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Conclusion du chapitre 1 :

Section 1 : Le contexte tunisien

1.2. Contexte historique : une domination prolongée des puissances étrangères puissances étrangères

1.2.2. La Tunisie française

Alors qu’elle n’entendait au départ que neutraliser les Khroumirs en prenant le contrôle de leur territoire, la France – représentée par le Général Bréart et son État-major - alla finalement jusqu’à Tunis. Le 12 mai 1881, la Général Bréart se présenta à Kassar-Saïd près du Bardo, au palais de Mohammed-es-Sadok - le Bey de Tunis - pour lui imposer un « traité de garantis ». Ce traité, que l’on appelle aussi le traité de Kassar-Saïd ou le traité du Bardo, se répartit en 10 articles. Il prévoit :

 Le maintien de la paix, l’amitié et le commerce entre les deux partenaires (art.1)

 Le rétablissement par la France, de l’ordre et de la sécurité aux frontières du littoral tunisien (art.2)

 La protection du Bey par la France (art.3)

 La garantie par la France de l’exécution des conventions en cours entre la Tunisie et d’autres puissances européennes (art.4)

 La nomination d’un résidant français auprès du Bey pour assurer la bonne exécution du traité (art.5)

 La protection des tunisiens de l’étranger par les autorités consulaires françaises. « En retour, Son Altesse le bey s’engage à ne conclure aucun acte ayant un caractère international sans en avoir donné connaissance au gouvernement de la république française et sans s’être entendu préalablement avec lui » (art.6)

 La possibilité de fixer ensemble un accord financier garantissant le remboursement de la dette tunisienne et les droits des créanciers (art.7)

 Une contribution de guerre obligatoire pour les « tribus insoumises » de la frontière du littoral (art. 8)

 l’interdiction par le Bey, de l’introduction d’armes et de munitions de guerres par l’île de Djerba afin de protéger l’Algérie française contre le trafic illégal d’armes (art.9)

 La ratification obligatoire du traité par les deux parties (art.10).

Selon Antichan, le Général Bréart qui était chargé par la France d’amener le Bey à approuver cet accord, obligea ce dernier à le signer sur le champ alors qu’il aurait aimé avoir « quelques jours de réflexion » : « La chose étant imposée, dit le bey, je n’ai qu’à me soumettre aux volontés du gouvernement français » (Antichan, 1884, p 243).

C’est ainsi que la Tunisie devint le 12 mai 1881, un « Protectorat français ».

Le 8 juin 1883, ce traité fut renforcé par une nouvelle convention appelée « le traité de la Marsa ». Celle-ci renforça le contrôle de la Tunisie par la France en permettant entre autres, à cette dernière d’introduire « les principes de notre organisation administrative » dans la régence (La Barbera, 2006).

Au final, le traité de protectorat accorda à la France, la direction des affaires étrangères (art.6), le pouvoir militaire (art.2), le droit de s’immiscer dans les affaires financières (art.7) mais aussi, « le pouvoir d’imposer en toutes matières la règle à suivre » (Faucon, 1893).

Jules Ferry, pour qui la colonisation française est une « noble entreprise » (dans Faucon, 1893), et qui estime que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures18 » voit le protectorat comme « le type préféré de nos acquisitions coloniales » (dans Faucon, 1893). Effectivement, Il estime le statut de protectorat plus souple et moins conflictuel que celui de colonie. Selon lui, dans le premier statut, contrairement au second, la métropole est déchargée de toutes fonctions gouvernementales et de direction, ce qui lui permet d’économiser de l’argent et d’éviter des conflits. Par ailleurs, Jules Ferry considère que le protectorat correspond davantage que la colonie, aux aspirations des Tunisiens, désireux d’une autorité forte et juste. Car pour lui, « les Musulmans n’ont pas la notion du mandat politique, de l’autorité contractuelle, du pouvoir limité, mais ils ont au plus haut degré, l’instinct, le besoin, l’idéal du pouvoir fort et du pouvoir juste » (Ibid.). Dans le protectorat, les réformes sont décidées d’en haut, « par la grâce du maitre obéi » (Ibid.) et ne peuvent de ce fait être contestées. Le fait qu’elles soient décidées au plus haut niveau par un pouvoir reconnu, répondrait au besoin d’une autorité forte souhaitée par les Tunisiens. Jules Ferry voit dans le protectorat, « une réalisation pratique et positive du rêve du bon despote » et estime que cette convention peut permettre de bousculer les éléments fondamentaux voire sacrés du monde arabe (comme la famille, la terre, l’enseignement) à condition de procéder par étape, d’éviter des « coups de théâtre » et de « sauver les apparences ». La réussite d’une telle convention repose d’après lui, sur deux conditions : la première implique que le

« protégé » accepte la protection ; et la seconde nécessite que le protecteur « ait des vues arrêtées et suivies et que le système ne change pas aussi souvent que ceux qui ont charge de l’appliquer» (Ibid.).

Ainsi, dans le statut de protectorat, le dominateur endosse le rôle positif de protecteur tandis que dans celui de colonie, il est vu comme un « méchant » envahisseur cherchant à accroitre son pouvoir politique et économique.

Toutefois, l’analyse de Jules Ferry laisse interpréter le protectorat français de Tunisie comme une colonie déguisée. Le vocable « protectorat » apparait comme une illusion sémantique destinée à faciliter l’acceptation de la colonisation par les colonisés. Pour Serge la Barbera (2006), il s’agit d’une « formule nouvelle et souple qui est en fait une annexion pure et simple

18 Discours de Jules Ferry intitulé « les fondements de la politique coloniale » prononcé le 28 juillet 1885 devant la chambre des députés.

tout en sauvant les apparences… [Elle] permet à la France de faire une économie de fonctionnaire tout en contrôlant le pays par le haut » (p 18).

Jules Ferry, qui apparait comme l’un des plus grands « avocats » de la colonisation française en Afrique, semble complètement convaincu par le caractère pacifique de cette relation particulière de domination. Pourtant, les évènements qui vont se produire par la suite en Tunisie vont lui donner tort.

Selon Jacques Valette (1993), le traité de protectorat en Tunisie allait forcément susciter des résistances. D’après lui, les Tunisiens considéraient la présence des Français dans la régence comme temporaire. Premièrement, parce que les Berbères acceptent difficilement la domination étrangère : « la tradition berbère pousse à refuser tout maître étranger venant imposer son autorité » (Ibid., p 15). Deuxièmement, parce qu’il est peu probable qu’un Musulman se soumette à l’autorité d’un "infidèle" : « un Musulman ne peut obéir à un infidèle, puisque ce dernier ne peut être le maître de la communauté, et par exemple diriger la prière du vendredi » (Ibid. p 15). Aussi, l’auteur estiment que les Tunisiens « acceptent mal l’égalité avec les Européens, ces incroyants, ils ne s’y résignent que quelques années par respect de la force puisque la violence est parfois une des voies du salut […]. Le Français est forcément un étranger dominant provisoirement un morceau de la communauté des croyants » (Valette, 1993, p 76).

Ainsi, ce qui était au départ présenté comme un contrat pacifique entre un « protégé » et son « protecteur » engendra progressivement des contestations.