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Conclusion du chapitre 1 :

Section 1 : Le contexte tunisien

1.2. Contexte historique : une domination prolongée des puissances étrangères puissances étrangères

1.2.4. Emergence d’un mouvement nationaliste

En 1919, certains citoyens tunisiens ont tenté d’obtenir la révision du traité de protectorat en se présentant à la conférence de paix de Versailles, sans succès.

En 1920, un parti nationaliste – le parti « jeune tunisien » – rebaptisé « Parti libéral constitutionnel tunisien » a vu le jour (Valette, 1993). Egalement appelé Destour ou Vieux Destour, ce parti avait pour principale revendication la mise en œuvre d’une constitution (Destour) reconnaissant les libertés fondamentales.

En 1931, suite à un conflit entre ancienne et nouvelle équipe, une division s’est opérée au sein du groupe et a fait naitre un nouveau parti : le Néo-Destour. Les cadres de cette nouvelle organisation étaient de jeunes intellectuels formés à l’école française et souhaitant jouer un rôle important auprès des autorités coloniales. Parmi eux, il y avait Habib Bourguiba, un jeune avocat originaire de Monastir.

Comme leurs aînés du Vieux-Destour, les jeunes du Néo-Destour estimaient la colonisation française responsable de la « misère » en Tunisie et souhaitaient l’indépendance complète de cette dernière (Valette, 1993). Progressivement, ils sont parvenus à convaincre leurs compatriotes d’adhérer à leur cause. Cela ne fut pas une tâche très difficile puisque certains Tunisiens – en particulier les citadins – commençaient à trouver les autorités coloniales de plus en plus répressives (amende, emprisonnement, assignation à résidence, etc.) (Valette, 1993).

Habib Bourguiba, l’un des membres du groupe nationaliste, commença dès lors à se distinguer. Né à Monastir, ce jeune avocat a étudié en France à l’école de sciences politiques et à la faculté de droit de Paris. Il y a suivi les enseignements de Charles-André Julien, un agrégé d’histoire anticolonialiste. Après avoir été militant à la SFIO puis au parti communiste, il est rentré à Tunis en 1927 avec son épouse française. Là-bas, il s’est fait une bonne réputation en s’occupant d’affaires correctionnelles dans le quartier musulman.

Le jeune avocat propose une vision de la Tunisie complètement différente de celle des autres pays du Moyen-Orient. Il renonce en effet à la concevoir comme une « Umma musulmane » et la voit plutôt comme un Etat laïc, pays de « tous ceux qui sans distinction de religion et de race, voudront l’agréer pour leur patrie, l’habiter sous la protection de lois égalitaires » (Valette, 1993, p 92). Son discours s’adresse aussi bien « aux colons, aux fonctionnaires, aux Français, aux Italiens, aux Juifs, à tous ceux qui n’ont pas de préjugé racial, à ceux qui n’ont rien et tout à gagner d’une collaboration franche, loyale et complète avec le peuple tunisien » (Ibid., p 93). En adoptant ce discours modéré, le jeune avocat espère inciter le gouvernement de Léon Blum à envisager de nouvelles réformes.

Mais ne voyant aucune action de la part de ce dernier20, Bourguiba change de méthode et adopte un ton plus révolutionnaire. Il se rapproche de Sliman Ben Sliman et de Salah Ben Youssef, deux acteurs anticolonialistes. Ensemble, ils organisent en avril 1937, une manifestation pour protester contre l’arrestation de cadres destouriens. Cette manifestation se solde par plusieurs morts et une importante répression de la part des autorités coloniales.

Bourguiba et 19 de ses amis sont arrêtés puis transférés à Marseille.

En 1942, profitant de la vulnérabilité de la France alors occupée par les troupes allemandes et italiennes, le Bey de Tunis (Moncef Bey) fait sien, le combat des destouriens. Mais la France s’en rend compte et décide de le déposer21 le 13 mai 1943.

Le nouveau Bey (Lamine Bey) soutient lui aussi les destouriens et reçoit même Habib Bourguiba tout juste libéré par les Allemands, alors que le parti néo-destour est encore interdit.

En 1945, les cadres du parti nationaliste trouvent du soutien auprès des Américains soucieux de construire un barrage antisoviétique en Méditerranée.

Désormais libre, Bourguiba envisage en décembre 1950, une lutte armée pour inciter l’opinion internationale à réagir. Il est convaincu qu’en cas de trouble dans le pays, l’URSS et les Etats-Unis seraient obligés d’intervenir en encourageant la France à accepter l’indépendance de la Tunisie.

La communauté internationale finit par se rallier à sa cause. La ligue arabe et l’ONU apportent effectivement leur soutien au parti nationaliste, tout comme les Etats Unis.

20 Les autorités françaises ont longtemps sous-estimé les mouvements nationalistes (Valette, 1993).

21 Selon Valette (1993), la France craignait que la Bey ne se rapproche des Anglais, qui lui avaient proposé leur protection lors de la libération de Tunis.

Bourguiba ainsi que le responsable de l’UGTT (l’union générale des travailleurs tunisiens), syndicat proche du parti nationaliste, seront même invités au congrès de l’American Federation of Labour (AFL) en 1951 à San Francisco. Mais en 1952, Bourguiba est une nouvelle fois arrêté et enfermé au Nord de la Tunisie.

En novembre de la même année, Georges Mesney, alors secrétaire général de l’AFL déclare que : «nous demandons une enquête complète des nations unies sur les atrocités et la sauvage violation des droits de l’homme en Tunisie. Nous pressons notre gouvernement d’exercer sa pleine influence afin d’assurer la dissolution de la bande de terroristes coloniaux fanatiques, de restaurer tous les droits civils du peuple tunisien et d’apporter par les bons offices de l’ONU une rapide, juste et saine solution à la crise tunisienne » (Valette, 1993, p 161).

En 1953, des actes qualifiés de terroristes (Valette, 1993) sont perpétrés dans le pays et leurs auteurs présumés sont fortement réprimés par les autorités coloniales.

Au cours de l’été 1953, le résident français à Tunis (Voizard) est déstabilisé par la déposition du sultan dans le Maroc voisin. Le Néo-Destour en profite alors pour renforcer la pression contre la France.

Face à la détermination des nationalistes et à la pression de la communauté internationale, la France est contrainte de reconnaitre le 31 juillet 1954, l’autonomie interne de la Tunisie.

Moins de deux années plus tard, le 20 mars 1956, la Tunisie accède complètement à son indépendance. Le 25 juillet 1957, elle devient une république et l’indépendantiste Habib Bourguiba en devient le président. Le 1er juin 1959, la constitution tant réclamée par les destouriens est adoptée.

A ce jour, le débat sur la colonisation française fait polémique. En 2005, un projet de loi (celui du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés) avait suggéré de lui reconnaitre un « rôle positif ». Cette loi stipulait dans son article premier que « la Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. ». Aussi, cette loi suggérait aux enseignants de faire état du « rôle positif » de la colonisation française en Afrique du Nord notamment (article 4).

En France, l’expression « rôle positif » de la colonisation a suscité l’indignation des intellectuels, des enseignants et des associations de défense des droits de l’homme. Elle a suscité la colère des anciennes colonies qui y ont vu une forme d’apologie du colonialisme français. Fortement contrariée, l’Algérie, qui fut dominée par la France durant 132 années, a qualifié cette loi - par la voix de son président Abdelaziz Bouteflika - de « cécité mentale, confinant au négationnisme et au révisionnisme22 ».

Suite à cette vive polémique, l’article 4 de la loi française a finalement été abrogé le 25 janvier 2006, mais son évocation a réveillé des blessures du passé chez les anciens colonisés.

En 2010, des députés algériens ont riposté en proposant de criminaliser le colonialisme français à travers la création « des tribunaux spéciaux pour juger les responsables de crimes coloniaux ou de [les] poursuivre devant les tribunaux internationaux23 ».

Désormais, les hommes politiques français sont distants à l’égard du colonialisme. Lors de sa visite en Algérie en décembre 2007, le président Nicolas Sarkozy avait qualifié ce système d’

« injuste par nature » et reconnu que des « crimes » avaient été perpétrés des deux côtés.

Par ailleurs, après son discours d’investiture le 15 mai 2012, le président François Hollande avait choisi de rendre hommage à Jules Ferry pour avoir été l’auteur de lois permettant la gratuité, la laïcité et l’universalité de l’école. Mais cette décision n’avait pas été comprise par l’opinion et avait même suscité la controverse chez les intellectuels. Luc Ferry, ministre de l’éducation de Jacques Chirac de 2002 à 2004, avait violemment réagi en soutenant que Jules Ferry a été «non seulement un grand colonisateur, mais c’est quelqu’un qui fonde la colonisation sur une vraie théorie raciste. De même qu’il faut éduquer les enfants, il faut éduquer les Africains, c’est ça l’idée24».

22 Enault, M., (2010) « Paris-Alger, le retour du passé », lejdd.fr, mis en ligne le 10 février 2010. Consulté le 30 juillet 2013. http://www.lejdd.fr/International/Maghreb/Actualite/Paris-Alger-le-retour-du-passe-171577

23 A notre connaissance, ce projet de loi n’a pas encore été adopté

24 Cité par un article de libération.fr (2012), « L'hommage de François Hollande au «grand colonisateur» Jules Ferry tourne à la polémique », publié le 15 mai 2012. Consulté le 31 juillet 2013.

http://www.liberation.fr/politiques/2012/05/15/l-hommage-de-francois-hollande-au-grand-colonisateur-jules-ferry-tourne-a-la-polemique_818849

L’article précise notamment que lors de son discours portant sur «les fondements de la politique coloniale»

devant la Chambre des députés le 28 juillet 1885, Jules Ferry avait déclaré que: «Messieurs, il faut parler plus

Pour limiter la controverse, le président fraîchement élu avait dû déclarer qu’ « en saluant la mémoire de Jules Ferry qui fut un grand ministre de la République, je n'ignore rien de ses égarements politiques, sa défense de la colonisation fut une faute à la morale politique25. »

En résumé, la Tunisie s’est construite progressivement au travers de multiples invasions étrangères. Ces dernières, y compris la plus récente (française) ont incontestablement laissé des traces (langue, culture, institutions, etc.) qui font désormais partie de son identité nationale. Une fois indépendante, il a fallu qu’elle poursuive l’écriture de son histoire en redessinant son économie, en développant sa culture et ses institutions. Nous allons à présent voir les résultats qu’elle a obtenus en examinant ses caractéristiques contextuelles contemporaines, que celles-ci soient économiques, politiques, institutionnelles ou culturelles.