» de neuf mois dans un organisme communautaire. Moyennant une majoration mensuelle de 150$ de leur prestation, elles effectuaient 20h de travail ménager par semaine, sans aucune perspective d’emploi à la fin de cette période (Jacques Fournier, « Aide à domicile : pour que l’économie sociale demeure de l’économie sociale », Nouvelles pratiques

sociales, 13, 2 (2000), p.194). À Québec, l’organisme Aide communautaire Limoilou fonctionne entre

1988 et 1992 exclusivement grâce au travail de plus d’une vingtaine de préposées recrutées par les programmes EXTRA, pour lesquelles l’organisme reçoit jusqu’à 100$ de subvention par employée (Julie Charest, Monographie de l’organisme Aide communautaire Limoilou, Centre de recherches sur les innovations sociales, 1998, p.19-21). Les résultats de ces programmes en termes d’insertion durable sur le marché du travail se sont révélés plutôt mitigés (Québec, Synthèse des résultats des

études d’évaluation en matière de développement de l’employabilité en d’intégration en emploi,

Québec, Ministère de la sécurité du revenu, 1994, 63 p).

199 Les entreprises d’économie sociale en aide domestiques (EESAD) sont des « organismes à but

non lucratif » ou des coopératives, généralement des organismes communautaires qui ont opté pour le statut d’EESAD pour être soutenus financièrement par l’État.

200 Québec, Plan d’action gouvernemental pour l’entreprenariat collectif : Profil des entreprises d’économie sociale en aide domestique, Québec, ministère des Affaires municipales, des Régions et

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âgées ou dépendantes reçoivent quant à elles une aide supplémentaire. Très rapidement cependant, l’insuffisance du financement public des EESAD a eu pour effet de limiter leur capacité à remplir leurs engagements en matière, d’une part, de qualité des emplois et, d’autre part, d’accessibilité des services aux personnes les plus démunies201. Ces emplois, sans surprise, sont à plus de 90% occupés par des

femmes. La plupart des travailleuses sont âgés de plus de 46 ans, voire plus de 55 ans, elles travaillent plus souvent qu’autrement à temps partiel, à des taux ne dépassant que légèrement le salaire minimum202. Les EESAD peinent à garder leurs

travailleuses, qui continuent pour un bon nombre d’entre elles à travailler à leur propre compte, au noir. Par ailleurs, les échanges informels continuent de nourrir largement les pratiques dans le domaine de l’aide domestique, où les femmes cumulent emplois à temps partiel, temporaires, voire ponctuels.

2.3.2 Nouveaux « besoins » et délégation au féminin : une nouvelle classe de servantes

Au-delà de la question sociale des personnes âgées, qui représentent une « clientèle » en croissance pour les travailleuses domestiques, le contexte des années 1970 et 1980, où le travail salarié des mères de jeunes enfants se généralise, a vu naître de nouvelles demandes en matière de services domestiques, et notamment de services de garde, au Québec comme ailleurs au Canada, aux États-Unis et en Europe. Des témoignages entendus à la Commission Royale d’enquête sur la situation de la femme en 1970 (commission Bird) font état de cette inadéquation entre l’offre et la demande; un discours de crise de la domesticité qui, sous ses airs de déjà-vu, exprime les préoccupations d’une nouvelle classe de femmes avec des aspirations professionnelles :

Aujourd'hui où un grand nombre de femmes mariées font partie de la population active, il n'y a pas assez d'employées de maison pour répondre à la demande. À l'heure actuelle, le travail domestique comporte tant d'inconvénients que très peu de femmes veulent le faire. La Commission

201 Conseil du statut de la femme (CSF), L'économie sociale et sa filière de l'aide domestique : quel avenir pour l'emploi des femmes?, Québec, CSF, 2006, 84 p.

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n'a reçu aucun mémoire officiel de la part des employées de maison, mais beaucoup d'autres se sont faits leurs interprètes. On se préoccupe des effets déplorables du peu de considération accordé à ce métier et sur les employées elles-mêmes et sur la qualité et le nombre des personnes prêtes à l'exercer.203

À l’époque de la Commission Bird, moins de 5% des enfants d’âge préscolaire au Canada, dont la mère occupe un emploi, fréquentent une garderie ou une maternelle. Ce sont les « autres modes de garde » (par une personne de la famille ou une étrangère, à la maison ou à l’extérieur) (voir tableaux 6 et 7), le plus souvent non marchands, qui sont les plus couramment utilisés. La mise en place de garderies publiques est une revendication de nombre de groupes de femmes qui déposent des mémoires, et les commissaires en font l’objet d’une recommandation204.

Tableau 6 : « Mode de garde des enfants dont la mère travaille à l’extérieur», Canada, 1970205

Tableau 7 : Enfants gardés « au dehors », Canada, 1970199

203 Canada, Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada,

Ottawa, Information Canada, 1970, p.168.

204 Rianne Mahon, « Une histoire sans fin : l'implantation des services de garde pour enfants au

Canada durant les années 1970 », Lien social et politiques, 47 (2002), p.17-28.

205 Canada, Les mères au travail et les modes de garde de leurs enfants, Bureau de la main-d’oeuvre

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Très peu institutionnalisés, les services de garde sont essentiellement informels et individualisés. Au milieu des années 1980, alors que le taux d’emploi des mères de jeunes enfants atteint 50%, une étude montre que seulement 5,4% des familles canadiennes «comptent exclusivement sur la mère pour exercer la garde des enfants», cependant que moins du quart des enfants fréquentent un centre de garde206. C’est donc dire qu’au cours de cette période historique marquée

par une transformation majeure de la place des femmes dans le salariat, une vaste part des pratiques de prise en charge des enfants est méconnue. Certaines de ces pratiques sont rémunérées, d’autres se situent dans le registre de l’entraide. L’état actuel des connaissances laisse entrevoir l’importance des échanges domestiques qui tissent les réseaux féminins dans les classes populaires, et possiblement dans toutes les classes sociales au cours des dernières décennies du XXe siècle207. Au

206 Canada, La garde des enfants : besoins des parents et des familles. Études servant de base au Rapport du groupe d’étude sur la garde des enfants, Ottawa, Condition féminine Canada, 1985, p.62-

68.

207 Dominique Fougeyrollas-Schwebel, « Le travail domestique : économie des servitudes et du

partage », Helena Hirata et Danièle Senotier, dir., Femmes et partage du travail, Paris, Syros, 1996, p.87-101. Au Québec, les études les plus importantes qui ont fait état des échanges domestiques et des réseaux féminins sont: Andrée Fortin, Histoires de familles et de réseaux. La sociabilité au

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Québec, la mise en place d’un réseau public de services éducatifs à l’enfance n’a pas pour autant fait diminuer le recours à la famille pour la prise en charge ponctuelle ou même régulière des enfants, comme le montrent les résultats d’une vaste enquête portant sur les solidarités familiales intergénérationnelles à Montréal208.

Le caractère privé des arrangements familiaux qualifiés de « naturels », tout comme les pratiques « d’entraide » communautaire, est soigneusement préservé par l’État, qui se garde bien d’intervenir dans un domaine où, de toute façon, les femmes se sont toujours arrangées entre elles. Comme l’explique Jenson, ce refus de l’État d’agir dans ce champ de pratiques, de même que l’absence de politique familiale structurante n’est nullement une anomalie apparue au cours du développement de l’État-providence:

Ainsi, un des legs des États-providence d’après 1945 est l’existence d’un “État-providence invisible” grâce auquel une aide informelle est fournie par les femmes aux personnes dépendantes, tels les enfants et les personnes âgées. Cet État-providence n’a en aucune manière été éliminé par les taux rapidement croissants de l’activité féminine depuis les années soixante.209

Non seulement l’aide informelle n’a pas disparu au cours des dernières décennies du XXe siècle, mais elle s’est vue doublée d’un nouveau « secteur »

d’emplois domestiques, qui s’en nourrit et contribue à en assurer le maintien. Si les nouvelles configurations du service domestique s’articulent, comme par le passé, autour des clivages de genre, de classe, de race ou de citoyenneté, en regard de l’histoire, la situation contemporaine se distingue cependant en ce qu’elle met directement en conflit les intérêts économiques des femmes prestataires et

Romaine Ouellet, Entre autonomie et solidarité. Parenté et sociabilité dans la vie de jeunes familles

montréalaises, Rapport déposé au Conseil québécois de la recherche sociale, Institut québécois de

recherche sur la culture, 1992, 432 p. Pour un bilan historiographique sur les solidarités familiales, lire Johanne Charbonneau, « La recherche sur les solidarités familiales au Québec », Revue française

des affaires sociales, 3 (2004), p. 173-199.

208 Marianne Kempeneers et Nicolas Thibault, « Strategies of Childcare and the Dynamics of Family

Configurations », Population, Famille et Société / Population, Family and Society, 9 (2008), p.54.

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bénéficiaires de ces services210. Dans les classes moyennes et supérieures,

l’externalisation du travail domestique (garde d’enfants et travail ménager) devient pour les femmes une condition pour répondre aux exigences professionnelles auxquelles elles sont confrontées. Certaines auteures211 lient directement le

développement des emplois domestiques à l’accroissement du nombre de femmes ayant accès à des postes supérieurs, aux transformations des exigences du marché du travail, et aussi à la polarisation des revenus. Au Canada, les statistiques démontrent que le recours à une aide domestique rémunérée (excluant les soins aux enfants et dépendants) est statistiquement relié, non pas d’abord au revenu familial, mais bien à la part relative du revenu féminin dans le ménage212.

Pour répondre à ces « nouveaux besoins », le marché des services domestiques se diversifie et s’adapte à la réalité des familles à double-revenu. Un nouveau discours de promotion de la marchandisation de services domestiques apparait, qui met de l’avant l’opportunité de déléguer les tâches domestiques les plus ingrates pour s’offrir du « temps de qualité » en famille213. Dans la foulée,

s’établissent de nouvelles hiérarchies autour de la création de ce que A. Gorz décrit comme l’archétype du « travail de serviteur », celui qui libère du temps pour l’élite214.

Un processus de délégation du « sale boulot » qui se déroule au cœur de l’espace privé des familles, mais participe pleinement aux reconfigurations de classe, de race et de genre. On assiste finalement au déplacement d’un discours autour de la responsabilité du travail domestique, autrefois indissociable du statut social des

210 Kergoat, « La division du travail », p.323.

211 Cox, The Servant Problem; Gregson et Lowe, Servicing the Middle Class.

212 Boris Palameta, «Qui paye l’aide domestique?», L’emploi et le revenu en perspective (Statistique

Canada), 4, 8 (2003), p.43-46.

213 Gregson et Lowe, Servicing the Middle Class, p.232.

214 André Gorz, Métamorphoses du travail : critique de la raison économique, Paris, Gallimard, 2004

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femmes en tant que « maîtresses de maison », à un discours de légitimation d’une délégation, toujours au féminin215.

Conclusion

Dans l’économie marchande, la mise en place de ces nouvelles réponses aux demandes de services domestiques repose sur la disponibilité d’une main-d’œuvre marginalisée sur le marché de l’emploi. Le service domestique a été historiquement le lot des exclues du marché du travail; dans les dernières décennies du XXe siècle,