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Faute d’emploi processus d’exclusion et cercle vicieux de la pauvreté

Année Salaire de domestique résidente

4. Du travail domestique rémunéré au travail salarié non domestique et vice-versa : des parcours

4.2 Faute d’emploi processus d’exclusion et cercle vicieux de la pauvreté

Le parcours professionnel de Mme Bussières (1958), fortement instable malgré le fait qu’elle est détentrice d’un certificat universitaire, illustre bien la difficulté de se trouver de l’emploi dans les années 1980 et 1990. Selon elle, le moment où le marché du travail a basculé en défaveur des jeunes qui entraient sur le marché du travail se situe juste à l’époque où elle-même a atteint l’âge adulte : « Moi j'suis arrivée juste comme un peu en retard.[…] Quand j'suis arrivée moi toutes les portes se fermaient, j'suis arrivée comme un an ou deux trop tard ». Dès la fin des années 1970, et de façon accélérée au début des années 1980, le marché de l’emploi

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connaît de profondes mutations, notamment un recul de l’emploi à plein temps et une forte hausse du chômage. Le secteur des services continue de croître, mais très clairement en dehors du modèle fordiste de régulation du travail. Hormis dans les services publics, qui connaissent incidemment de fortes compressions dès les années 1982-1983 et un ralentissement subséquent de leur croissance278, les

femmes sont concentrées dans les services du secteur privé. Leur chômage est plus invisible en raison notamment de l’opacité statistique de « l’inactivité » féminine, mais surtout à cause du sous-emploi, qui devient endémique. L’insécurité et l’instabilité gagnent de plus en plus les trajectoires masculines, quoique de façon différenciée : pour les hommes, la précarité est fortement corrélée avec l’âge, chez les femmes, elle colle à l’ensemble de la trajectoire279.

Chez les femmes de notre échantillon nées après 1945, la conjoncture économique défavorable a coïncidé avec le calendrier familial de la maternité, les éloignant d’un marché de l’emploi dont les promesses de stabilité auraient disparu au moment de leur réintégration. Pour les plus jeunes dont la période de transition entre la jeunesse et l’âge adulte s’est étirée, comme dans le cas de Mme Bussières (1958), les perspectives d’emploi n’étaient pas au rendez-vous. Parmi notre groupe de 16 femmes nées après 1945, six avaient une situation professionnelle assez stable ou en voie de l’être au tournant des années 1970; cinq complétaient leur parcours scolaire, et les autres étaient encore adolescentes. Dix ans plus tard, six étaient retirées du marché de l’emploi pour s’occuper de leur famille, et parmi les autres, quatre seulement avaient une situation d’emploi relativement stable. Toutes les autres étaient en période de transition ou de flottement. Quant aux femmes plus âgées du corpus, l’immense majorité n’a pas profité des « Trente Glorieuses » pour s’insérer durablement en emploi, puisqu’elles étaient seulement trois à occuper un emploi non domestique en 1970 : Mme Garneau (1931) occupait à temps partiel des emplois d’entretien ménager dans des commerces, Mme Baril (1940) travaillait

278 Québec, La tertiarisation de l’économie.

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comme secrétaire dans une entreprise privée, Mme Rochette (1944) était vendeuse dans une librairie.

Tableau 9 : Nombre de participantes ayant un lien avec le marché de l'emploi non-domestique 1960, 1970, 1980, 1990, 2000

Dans le contexte de crise économique du début des années 1980, s’amorce un virage important du régime d’aide sociale, de plus en plus proche d’un modèle de

workfare; le terme « employabilité » apparaît et devient omniprésent dans les

discours des autorités publiques dont les réformes, successives, transformeront peu à peu les modalités du programme pour faire de « l’incitation au travail » la priorité280.

La fin de la période de « plein emploi »281 consécutive à l’après-guerre ― bien que

280 Sylvie Morel, Modèle du workfare ou modèle de l’insertion? La transformation de l’assistance sociale au Canada et au Québec, Condition féminine Canada, 2002, 190 p.

281 Dans la tradition de la critique féministe des disciplines et des concepts, il est important de

souligner le caractère androcentré de cette notion de « plein emploi », qui fait l’impasse sur un masse de personnes exclues de la main-d’œuvre, c’est-à-dire les femmes. Il y a, toutes proportions gardées, plus de personnes « actives » aujourd’hui qu’à l’époque des Trente Glorieuses (Paul Leduc Browne, « La dialectique de l’économie sociale : travail, employabilité, solidarité », Reflets : revue

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cette situation ait été une exception au regard de l’histoire de la société industrielle, caractérisée avant comme après les Trente Glorieuses par un chômage structurel et une situation d’excédent de main-d’œuvre282 ― devient l’argument principal d’une

remise en question tous azimuts de l’État social. 4.2.1 Aide sociale

Environ la moitié des femmes rencontrées au cours de cette enquête ont eu recours à l’aide sociale à un moment ou un autre de leur parcours. Pour certaines, il s’agissait d’une expérience ponctuelle. Elles en gardent un souvenir d’humiliation : « Tu te sens comme rien, tu te sens un peu comme de la merde, tsé… » (Mme Gilbert, 1946). Plusieurs se sont dit « plus jamais » après avoir connu un épisode d’aide sociale qu’elles se représentent comme un moment particulièrement vexatoire.

Ça m'est arrivé oui [de recevoir de l’aide sociale], après ma faillite.

CC : Après votre faillite? Est-ce que ça a été une longue période?

6 mois. C't'assez [rires]. Eh crime! Ça c'pas un cadeau à vivre. Ah non… Ça, ça a été l'enfer… J'me suis dit… « pus jamais! J'aime mieux faire du ménage, que d'me r'trouver sur l'aide sociale ».

CC : C'est quoi l'pire sur l'aide sociale?

Ah! Ah mon dieu… C'est… C'est la façon qu'les gens te considèrent, tsé c'est comme… « t'es moins que rien, r'garde où t'es rendue là, tu vas quasiment quêter là… c't'une quête là… » Pis tsé c'est comme… c't'une drop là, c'est pire que d'faire d'l'entretien ménager [rire], c'est vraiment une drop, t'es rendue… à terre. T'es vraiment rendue au bas de… au bas. Et pis… tu quémandes, dans l'fond….pis on te l'fait sentir que tu quémandes, pis…[…] Mon dieu, moi j'voulais rentrer dans l'plancher quand j't'allée là… j'voulais m'cacher. Ça avait pas d'bon sens. Ah… Un, c'est l'image que t'as d'toi même, pis deux, c'est qu'on te fait sentir que r'garde… l'État va t'faire vivre… pendant un certain temps… tsé… on t'fait sentir que… t'es au bas d'l'échelle. Pis… ah non. C'était l'humiliation totale. Totale, j'voudrais… j'voudrais pus jamais r'vivre ça d'ma vie… non non non. [rire] J'aime mieux faire… n'importe quoi là, que d'faire ça… (Mme Martel, 1952)

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L’éthique libérale du travail salarié apparait très fortement intégrée par la plupart de ces femmes pourtant bien placées pour connaître les insuffisances du marché de l’emploi pour assurer la survie économique. Endossant le discours attribuant aux individus l’entière responsabilité de « s’en sortir », elles évoquent la particularité de leur propre cas pour mieux se distancer du stéréotype de l’assisté. Cet aspect ressort particulièrement des récits des femmes plus jeunes, qui ont vécu cet ou ces épisodes comme un échec individuel, contrairement aux femmes plus âgées (qui l’ont vécu majoritairement en contexte conjugal) et qui semblent bien moins en avoir personnellement porté l’odieux. C’est ainsi que plusieurs, parmi les plus jeunes de notre corpus, expriment de façon assez véhémente leur rejet du stigmate de l’aide sociale, en tentant de montrer comment elles n’ont pas été elles- mêmes des assistées « typiques ».

CC : Vous votre expérience avec les agents d'aide sociale a pas été positive.

Non, pas vraiment. Non, y'ont le tour de nous diminuer, je trouve. Ben c'est leur rôle aussi, peut-être… parce qu'il y a tellement de gens qui abusent là-dedans… Mais c'est ça, tsé, y'a des gens qui abusent, toi t'en as besoin, puis c'est toi qui écope. Ça je le digère moins, des fois. (Mme Côté, 1954)

CC : Est-ce que c'était la première fois que vous vous retrouviez à l'aide sociale?

Oui.

CC : C'tait jamais arrivé avant?

Non. Pis là ben moi ça passait mal entre les 2 oreilles… ça fait que…

CC : Oui? Expliquez-moi ça pourquoi qu'ça passait mal entre les 2 oreilles…

Ben me r'trouver sur l'aide sociale, pour moi… tsé les personnes sur l'aide sociale c'tait ceux qui… y'avaient pas l'cœur d'aller travailler.[…] Pour moi dans ma tête c'tait d'même qu'ça sonnait. (Mme Dagenais, 1941)

[M]oi j'étais trop fière pour ça, je l'sais pas… j'voulais être capable de vivre… de faire vivre mes enfants moi-même. Non, ça m'intéressait pas l'bien-être social… Je… pas que j'avais un préjugé sur les gens qui ont

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l'bien-être social, mais me semble qu'y'a d'autres… d'autres possibilités… pour ma satisfaction à moi là… (Mme Charest, 1945)

Mais j'me sentais… j't'une personne vaillante pis j'me sentais coupable d'avoir ça. Ça me faisait d'la peine, mais… fallait ben que j'vive. Tsé les gens qui sont lâches y s'en foutent, y peuvent ben l'avoir, mais moi chus pas lâche. (Mme Boucher, 1951)

Chez certaines personnes, cette intériorisation de la honte les a amenées à refuser catégoriquement de recourir à l’aide sociale, même en situation de dénuement. À la lumière des témoignages recueillis dans cette enquête, il apparaît que le sentiment de honte agit bien comme un instrument de contrôle social et renforce l’individualisation des contraintes283. Il n’est pas surprenant que

l’exacerbation de l’éthique du travail salarié empêche toute solidarité et « conscience de classe » chez les personnes exclues du marché de l’emploi, qui sont continuellement ramenées à leur propre capacité de « s’en sortir », ou pas284.

Pour celles qui ont connu des épisodes plus prolongés à l’aide sociale, cette intériorisation de la honte est aussi perceptible, mais le rejet du stigmate de l’assisté social s’exprime évidemment de façon moins catégorique. Des aménagements identitaires ont dû être trouvés, lesquels passent nécessairement par une prise de distance avec ce postulat éthique de l’idéologie libérale selon lequel il appartient à chacun de tirer son épingle du jeu dans un marché du travail concurrentiel, et son corollaire qui donne au chômage de longue durée une odeur de « turpitude »285. Ce

sont néanmoins des aménagements personnels fragiles, qui reposent sur un narratif de ce qui est présenté comme ses propres incapacités ou malchances biographiques. Du reste, il est apparemment toujours difficile de parler de son expérience de l’aide sociale; aucune participante n’a abordé ce sujet de façon

283 Vincent De Gaulejac, Les Sources de la honte, Paris, Points, 2011 [1996], 315 p.

284 Ces constats rejoignent l’analyse de Jean-François René, Christine Lefebvre, Monique Provost et

Jean Panet-Raymond, « La difficile intégration des bénéficiaires de l’aide sociale au Québec », Lien

social et politiques – RIAC, 42 (automne1999), p.109-118. 285 Leduc-Browne, « La dialectique », p.39.

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légère, et elles ont toutes été très laconiques dans leur récit de cette dimension de leur existence.

Depuis la réforme de 1988, les programmes d’insertion au marché du travail deviennent partie prenante du régime d’aide sociale286. Plusieurs femmes de notre

échantillon ont participé à des programmes d’insertion gérés par le gouvernement provincial, parfois par le fédéral via l’assurance chômage. Ces programmes ont pu avoir des effets bénéfiques individuellement ― bien que les évaluations réalisées par le ministère responsable de l’aide sociale lui-même montrent les résultats mitigés des programmes de développement de l’employabilité287 ― mais cela ressort peu

de l’enquête, du moins en ce qui concerne les programmes de travail. Il n’en reste pas moins que les programmes gouvernementaux, qu’ils soient de soutien à la formation (dans les domaines des soins, du travail de bureau ou du service à la clientèle) ou d’expérience de travail, ont objectivement contribué à orienter ou à confiner les femmes dans des secteurs fortement féminisés comme l’aide domestique ou d’autres emplois de service. En ce qui concerne spécifiquement les emplois domestiques, comme il a été évoqué dans le deuxième chapitre, l’État a directement contribué à créer un sous-marché de l’emploi domestique en subventionnant les organismes communautaires d’aide à domicile utilisateurs d’une main-d’œuvre captive de l’aide sociale288.

Les femmes de notre corpus nées après 1940 ont presque toutes envisagé ou tenté des retours aux études, que ce soit via un programme gouvernemental ou à partir de leurs propres ressources. En général pour pallier ce qu’elles percevaient

286 La Loi sur la sécurité du revenu adoptée en 1988 introduit une nouvelle norme juridique, absente

de la précédente Loi sur l’aide sociale, celle « d’aptitude au travail ». De plus, la loi prévoit la comptabilisation de « toutes les formes d'entraide et de solidarité, réelles ou présumées, dont bénéficient les prestataires: contribution parentale, partage du logement, support alimentaire entre descendants et ascendants » (Lucie Lamarche, « La nouvelle loi sur la sécurité du revenu au Québec : quelques réflexions d’actualité », Revue de droit de l’université de Sherbrooke, 21 (1991), p.345).

287 Québec, Synthèse des résultats.

288 De façon générale, parmi les participantes à notre étude, celles qui ont eu recours le plus

fréquemment à l’aide sociale au cours de leur vie sont aussi celles qui ont été le plus confinées au marché du travail domestique. Nous reviendrons sur ces liens à la section 4.3.

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comme une inadéquation de leur qualification et des exigences du marché du travail, elles ont suivi des cours techniques ou professionnels (agent d’immeuble, cours de réceptionniste-téléphoniste, dactylo, préposée aux bénéficiaires), des formations pratiques diverses (cours d’esthétique, techniques et approches de soins), ou un rattrapage de formation générale (diplôme secondaire ou attestation d’équivalence). Mme Giguère (1949) est une des seules femmes rencontrées dans notre enquête à avoir imprimé une nouvelle direction à sa trajectoire professionnelle, à la suite d’un cours de préposée aux bénéficiaires. Cependant, peu de femmes de notre corpus ont pu se servir de ces formations comme tremplin pour améliorer leur sort sur le marché du travail. Quelques-unes, après avoir envisagé s’inscrire à un programme qualifiant, ont abandonné l’idée faute de soutien financier. Dans d’autres cas, barrières financières et psychologiques se sont combinées pour décourager les femmes de s’engager dans un processus scolaire à l’âge adulte :

[Moi], avec l'expérience que j'avais, je peux étudier mettons technicienne… technicienne, ils appellent ça… aide-auxiliaire. Ça c'était des études, un an certain, en ligne. Mais tsé, je suis un travailleur autonome, puis à cause que je suis un travailleur autonome, pas moyen d'avoir de l'aide. […] J'y ai pensé […] mais le gouvernement veut pas m'aider, tsé. Ça fait que je peux pas… Moi, c'est comme je t'ai dit, au temps que j'étais dans l'agent immobilier, faut que je travaille. Mais tu peux pas faire les deux. Impossible. (Mme Côté, 1954)

Parce que maintenant pour travailler dans l'domaine hospitalier y'aurait fallu que j'aie mon cours de préposée aux soins. J'avais donné mon nom aussi, si j'avais eu l'argent un moment donné là… y'avait… je jouais aux quilles durant l'temps… que… un moment donné j'avais des amis là… qui avaient suivi le cours pour être préposée, pour travailler dans les hôpitaux, y'en a une qui travaille ici à St-Augustin encore là… comme préposée aux soins… elle m'avait donné l'endroit où c'qu'elle elle avait suivi son cours… mais… ça coûtait ben qu'trop cher, moi j'avais pas 525 piastres là, j'avais à peu près juste 300 piastres qui pouvaient pas… je pouvais pas trouver d'autre argent que l'argent que j'avais ramassé sur les économies d'épicerie là… un p'tit 20 piastres que tu mets dans ta poche [rire] Ça fait que j'en avais pas assez […] C'est ça. Ça prend l'attestation. Pis pour avoir ça, ben faut que tu commences par… aller faire ton secondaire là… […] Pis ça m'intéressait pas de toute faire c'te processus là, j'trouvais ça trop long, à l'âge que j'tais rendue là. Tu t'en vas dans les autres

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domaines, qu'y'a pas besoin d'certification spéciale là. (Mme Charest, 1945)

Comme McAll, qui évoque la « pauvreté comme barrière »289, nous observons

que les raisons qui font que certaines personnes se retrouvent à l’aide sociale (conditions médiocres offertes sur le marché du travail) sont les mêmes (conditions médiocres de vie sur l’aide sociale) qui font que ces personnes ne peuvent s’investir dans un projet de réinsertion professionnelle. La spirale de la pauvreté et de l’exclusion a cantonné ces femmes aux marges du marché du travail et dans des univers professionnels féminins et précaires. Par ailleurs, notons que les femmes rencontrées au cours de cette enquête ont eu très peu accès à l’assurance- chômage, sinon dans quelques cas en guise de congé de maternité290. Celles qui

ont occupé des emplois autres que domestiques et informels ont connu des trajectoires trop instables et précaires pour remplir les critères d’admissibilité au programme.

4.2.2 Travail au noir et réseaux informels

Le travail au noir est partie prenante de ce cercle vicieux de l’exclusion exposé par McAll et White291. Les femmes rencontrées ont été confinées à un régime de

survie, dans lequel le recours au travail au noir est très présent. Dans le secteur domestique, la volonté de maintenir une relation économique dans l’ombre du fisc provient parfois du client, parfois de la travailleuse. Dans un contexte où la lutte publique au travail au noir prend la forme d’un ciblage des petits fraudeurs, il n’est pas surprenant que les participantes à notre enquête aient reçu les questions sur le sujet plutôt froidement. Néanmoins, si le stigmate du travail au noir existe aussi, il apparaît nettement moins avilissant que celui de l’aide sociale.

289 Christopher McAll, « L’aide sociale : ce que tout le monde sait, mais personne ne veut savoir », Interfaces 17, 2 (1996), p.19.

290 À partir de 1971, le Régime d’assurance-chômage prévoit une indemnité de 15 semaines pour les

nouvelles mères.

291 Christopher McAll et Deena White, dir., Structures, systèmes et acteurs : Welfare et Workfare comme champs d’action sociale, Montréal, Université de Montréal, 1996, 206 p

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Mme Boucher (1951), affirme par exemple n’avoir pas été « à l’aise » avec le fait de recevoir des prestations d’aide sociale ni avec celui de faire du ménage pour gagner sa vie; en revanche, elle n’éprouve aucune honte à travailler au noir : « Pis travailler en dessous d'la table, j'm'en fous comme de l'an quarante. As-tu compris? Y'en a qui disent « ah… tu déclares pas… » « heille! » […] on fait ça pour survivre, là! On fait pas ça pour… moi j'bois pas, j'fume pas… ». Quelques femmes parmi celles rencontrées ont choisi de ne pas ou de ne plus travailler au noir, comme madame Gauthier (1951) : « Je préfère ramasser des rentes… pis tout ça… rendue là j'vais être contente », ou comme Mme Pilote (1945), qui songe également à la retraite, mais aussi à l’accès à l’assurance-chômage. Cependant, si l’on considère la trame professionnelle des femmes rencontrées, faite d’une succession d’emplois de courte durée, de chevauchements entre différents statuts et régimes d’emploi, la frontière entre travail formel et informel apparaît tout aussi poreuse que celle entre travail rémunéré et non rémunéré.

Dans une perspective sociohistorique, le travail domestique peut être appréhendé comme archétype du travail informel, qu’on le conçoive comme un « parasite » de l’économie formelle, ou plutôt comme partie intégrante d’un système « organique »292. Le service domestique s’est développé en marge du modèle

salarial typique, tel qu’il s’est défini au cours de la période industrielle, au centre du rapport entre le capital et l’État, et encadré légalement. Les activités domestiques rémunérées, inséparables de leur référent non-rémunéré (dans le cadre familial), pilier de la division sexuelle du travail dans les sociétés capitalistes, demeurent flottantes dans un no man’s land entre mode de production capitaliste et domestique. Au-delà d’une réflexion sur le « travail au noir » ― soit les activités rémunérées non déclarées au fisc, ce qu’ils sont ou ne sont pas selon le contexte ― les emplois domestiques apparaissent, donc, socialement construits comme des emplois informels.

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Par ailleurs, dans les sous-marchés du travail dans lesquels ont navigué les