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THEORIQUE ET PROBLEMATIQUE

1.4. Quand identité rime avec négativité

D’après Galéano (1981), « en ce qui concerne la culture des individus provenant des régions dites du tiers monde, on tend à des représentations fortement teintées d’exotisme ou de primitivisme ». Aussi, dans une de ses études consacrées aux immigrés maghrébins et portugais en France, Malewska-Peyre (1999) affirme que « les immigrés sont souvent assimilés dans la société française aux fauteurs de troubles, chômeurs, délinquants et considérés comme encombrants, désagréables et presque jamais perçus comme citoyens à part entière » (Ibid., p 116). Son étude rapporte que dès leur jeune âge, à l’école, les jeunes immigrés se voient traités par leurs petits camarades de « sale Portugaise », « sale Arabe » ou encore de « Négresse ». Par ailleurs, d’après l’auteure, ces jeunes enfants issus de l’immigration entendent souvent des phrases du type « tu n’es pas chez toi », « tu n’es pas dans ton pays ». Malewska-Peyre (1999) considère que ces « stéréotypes racistes et xénophobes » peuvent provoquer chez les individus concernés, une vision négative de leur identité individuelle. En effet, ces derniers peuvent selon elle, intérioriser l’identité assignée en acceptant « l’identité du paresseux, de l’hypocrite, de l’incompétent […] qui correspond aux étiquettes racistes ».

A ce propos, Henri Favre (cité par Lavaud, 2001, p 63) raconte que :

« L’indien se voit dans le miroir que lui tend le non Indien, se reconnait dans son reflet et s’accepte comme tel. Il se définit comme laid à cause de sa peau foncée, de ses cheveux raides, de ses yeux, de son front bas, et rien ne lui procure plus de joie que d’avoir un enfant

au teint clair, aux yeux et aux cheveux plus clairs. Il se dit bête et stupide, et il invoque fréquemment la limitation de ses facultés mentales pour refuser les améliorations proposées par les agents du changement ».

Les constats de ces auteurs doivent cependant être nuancés. Nous ne souhaitons en aucun cas, laisser sous-entendre que les pays qui accueillent les immigrés sont racistes ou xénophobes. Il nous semble en effet, important de relativiser cette hypothèse, car il y a dans ces pays des personnes dont le comportement et les actions ne sauraient être qualifiés de racistes. Dans un pays comme la France par exemple, il existe des individus et des organisations8 qui soutiennent socialement, psychologiquement et financièrement les migrants et qui mènent des actions antiracistes. Ceci étant précisé, il convient de voir comment d’autres auteurs analysent les conséquences de la dévalorisation de l’identité.

Dans son étude consacrée aux Maghrébins situés dans leurs pays respectifs ou se trouvant en situation d’émigration en France, Carmel Camilleri (1999) s’intéresse à la distance entre l’identité pour soi des maghrébins et leur identité pour autrui assignée par leur pays d’accueil. Selon lui, lorsque l’identité d’un individu est prescrite par un dominant (en particulier quand celui-ci associe à cette dernière « une valeur principalement voire exclusivement négative »), il s’agit d’une « atteinte à l’auto-attribution de la valeur » de l’individu, et donc, une remise en cause de l’image de son « moi ». Pour y faire face, l’individu peut procéder à une « négociation identitaire » en adoptant l’une des identités ci-après (Camilleri, 1999):

l’identité négative déplacée : l’individu s’assimile au dominant en renvoyant

« l’injonction dévalorisante » aux autres membres de sa communauté d’origine.

L’identité par distinction : l’individu « prend acte » de l’identité négative assignée sans pour autant l’intérioriser. Il se contente simplement d’accepter sa différence : « dans la mesure où je suis étranger, je le serai toujours. Je suis donc obligé de rester Algérien puisque je ne suis pas accepté par les autres » (Camilleri, 1999, p 90).

8 Pour ne citer que quelques-uns, nous pourrons évoquer :

La HALDE = Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité

La CIMADE, association dont le but est d’accompagner les migrants et les demandeurs d’asiles SOS RACISME, dont le but est de combattre toute forme de discrimination

L’identité défense : l’individu réfute l’identité négative assignée pour se protéger.

L’identité polémique : l’individu se différencie ou se protège de celui qui lui assigne une identité dévalorisante et se « sur-affirme » parfois de manière agressive vis-à-vis de lui.

L’identité de principe ou volontariste : proposée par Taboada-Leonetti (citée par Camilleri, 1999), elle suggère que l’individu adopte les traits culturels des membres qui déprécient son identité. Pourtant, il revendique vivement sa filiation avec sa communauté d’origine « dont il rejette la quasi-totalité des valeurs traditionnelles ».

Dans les deux premières identités, l’individu adopte une position plutôt favorable au dominant en acceptant l’identité dévalorisée ou en la transférant aux membres de sa culture d’origine. Dans les deux suivantes, il adopte une position défavorable au dominant en affirmant sa différence. Enfin dans la dernière, il se trouve dans une position mixte en se rattachant aussi bien au groupe qui le déprécie qu’à son groupe ethnique d’origine.

Ces différentes recherches sont intéressantes pour notre thèse puisqu’elles nous permettent de comprendre comment peuvent réagir des personnes victimes d’une « atteinte à l’auto-attribution de leur valeur » (Camilleri, 1999, p. 88).

Dans la plupart des cas, d’après Camilleri, la dévalorisation par autrui de l’identité individuelle contrarie fortement le besoin de l’individu « de vivre une unité de sens ». Elle remet en cause son équilibre, c’est-à-dire les représentations et valeurs auxquelles il s’identifie habituellement, et qui lui permettent d’être en cohérence avec son environnement. Pour faire face à cette situation, l’individu met en place des mécanismes pour limiter les éventuelles contradictions identitaires. Ainsi, comme Dubar (2010), Malewska-Peyre (1999), Taboada-Leonetti (1999) et d’autres spécialistes de l’identité, Camilleri estime donc que dès lors qu’un individu perçoit un écart entre son identité (identité pour soi) et celle assignée par autrui, entre ses représentations/valeurs et celles prescrites par les autres, il développe des mécanismes de défense. Ces derniers, qu’on appelle traditionnellement des stratégies identitaires, lui permettent de rétablir un certain équilibre et de vivre dans une harmonie relative.

Dans la prochaine section du présent chapitre, nous allons précisément voir quelles stratégies identitaires les individus sont susceptibles de mettre en place quand ils estiment leur identité pour soi dépréciée par autrui, ou plutôt, quand ils estiment leur « unité de sens » mise en cause (Camilleri 1999).