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Qui sont ces « femmes de ménage » et autres employées de maison de la fin du XXe siècle au Québec? Depuis l’ère industrielle, les emplois domestiques sont

parmi les moins convoités44. Au début du XXe siècle, la jeune campagnarde qui

entrait en service à son arrivée en ville troquait son tablier de servante pour celui

41 Jean Gadrey, Socio-économie des services, Paris, La Découverte, 2003, p.115-117.

42 Wenona Giles et Sedef Arat-Koc, dir., Maid in the Market. Women’s Paid Domestic Labour, Halifax,

Fernwood Publishing, 1994, 138 p.; Mignon Duffy, « Doing the Dirty Work : Gender, Race, and Reproductive Labor in Historical Perspective », Gender and Society, 21, 3 (2007), p.313-336.; Jean- Claude Kaufmann, dir., Faire ou faire-faire? Familles et services, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, 248 p.

43 Liane Mozère, « “Maman sérieuse cherche enfants à garder…”. Petits métiers urbains au féminin », Les Annales de la Recherche Urbaine, 88 (2000), p.87.

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d’ouvrière aussitôt qu’elle en avait l’opportunité : rejet des conditions de travail difficiles, mais aussi de la stigmatisation sociale attachée à cette fonction45. Les

mères de familles, quant à elles, « allaient en journée » parce qu’il s’agissait à peu d’exceptions près du seul travail rémunéré « hors foyer » accessible aux femmes mariées46. Qu’en est-il dans la deuxième moitié du XXe siècle? Comment s’inscrivent

les emplois domestiques dans les parcours de vie, à une époque où les opportunités scolaires et professionnelles des femmes se multiplient et que des transformations socioéconomiques majeures amènent progressivement le Québec dans l’ère post- industrielle? Les modalités d’insertion des femmes des milieux populaires sur le marché du travail dans les années 1950 et les décennies subséquentes sont encore peu connues. Parallèlement à la constitution d’un pôle d’emplois stables, à temps plein et fortement régulés institutionnellement, des marchés du travail secondaires se créent et concentrent certaines catégories de main-d’œuvre : femmes, jeunes, immigrées et immigrés. Le marché du travail de complexifie, se segmente et se polarise en même temps que naissent de nouvelles filières d’emplois domestiques pour les femmes, y compris à Québec, une ville qui connaît, à l’instar d’autres régions du Québec, un développement important de ce secteur d’activités47, mais

dont on connaît peu les traditions et pratiques de service domestique.

La place particulière réservée aux métiers domestiques ainsi qu’à celles qui les exercent dans l’histoire de la société industrielle, tient autant à leur localisation ― à l’intersection des sphères marchande, familiale, domestique, privée et publique ― qu’au renfort idéologique mobilisé pour naturaliser leur exclusion de la norme salariale et la féminisation de cette main-d’œuvre, dans une logique de prolongation des assignations familiales. Comment alors comprendre le rapport au travail de ces

45 Catherine Charron, La question du travail domestique au début au XXe siècle au Québec : un enjeu à la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, 1900-1927, Mémoire de maîtrise, Québec, Université

Laval, 2007, 130 p.

46 Marie Gérin-Lajoie, «Travail des femmes et des enfants dans la province de Québec», La Bonne Parole, VIII, 9 (septembre 1920), p. 4-9.

47 Québec, Informations sur le marché du travail, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale du

Québec. http://imt.emploiquebec.net/mtg/inter/noncache/contenu/asp/mtg941_accueil_fran_01.asp. Consulté le 27 août 2008.

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« travailleuses domestiques » en regard de l’enjeu particulier que représente le travail domestique dans la configuration des rapports sociaux de sexe et de classe?

Nous nous proposons de répondre à ces questions à travers une étude approfondie des récits biographiques et professionnels d’un échantillon significatif de ces travailleuses. Par notre recherche, nous comptons donc contribuer à cette analyse féministe de la division du travail et de l’emploi des femmes entamée dans les années 1970, en l’enrichissant d’une analyse sociohistorique des formes d’emplois domestiques et de leur inscription dans les parcours professionnels et biographiques des femmes depuis les années 1960 à Québec. C’est également en considérant le rapport que les femmes entretiennent avec le travail domestique rémunéré, à travers les représentations dont leurs récits témoignent et les enjeux identitaires qu’ils permettent de saisir, que nous pourrons approfondir la compréhension de ces pratiques dans la société québécoise contemporaine.

Notre étude privilégie un regard microsocial et historique sur la diversité des pratiques de service domestique; un regard qui, si limité que soit sa portée, permet un jeu d’échelle entre l’individu et son inscription dans des processus multiples. Une telle approche prend acte du fait que le travail domestique fait d’abord l’objet d’échanges familiaux et locaux avant de s’inscrire dans un système économique global. Elle nous rappelle aussi que l’étendue du travail « au noir » dans ce secteur n’a rien de surprenant lorsque l’on considère que le travail domestique en soi, tel que construit par la division sexuelle du travail depuis l’industrialisation, est l’incarnation même du travail informel. Le travail domestique, travail gratuit assigné aux femmes au sein de la famille, défini avec le développement de l’économie marchande comme l’antithèse du salariat, ne s’inscrit, lorsqu’il fait l’objet d’une rémunération, qu’imparfaitement dans cet espace formel du marché de l’emploi. Nous croyons que le travail domestique, dans ses formes salariées, demeure structuré d’abord par des logiques économiques non-marchandes (le salariat n’en est pas la modalité de référence, le travail est difficilement objectivable et s’inscrit dans une temporalité différente) et, ensuite par des logiques non-économiques (notamment la logique du care et de la solidarité familiale). Un des volets développé

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dans cette thèse est donc celui de la prégnance des logiques non-marchandes et/ou non économiques dans les transformations du service domestique au cours des dernières décennies au Québec. Nous argumenterons aussi que, parallèlement au développement d’un secteur formel des emplois domestiques, présenté comme une « modernisation » du service domestique, perdurent et se développent des pratiques informelles diversifiées.