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Conclusion du chapitre 2 :

1.2. Les salariés des centres d’appels : des profils spécifiques pour des conditions de travail spécifiques spécifiques pour des conditions de travail spécifiques

1.2.2. Des conditions de travail particulières…

Nous avons vu en introduction générale, que les travailleurs des centres d’appels seraient contraints de masquer leurs identités (patronyme, accent, coutumes, etc.) durant leur temps de travail afin d’adopter celles de leurs clients occidentaux. Au-delà de cette contrainte, dans quelles conditions travaillent-ils ?

1.2.2.1. Le stress

Selon l’Observatoire des Hommes et des organisations (2000), les travailleurs des centres d’appels sont constamment confrontés au stress, en raison de l’interaction avec les clients (celle-ci pouvant être tendue), du port du casque, de la dépendance à la machine et de l’ergonomie des postes de travail. Lanciano-Morandat, Nohara et Tchobanian (2009) confirment que ces travailleurs font face à une « forte pression psychologique dans le travail » laquelle est selon eux, dûe à « l’organisation logistique du travail » et aux « relations avec les clients ». Le stress est par ailleurs lié au contrôle permanent qu’exercent les managers à travers l’outil informatique.

1.2.2.2. L’usage du script

De nombreux auteurs constatent l’usage obligatoire d’un script par les agents des centres d’appels (Pichaut et Zune, 2000 ; Observatoire des Hommes et des Organisations, 2000 ; Lanciano-Morandat, Nohara et Tchobanian, 2009 ; Venco, 2010). Le script est un scénario préétabli par les managers internes ou les donneurs d’ordres et utilisé par les agents durant leur communication avec les clients. Ce scénario, qui est « plus ou moins standardisé » (Pichault et Zune, 2000) peut avoir des conséquences indésirables aussi bien sur l’entreprise que sur les agents. Lanciano-Morandat, Nohara et Tchobanian (2009) estiment par exemple qu’il est corrélé avec les départs en congé maladie. D’autres (Observatoire des Hommes et des Organisations, 2000) font ressortir l’idée qu’il limite considérablement l’autonomie des agents en les réduisant au statut de robots et de récitateurs.

1.2.2.3. Le port du casque

Généralement les agents des centres d’appels travaillent dans un espace collectif, ce qui peut entraîner une ambiance sonore considérable (conversations d’autres collègues, bruit des ordinateurs et des imprimantes, sonneries de téléphones, etc.). C’est pour y remédier qu’il leur est généralement demandé de porter des casques. Mais d’après certaines études94, cette protection n’est pas suffisante en particulier si les postes de travail ne sont pas correctement isolés (absence de cloisons acoustiques ou d’isolation phonique). Cela peut provoquer chez les agents, une fatigue auditive, des lésions auditives et même un déficit auditif temporaire voire définitif (Santé et Sécurité au Travail, 2011 ; Echo bruit, 200995).

1.2.2.4. Des horaires parfois atypiques

L’Observatoire des Hommes et des Organisations (2000) note que parfois, des agents travaillent en horaires décalés. Si certains y trouvent des avantages (conciliation travail/famille), d’autres y voient une source de stress supplémentaire qui de plus, donne une mauvaise image des centres d’appels. D’après l’Institut national de recherche et de sécurité (l’INRS), les horaires décalés (travail de nuit, horaires atypiques) peuvent perturber les rythmes biologiques et entrainer des troubles de sommeil. Ils peuvent de plus, accroitre les risques d’accidents de la route. Aussi, ces horaires peuvent être à l’origine de pathologies - comme le stress, la dépression, les maladies cardiovasculaires – et provoquer « l’usure prématurée des salariés ».

1.2.2.5. Un contrôle permanent

Des études rapportent que les travailleurs des centres d’appels sont constamment contrôlés par leurs managers. Ce contrôle est supporté par les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Certains auteurs le qualifient de « contrôle technocratique » (D’Cruz et Noronha, 2006) tandis que d’autres parlent de « contrôle bureaucratique »

94 Santé et Sécurité au Travail (2011), La prévention des risques professionnels dans les centres d’appels, http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/ergonomie-au-poste-de-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=164&dossid=323

95 Magazine de l’actualité de l’environnement sonore : Echo bruit (2009), Spécial centre d’appels, centre

d’information et de documentation sur le bruit,

http://www.acousticbulletin.com/FR/CENTRES%20D'APPEL_1_DOSSIER_ECHOBRUIT.pdf

(Lanciano-Morandat, Nohara et Tchobanian, 2009). D’autres évoquent un « contrôle panoptique » (Pichault et Zune, 2000 ; Foucault, 1977 ; Bain et Taylor, 2000 ; Fernie et Metcalf, 1998) qui donnerait un pouvoir absolu aux managers. Ce contrôle se manifeste par des écoutes téléphoniques, des demandes de reporting, des appels factices des donneurs d’ordres pour vérifier la qualité de service, le comptage du nombre de dossiers traités par agent et par jour96, l’enregistrement des communications et de leur durée moyenne. A ce propos, il ressort que les agents des centres d’appels sont tenus de respecter une durée de communication (ou de traitement) inférieure ou égale à 190 secondes par client, soit 3 minutes et 10 secondes environ (Holman, Batt et Holtgrewe, 2007).

Pichaut et Zune (2000) résument ces différentes formes de contrôle en deux catégories : le soft quality control et le hard quality control. Le premier est l’écoute par les superviseurs, des conversations téléphoniques des téléopérateurs, et ce, à leur insu. Le second est un contrôle a posteriori qui se fait au travers de statistiques informatiques (vérification des temps de paroles, des temps de pause, du nombre de ventes effectuées, nombre d’appels réussis, etc.…).

En somme, les travailleurs des centres d’appels ont des conditions de travail très particulières. A présent, il nous parait convenable de nous interroger sur les conséquences que peuvent avoir ces dernières aussi bien sur les salariés que sur leur organisation.

1.2.3. …et un turnover relativement important

De nombreux auteurs (Bain et Taylor, 1999 ; Tremblay et Tremblay, 2011) constatent que les dirigeants des centres d’appels sont confrontés à un grand taux de turnover. Cosette et Gosselin (2009) évoquent même « une culture de roulement » dans le secteur.

Dans un article consacré à la rotation des téléacteurs, Fournier (2000) constate que 50% des départs volontaires s’effectuent l’année du recrutement, et que la seconde période de départ se situe au bout de la deuxième année.

96 Lanciano-Morandat, Nohara et Tchobanian (2009) constatent par exemple qu’en France, un agent gère jusqu’à 90 clients par jour.

Lanciano-Morandat, Nohara et Tchobanian (2005) estiment le taux de rotation du personnel (démission, promotion, licenciements…) à 22% dans les centres d’appels français.

Budhwar et al (2006) considèrent qu’il n’excède pas 15% en Inde, même si Holman, Batt et Holtgrewe (2007) estiment ce taux beaucoup plus élevé dans le pays.

L’étude de Tremblay et Tremblay (2011) dans un centre d’appels montréalais montre que ce taux peut atteindre 70%.

Les causes de cette rotation du personnel seraient l’absence d’évolution de carrière, l’ennui, le stress (Freeman, 1999), le temps de travail, l’équilibre vie privée-vie professionnelle, le

« phone-rage » et la routine (Deery et Kinnie, 2004 ; Houlihan, 2004).

Certains auteurs (Budhwar et al, 2006) évoquent le favoritisme des managers dans le cas de l’Inde. D’autres parlent de la précarité des emplois, des pratiques abusives et l’absence d’une politique de satisfaction des agents (Tremblay et Tremblay, 2011).

Selon Tremblay et Tremblay (2011), le manque de rétention des agents entraîne :

un dysfonctionnement dans l’organisation : obligation d’entretenir un vivier de candidatures pour remplacer les partants, augmentation des tâches administratives liées au recrutement, absence de retour sur l’investissement formation, coût de syndicalisation, etc. Martory et Crozet (2008) considèrent ces dysfonctionnements comme des « coûts de régulation ».

un dysfonctionnement dans l’activité : déficit de personnel qualifié pour combler le vide laissé par les partants, baisse de la qualité des appels, perte de clients et de donneurs d’ordres, standardisation excessive des tâches, etc. Pour Martory et Crozet (2008), il s’agit de « coûts de perturbation ».

Pour y remédier, Tremblay et Tremblay (2011) recommandent d’intervenir sur la relation des agents avec les clients en accordant aux premiers le droit de raccrocher le téléphone en cas de comportement abusif des seconds. Les deux auteurs pensent par ailleurs qu’il est nécessaire d’intervenir sur les horaires et les rythmes de travail, le contenu des activités, la rémunération, les conditions matérielles (salle de pause, confort, salle de détente…) et la qualité du management.

Budhwar et al (2006) recommandent de leur côté, de développer un marché interne du travail en référence au concept initié par Doeringer et Piore (1971), afin de construire une relation durable avec les employés et ainsi réduire l’importance du turnover.

Au regard des conditions de travail des salariés des centres d’appels, il devient légitime de se poser la question suivante : comment font ces organisations pour rester malgré tout compétitives ? Comment les gestionnaires parviennent-ils à convaincre leurs collaborateurs de travailler dans des conditions si particulières ? La prochaine section du présent chapitre abordera cette question. Nous y verrons effectivement comment les centres d’appels s’y prennent pour encadrer, entretenir et tenter de fidéliser leurs salariés.

Section 2 : Quels modèles de management pour les centres d’appels ?

A l’intérieur de cette section, nous examinerons les différentes pratiques managériales et