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Conclusion du chapitre 1 :

Section 1 : Le contexte tunisien

1.5. Contexte politique : un régime autoritaire

1.5.4. Une transition difficile vers la démocratie

Depuis le 12 décembre 2011, c’est le docteur Moncef Marzouki qui préside provisoirement la Tunisie en attendant les futures élections présidentielles. Depuis cette date et jusqu’en janvier 2014, il y avait à ses côtés, un gouvernement dirigé par le parti religieux Ennahda. A ce jour, beaucoup d’observateurs doutent encore de la capacité de ce parti islamiste65 à assurer la transition de la Tunisie vers la démocratie, en raison entre autres, de ses liens ambigus et controversés avec les mouvements salafistes. Certains croient savoir que ce parti est « sous influence wahhabite66 » (Réalités, 2012). D’autres estiment qu’il a une vision régressive de la société en se basant sur les cas suivants :

Tout d’abord, des observateurs estiment que les femmes - dont le statut fut valorisé sous Bourguiba – ont commencé à perdre des droits dès que le parti Ennahda est arrivé au pouvoir. Ainsi, en 2012, un projet d’adoption de la constitution tunisienne avait sérieusement envisagé de considérer « la femme comme complémentaire à l’homme et non comme son égale » (Fraisse, 2012). Pour la philosophe Geneviève Fraisse, une telle

65 En Egypte, l’élection du président Mohamed Morsi des Frères musulmans n’a pas produit les résultats escomptés par le peuple. Doutant de plus en plus des capacités de ce parti religieux à gouverner le pays, le peuple égyptien a finalement rejeté son nouveau président. Le 4 juillet 2013, répondant aux contestations du peuple, l’armée égyptienne a renversé Mohamed Morsi par le biais d’un coup d’Etat militaire. Pour les médias, il s’agit d’une seconde révolution égyptienne.

66 Le Wahhabisme est un mouvement politico-religieux d’origine saoudienne

considération « chasse les femmes de l’histoire ». Cette idée a finalement été abandonnée suite aux contestations du peuple. Mais le fait qu’elle ait été envisagée est la preuve que la femme tunisienne devra encore se battre pour préserver ses droits.

Par ailleurs, selon le magazine tunisien Réalités67, les femmes tunisiennes seraient désormais incitées à porter le voile alors qu’elles étaient jusque-là, autorisées à se dévoiler.

Effectivement, en promulguant le statut du code personnel en 1956 tout juste après son arrivée au pouvoir, Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante, a permis aux Tunisiennes d’occuper l’espace public sans porter le voile. Ben Ali a renforcé cette politique en interdisant68 le port de tenues dites « confessionnelles » dans les espaces publics, et en réprimant69 sévèrement les citoyennes qui ne le respectaient pas. Toutefois, à partir de 2009, l’Etat tunisien s’est montré clément à l’égard des femmes voilées. L’étude de Ben Salem (2010) rapporte que cette clémence était probablement due au fait que la fille du président portait le voile à ce moment-là. Aussi, cette clémence aurait été employée comme une stratégie pour calmer la colère des Tunisiens suite à la venue en Tunisie, du ministre israélien Ariel Sharon(Ibid.).

Depuis la victoire d’Ennahda, selon Réalités (2012), les Tunisiennes qui ne porteraient pas le voile seraient vues d’un œil défavorable. Pour démontrer ce propos, le magazine rapporte que lors d’une réunion à Hamman-Lif en 2012, le secrétaire général d’Ennahda « a annoncé publiquement son rêve de voir un jour toutes les femmes du pays avec un voile de tête ».

Aussi, selon le magazine, le ministre tunisien des affaires religieuses a annoncé quelques temps après les élections que « les Tunisiennes qui ne portent pas le voile seront punies dans l’au-delà ». En février 2012, Abdel Ami, président de l’association Al Amr Bilmaânouf Nahy Ala almonkar récemment légalisée, affirmait que « la non voilée » ira « en enfer ».

67 Réalités n° 1387-1388 du 26 juillet au 8 août 2012

68 Ceci, par la mise en œuvre de plusieurs circulaires : circulaire n°108 du 18 septembre 1981 pour les établissements scolaires publics. Circulaire n°77 du 7 septembre 1987 pour les établissements primaires et secondaires, et du 21 septembre 1987 pour les établissements d’enseignement supérieur, les cités et les foyers universitaires. Circulaire du 12 août 1987 relative aux agents de l’administration et des établissements publics.

En décembre 1991, l’interdiction du port du voile a été étendue aux salariés des établissements publics et privés (Ben Salem, 2010).

69 « Il s’agit d’arrestations abusives, de violence verbale et parfois physique de la part des agents de l’ordre public et dont le plus courant consiste à faire signer par les femmes voilées arrêtées, et sous la contrainte, un engagement d’abandonner leur voile » (Ben Salem, 2010)

Aussi, toujours selon Réalités (2012), le 2 juillet 2012, l’artiste El Bana a été agressée par les forces de l’ordre sur l’avenue Bourguiba pour « sa tenue légère ». En 2012, une jeune Tunisienne qui se trouvait avec son fiancé a été violée par des policiers et traduite en justice pour « atteinte à la pudeur ». Face aux contestations des associations tunisiennes dénonçant un procès « transformant la victime en accusée », la jeune accusée a finalement bénéficié d’un non-lieu.

Par ailleurs, certaines décisions des autorités tunisiennes font dire aux observateurs que la liberté d’expression tant recherchée par les jeunes révolutionnaires n’est pas du tout tangible.

Ainsi, le 12 juillet 2012, le ministre de la culture a annoncé lors d’une conférence de presse des festivals de Hammamet et Carthage, que les films tunisiens passeront désormais devant une « commission de censure religieuse ».

Le 3 mai 2012, « le tribunal de première instance de Tunis a condamné le directeur de Nessma TV Nabil Karoui, au versement d'une amende de 2 400 dinars 70[…] » parce qu’il avait diffusé un film jugé offensant pour la religion. Pour Maître Abada Kefi, avocat de la chaine, il s’agit d’une atteinte à la liberté de la presse.

En 2013, Weld El 15, un rappeur tunisien, a été condamné à 2 ans de prison ferme pour avoir insulté des policiers dans l’un de ses clips. Ce jugement ferme a été interprété par beaucoup, comme une atteinte à la liberté d’expression. Le 2 juillet 2013, lors du procès en appel, le rappeur a finalement écopé d’une peine de 6 mois de prison avec sursis.

Tous ces évènements montrent que la liberté d’expression tant attendue et tant réclamée par les révolutionnaires n’a pas encore été retrouvée. Cette situation pousse certains à douter de la possibilité d’un changement et même à parler de « révolution confisquée » (Truchot 201271).

70 La-Croix.com ; AFP (2012) « Nessma TV condamnée en Tunisie pour la diffusion de "Persepolis" », http://www.la-croix.com. Source http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Nessma-TV-condamnee-en-Tunisie-pour-la-diffusion-de-Persepolis-_NG_-2012-05-03-801970 consulté le 10 juillet 2013

71 Truchot, O., (2012): la révolution confisquée. Enquête sur la transition démographique en Tunisie, SindBad, http://www.tekiano.com/ness/politik/5154-lla-revolution-confisqueer-enquete-et-revelations-sur-une-annee-de-transition-en-tunisie-.html

Par ailleurs, d’autres considèrent que cette révolution a profité aux mouvements salafistes.

Selon Ghorbali (2013), les salafistes profiteraient de la vulnérabilité des jeunes chômeurs de quartiers populaires pour les inciter à devenir leurs adeptes. Dans son étude, cet auteur montre effectivement qu’à défaut de trouver un emploi, et faute d’un gouvernement capable de répondre à leurs aspirations professionnelles, des jeunes chômeurs s’orientent de plus en plus vers des mouvements salafistes.

Au final, la marche vers la démocratie risque d’être un très long chemin pour les Tunisiens.

Malgré la révolution de 2011, et la constitution en janvier 2014, d’un nouveau gouvernement de technocrates dirigé par Mehdi Jomaa, la liberté d’expression n’a pas encore été retrouvée.

Dans ce contexte répréhensif, est-il possible pour des salariés – y compris ceux qui travaillent pour des clients occidentaux – de manifester de la résistance vis-à-vis de pratiques qu’ils jugeraient contraires à leurs aspirations ?

En résumé, depuis son indépendance, la Tunisie est gouvernée par des régimes autoritaires.

Depuis sa révolution de janvier 2011, elle essaie difficilement de dessiner son chemin vers la démocratie. Ses citoyens devront certainement encore s’armer de patience pour espérer voir un jour leurs attentes devenir réalité.

Le contexte politique de la Tunisie nous amène à nous interroger sur son contexte culturel.

En effet, il nous parait intéressant de savoir quel modèle culturel peut prévaloir dans un environnement autoritaire.