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Une initiation précoce au travail domestique : la mise au service dans la famille et dans la communauté

familiales dans les trajectoires de travail domestique

3.1 Une initiation précoce au travail domestique : la mise au service dans la famille et dans la communauté

L’indissociabilité des formes rémunérées et non rémunérées de travail, que l’on peut se représenter sur un continuum du service domestique, structure dès l’enfance le rapport des femmes au travail et à l’emploi. Aussi loin que remontent leurs souvenirs, les femmes rencontrées au cours de cette enquête ont aidé leur mère dans les besognes domestiques. Celles qui ont grandi sur une ferme ont très tôt participé aux travaux. À mesure qu’elles ont vieilli, selon leur rang dans la fratrie, leurs charges ont augmenté, et se sont modulées aux besoins de la famille. Ainsi, chez les femmes les plus âgées de notre échantillon, les aînées de la famille ont souvent été les premières à partir pour la ville, travailler dans des maisons privées. La plupart d’entre elles envoyaient une partie de leur salaire à leurs parents. Selon le contexte familial, ce sont les plus vieilles, ou les plus jeunes, ou celles situées au milieu de la fratrie qui ont hérité de la responsabilité de seconder leur mère si elle avait encore de nombreux jeunes enfants ou si sa santé était fragile. Les plus jeunes ont été souvent envoyées par leur mère donner un coup de main à leurs sœurs aînées.

Quelle que soit la configuration familiale ou la place dans la fratrie, il y a toujours une fonction domestique assignée aux filles. Ce sont les cycles de vie et le

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contexte socioéconomique qui en modulent les expressions. De la famille immédiate, à la famille élargie, au voisinage : la mise en service des filles à l’intérieur d’un « marché » local du travail domestique participe à leur apprentissage des rôles de genre en même temps que leur première inscription dans le salariat.

3.1.1 Travailler en « maisons privées »

L’expression « travailler dans une maison privée » est sans équivoque pour la majorité des femmes québécoises de milieu populaire nées avant 1960 : nul besoin de préciser de quel type de travail il s’agit, la mention du lieu « maison privée » suffit pour comprendre que nous parlons de travail domestique, et que les tâches qu’il recouvre sont à la fois infinies et indéfinies. Particulièrement pour les femmes parmi les plus âgées de notre échantillon, cette appellation résume la situation de domestique résidente qu’elles ont connue durant leur jeunesse, où leur fonction consistait à s’occuper de la maison et de la maisonnée.

3.1.1.1 De la famille à la communauté

Avant de quitter leur famille pour aller travailler en ville, les jeunes filles de la première génération de notre échantillon ont connu diverses expériences de service domestique à l’extérieur de leur foyer. On les envoie aider une tante, une sœur ou une voisine, « pour rendre service », sans salaire ou presque. Cela peut soulager la famille de certains frais de subsistance, mais cette mise en service apparaît d’abord comme une évidence pour celles « qui n’ont rien à faire » à la maison. Ces expériences se situent dans un rapport à la famille et à la communauté à certains égards paradoxal, où l’entraide et l’emploi se confondent. Les salaires y ont une fonction symbolique, celle de ne laisser aucun doute sur la raison de la présence de la jeune fille et sur la façon qu’elle devra occuper son temps. Mais le montant dérisoire des salaires montre aussi que la jeune travailleuse est considérée en quelque sorte comme faisant « partie de la famille », et qu’à ce titre ses activités relèvent davantage de la réciprocité que de l’emploi.

Pis après ça j't'allée travailler chez ma tante… pis elle me donnait 5 piastres par semaine, pis encore là… [mes parents] venaient la chercher [l'argent] […] Parce que son mari était parti… en dehors… y'était militaire,

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pis elle attendait un bébé, faque fallait qu'y'aille quelqu'un pour y aider. Moi j'y ai été à peu près deux ans. (Mme Lajoie, 1934)

[Je suis restée chez ma tante ] quelques mois certain.

CC : Est-ce que vous étiez rémunérée chez votre tante, quand vous travailliez là?

Oh, me semble que c'était 5 ou 10 dollars qu'y m'donnait mon oncle… c'est tout… c'tait plutôt du bénévolat là…

CC : Pis vous habitiez là donc…

Oui oui, j'habitais là. Oui. J'faisais partie d'la famille, parce que c'était mon oncle pis ma tante, tsé faque… dans c'temps là l'argent… on n'avait pas là d'argent… (Mme Charest, 1945)

Plusieurs femmes qui ont grandi en milieu rural dans les années 1930 et 1940 ont connu une forme de mise en service en contexte de « relevailles », soit des épisodes de quelques semaines au cours desquels elles prenaient en charge la maison d’une mère de famille qui venait d’accoucher. Mme Lacasse (1917), à peine âgée de treize ans, est envoyée « relever » une sœur aînée; plus tard elle ira dans d’autres familles remplir la même fonction. Parfois, c’est en raison de la maladie de la mère, qui n’est pas en mesure de s’occuper de ses enfants et de la maisonnée. Ce sont des embauches brèves, souvent dans le voisinage, et dans des familles d’un niveau socioéconomique généralement assez semblable à celui de la jeune fille.

Dans des maisons… quand y disaient…. Quand une femme accouchait, quelque chose, elle avait besoin d'quelqu'un là… pis qu'on allait trois semaines, un mois… Ben là j'allais comme ça… des places… Mais là on a appris d'même à faire à manger pour les autres, ainsi d'suite là…[…] faque… arrivée là, ben… Tu t'arrangeais. J'me rappelle une fois… quel âge que j'pouvais avoir… j'devais avoir pas plus que quinze ans certain… quelqu'un était arrivé chez nous pis avait demandé ça… Sa femme était malade… pis y'avait… quelques enfants… j'm'en rappelle pas combien est-ce qu'y en avait. Et puis… y cherchait quelqu'un pour… j'sais pas qui l'avait renseigné pour v'nir chez nous… Chez nous y'avait des filles, faque… une chance à prendre. Ça fait j'tais allée chez lui. Faque quand j't'arrivée […] y dit « êtes-vous capable de faire ça du pain ? ». « Ben oui, j'sais ça faire du pain ». Y dit qu'y n'avait eu une avant moi elle avait 25 ans, y dit « elle a pas été capable de nous faire de pain ». Y dit « moi pas

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manger d'pain une semaine de temps… elle a été une semaine pis on a pas mangé d'pain, elle pouvait pas en faire… » […] Ça fait que… j'y avais fait du pain. Quand y'était arrivé l'soir… eh c'qu'y'était heureux c'monsieur là ! Manger du bon pain. Du bon pain d'ménage là. J'avais vu maman l'faire, moi j'n'avais pas faite chez nous, j'l'avais vue faire. […](Mme Laforce, 1914)

[Q]uelque temps après [que j’ai quitté l’école], la cousine de mon père… y m'a demandée pour aller travailler chez lui. Était malade au lit elle, c'était pas drôle… eh c'tait pas drôle [ton ironique]… Cinq piastres par mois. C'tait l'gros salaire [rires] […] le soir j'm'en retournais chez nous. Mais tu parles… 5 piastres par mois, de 7 heures à 8 heures et demie 9 heures moins quart le soir. C'tait payant.

CC : Eh mon dieu. Pis quel âge vous aviez à cette époque là?

Ah j'avais… j'crois que j'avais 13 ans et demie. (Mme Lamarche, 1924) Oui, j'y allais de temps en temps chez mes sœurs, ben oui… Ma sœur attendait un enfant… j'avais été chez ma sœur… pour la relever, aller faire du ménage… […] Elle habitait un peu plus loin…4-5 rues plus loin. J'aimais ça tsé… j'arrivais l'matin, j'partais l'soir là… J'allais pas coucher là, parce qu'y faisait trop chaud… on couchait en haut, pis y faisait trop chaud j'dormais pas la nuitte…. J'partais l'soir j'm'en allais chez nous au frette. […] L'matin j'm'en allais d'bonne heure, à 7 heures j'm'en allais chez ma sœur. (Mme Anctil, 1927)

Parmi les femmes nées dans les années 1940 et 1950 en milieu rural, plusieurs ont aussi connu ce type d’expériences dans leur jeunesse. Mme Thivierge (1951), après avoir complété son secondaire en « arts ménagers » est envoyée chez des tantes pour donner un coup de main domestique. Elle en garde un souvenir humiliant d’avoir été perçue comme un parent pauvre. D’autres femmes de la même génération ont été placées dans le voisinage ou la famille élargie, selon un scénario établi bien avant l’époque de leur mère.

Avant de… avant de m'marier, dans l'été avant de m'marier, y'avait une femme pas tellement…. Une voisine… qui était enceinte, qui était à veille d'avoir son bébé, pis y déménageaient… […] pis y déménageaient leur maison, pis ça fait que j'étais allée travailler chez elle, parce qu'elle avait déjà… comment c'qu'elle avait d'enfants…. j'sais pas si c'est 2 enfants

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qu'elle avait… pis était à veille d'accoucher du troi… de l'autre. Pis c'est ça… j'tais aller y aider. Tsé pour… nettoyer dans la maison, faire la vaisselle… (Mme Dagenais, 1941)

Un moment donné j'ai commencé là à travailler en maison privée pour aider une tante qu'y'était… qui avait faite… j'pense elle avait perdu un bébé, […] Ça fait que… j'ai gardé… ben c'est moi qui m'occupait d'la

maison là, ma tante avait 7 enfants, ça fait que… […] J'me suis occupée

de mes cousins pendant qu'ma tante était à l'hôpital, pis quand elle est r'sortie, le temps que ça a pris, […] j'restais chez elle le temps que… qui

fallait, après ça ben j'ai commencé à m'engager comme ça… Après ça ça a été une autre famille. (Mme Charest, 1945)

Pour les filles cadettes, aller garder les enfants de sa sœur fait aussi partie des obligations de famille, dans une logique de réciprocité administrée par la mère. Les figures de la mère (nous y reviendrons plus loin dans le chapitre) et de la sœur sont omniprésentes dans les récits de cette époque de leur vie.

[T]outes les fins de semaine, j'allais garder chez ma sœur la plus vieille. Qui avait 4 enfants. J'finissais l'école, j'prenais l'autobus… j'allais garder les enfants et je revenais le dimanche soir. Ça a été mes fins de semaine pendant des années. (Mme Durivage, 1952)

Ma sœur elle avait eu quelque chose aux poumons, pis elle m'avait amené son p'tit Rémi. […] [Ma sœur] avait été un an et demi à l'hôpital,

elle m'a amené son... son petit bébé…[…] j'étudiais [par correspondance],

j'suivais mes cours, j'm'occupais d'la ferme, pis j'm'occupais de ce petit garçon là… (Mme Lauzier, 1938)

Garder des enfants? J'ai gardé toutes les enfants de mes sœurs. Moi là à 12 ans… j'ai déjà gardé une fin d'semaine de trois jours, 4 enfants dont un bébé, qui avait 3 mois. Système D là…

CC : Oui. Est-ce que c'était pour rendre service à vos sœurs… est-ce que vous étiez rémunérée pour ça…

Non non non non. C'tait ma mère… Ma mère elle menait. C'tait là… matriarcale là… C'était « TU vas garder l'enfant à Denise, Denise en peut pus », « TU vas… ». C'tait pas « Ça te tentes-tu? ». C'était non non, « tu

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y vas là… ». […] Pis quand j'gardais pas, c'tait l'samedi, j'allais faire le

ménage. (Mme Gosselin, 1948)

[J']ai été garder… j'y allais les fins d'semaine des fois… quand ma sœur elle demeurait à St… pis moi on demeurait à D. Ben moman elle disait « prends l'train pis va garder, elle veut aller veiller… à M », elle allait veiller à M. Pis elle le dimanche elle… elle me ramenait chez moi… en machine. (Mme Garneau, 1931)

[Y]'a un de mes frères qui s'est marié en 58… […] C'faque… en ayant des enfants, y m'ont demandé un moment donné si j'pouvais y aller. Mais là j'tais rendue à 16-17 ans moi là là… j'allais à l'école. […] J’y allais surtout l'samedi. Et puis là… y me demandaient si j'voulais faire des p'tits travaux dans la maison. Aider pour le dîner… nettoyer les chaises… toutes sortes de petites choses de même. C't'un peu de même que ça a commencé. (Mme Baril, 1940)

3.1.1.2 Migrer vers la ville dans les années 1930, 1940 et 1950

Lorsque les femmes les plus âgées de notre échantillon ont quitté leur patelin pour venir travailler en ville, leur rapport à l’emploi a clairement changé. C’étaient maintenant des familles de la bourgeoisie qui les embauchaient, et non plus une tante ou une voisine. Pour plusieurs, le changement est assez radical, tant pour les conditions de travail comme telles que pour la relation avec les employeurs : port de l’uniforme, parfois cohabitation avec d’autres employées, éloignement de la famille, déférence exigée envers les patrons, distance voire mépris affiché, sont des nouvelles réalités pour la plupart d’entre elles.

Les femmes qui ont travaillé comme domestiques résidentes dans leur jeunesse émaillent leurs propos de nombreuses anecdotes. Ces traits narratifs ― petites histoires qui ont valeur d’exemple aux yeux des femmes qui racontent ― ont des fonctions bien précises dans leurs récits. Un certain nombre de ces fragments de récits servent à illustrer le manque de considération qu’elles gardent en mémoire, la distance sociale rigide entre elles, alors jeunes employées, et leurs patrons, comme autant d’aspects qui ont caractérisé ces expériences de service domestique prémarital. Des anecdotes qui témoignent de la rupture vécue entre leurs

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expériences antérieures de service, dans leur famille ou leur village, et cette nouvelle réalité, associée par ailleurs au déracinement et à la solitude. Parfois, l’amertume filtre de l’évocation de ces souvenirs :

Quand y parlaient de nous autres…. nous autres… [ton moqueur] heille, on était pauvres…. Pis on venait d'la campagne, c'est pas drôle…[…] y nous envoyaient des p'tites pointes des fois…en voulant dire… on venait de loin tsé. On était pas habituées aux grandeurs. (Mme Laforce, 1914)

CC : Aviez-vous un uniforme pour travailler? [elle fait signe que oui] Oui?

Une coiffe sur la tête...

CC : Ah oui..? Puis ça, aimiez-vous ça porter ça?

Non.

CC : Non? Comment ça vous aimiez pas ça?

Bah... c'était de nous... diminuer au possible. (Mme Lacasse, 1917)

D’autres histoires visent clairement à témoigner de l’oisiveté, ou de la mesquinerie de la patronne, figure de pouvoir mais également, parfois, objet de mépris. Dans ces anecdotes, le ton est beaucoup plus amusé, voire moqueur, qu’amer. Un certain rapport de compétition entre la patronne et la servante sur le plan de la compétence domestique ou maternelle est bien décelable dans ces anecdotes souvent comiques. On ne peut manquer d’y voir l’expression d’une forme de revanche symbolique de la classe ouvrière sur la bourgeoisie, d’un retournement de la domination par le mépris. La dyade patronne-employée est bien au cœur du rapport salarial de service domestique et de la construction des normes de genre selon la classe sociale, comme nous le verrons dans le chapitre cinq. La fréquence des anecdotes relatives à l’alimentation apparait particulièrement révélatrice d’un jugement porté sur l’avarice de la patronne, pour des femmes que l’expérience de la pauvreté et parfois de l’insécurité alimentaire a rendues particulièrement sensibles au rapport à la nourriture :

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Elle cachait des biscuits… tsé des biscuits Whippet là… elle les cachait en haut jusqu'à temps qu'y deviennent durs. Ben elle les cachait en haut… dans l'armoire là… jusqu'à temps qu'y deviennent durs. Elle les donnait même pas aux enfants. C'tait ses biscuits à elle, pis y'étaient cachés, pis… quand elle les sortait de d'là y'étaient durs.

CC : Ah ben.

C'est des drôles de… des drôles de choses… Tsé tu vois… comme j'parlais… une journée y'avait un verre d'orange, y'avaient droit d'avoir un verre d'orange, mais ça dans l'verre [elle me montre la hauteur]. [je ris] Un verre gros de même, pis ça dans l'verre. Y ménageaient là-dessus, je sais pas qu'est-ce qu'elle faisait avec l'argent… j'sais pas c'qu'elle faisait avec la balance [rire]. (Mme Lajoie, 1934)

J'm'apercevais de ça les enfants étaient partis pour l'école, pis elle s'couchait avec l'bébé. Va fouiller dans l'bas du sink [évier], elle avait une caisse de biscuits, tombe dans la caisse de biscuits! J'avais faim, Les enfants étaient partis pour l'école. Elle dit « mon dieu, j'me d'mande… », j'ai dit « madame […] vous mangez toute moi j'ai pus rien, ben faut ben

que j'mange. Si ça fait pas j'm'en va chez nous ». (Mme Anctil, 1927) Elle avait acheté… […] dans c'temps là… une pâtisserie sur la rue St-

Jean… Y'avaient acheté une caisse de biscuits cassés. Pis elle l'avait gardé sur le premier plancher… parce que si elle les envoyait en bas, elle avait peur que ça se mange trop vite. Faque des fois pour dessert elle nous en envoyait 3-4… dans une petite assiette…. Qu'elle laissait descendre à la cuisine. (Mme Laforce, 1914)

Tsé... elle était gratteuse. Puis tout ça, puis toute sorte de petites affaires... Je faisais à manger, puis elle m'emmenait rien pour.... Elle arrivait, puis elle achetait de la viande, bien là elle en achetait pour eux autres [la famille] puis les pensionnaires... puis nous autres [les employées] on passait toujours de côté. Bah.. J'ai pas fait ni une ni deux, ...y'avait lui puis elle..., j'en prenais une [côtelette] pour moi, puis une pour l'autre employée....

CC : Puis là y'en manquait...

Y'en manquait deux! «Ohhhh! J'pensais que vous dîneriez pas ici... J'pensais que vous en vouliez pas...» [elle feint l’ignorance devant sa

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Finalement, certaines anecdotes visent à mettre en valeur la gentillesse de leurs patrons, ou leur intégration dans la famille. Ces témoignages donnent une image idéalisée d’une expérience lointaine dont tous les aspects négatifs ont été évacués, laissant l’impression d’un rapport salarial complètement effacé :

Ça c'est mon premier emploi. Et puis… c'était fabuleux, parce que les gens me traitaient comme si j'étais leur fille. Y m'ont tellement bien traitée là… Y m'emmenaient au restaurant, y m'emmenaient partout où c'qu'y'allaient. (Mme Rinfret, 1934)

Le fait que certaines femmes gardent un souvenir attendri de cette période de leur vie, alors que d’autres y réfèrent négativement, est lié à de nombreux facteurs, qui ne se limitent évidemment pas au degré « objectif » de pénibilité du travail ou de la relation. La perception et le vécu de l’imposition d’un symbole de subordination comme le port d’un uniforme en est un exemple. Alors que Mme Lacasse (1917) évoque ce souvenir avec amertume, Mme Lajoie (1934) et Mme Laforce (1914) démontrent une certaine indifférence face à cet aspect. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette disparité, qui est d’abord liée à l’expérience antérieure de service domestique. Mais surtout, dans cet univers où les relations professionnelles et personnelles se confondent, où les espaces de travail sont aussi les espaces de vie, le rapport personnel qui s’établit entre l’employée et ses patrons est déterminant dans l’expérience du service domestique comme dans son évocation. Comme l’a dit Mme Durivage (1952) au moment de commencer notre entretien, « Je sais pas c'que tu veux que je te dise du ménage, le ménage demeure du ménage là...! […] C'est peut-être le client qui fait la différence ». D’ailleurs, les femmes rencontrées ont spontanément eu de la difficulté à résumer ou faire une synthèse de leurs expériences de travail domestique en les regroupant. Face aux questions générales, elles ont répondu par des exemples. Les pires comme les meilleurs souvenirs construisent les récits du service domestique : rarement ils mènent à un propos objectivant sur celui-ci.

La disparité des conditions salariales des emplois domestiques, particulièrement ceux occupés par les femmes durant leur jeunesse est énorme… entre le dérisoire et le minime. Le spectre s’étend d’aucune compensation monétaire

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quand elles ont travaillé pour leur famille élargie, à une rétribution symbolique (don en nature), à un salaire régulier mais le plus souvent très bas. L’absence de toute régulation salariale dans le domaine domestique, la porosité de la frontière entre travail gratuit et salarié, ainsi que la « logique domestique du don »224 qui contamine

les rapports entre employée et employeur, surtout quand il s’agit de membres de la famille, explique cette grande disparité. Celle-ci est illustrée par la figure 2, qui schématise la plupart des informations salariales relatives aux expériences de travail