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Une procédure rarement aussi encadrée qu’en droit français

Sous-section I. Une procédure fonctionnelle

A. La description générale de la procédure d’agrément

2. Une procédure rarement aussi encadrée qu’en droit français

67. Une procédure de rachat en cas de refus d’agrément souvent inexistante. Laissant

une grande liberté aux associés pour organiser leur société, le droit britannique comme le droit néerlandais n’aménagent pas de procédure d’agrément. A fortiori, ils n’organisent pas davantage de procédure de rachat en cas de refus du cessionnaire proposé257.

68. En droit québécois, il n’existe aucune procédure d’agrément. Le Code civil envisage seulement la sanction d’une cession faite par le biais d’une personne interposée en indiquant à l’alinéa 2 de son article 2209 la possibilité de racheter les parts acquises par interposition258.

69. En droit italien, il n’existe pas non plus de procédure organisée par la loi. Il est seulement mentionné dans le cadre de la société en commandite simple la possibilité pour la société de racheter les parts d’un associé transmises par voie successorale259.

70. Le droit belge, quant à lui, n’organise pas non plus de procédure, mais il impose le respect d’un délai de six mois maximum au-delà duquel les actions redeviennent cessibles à défaut d’agrément. Si les statuts stipulent un délai supérieur, cette clause est réputée non écrite260. L’absence d’obligation légale de rachat est, en pratique, souvent compensée par la stipulation d’une clause de préemption ou, plus discutablement, par une clause d’inaliénabilité261.

71.En droit suisse, le conseil d’administration n’a pas l’obligation de faire acquérir les actions du cédant. Le transfert n’a tout simplement pas lieu262. Il existe néanmoins des exceptions à ce principe lorsque le transfert résulte d’une succession, de la liquidation d’un régime matrimonial, ou d’une exécution forcée. Dans ces hypothèses particulières, la société doit proposer au bénéficiaire une reprise de ses droits à leur valeur réelle263. Cette dernière précision a le mérite de 257 BOUCOURECHLIEV (J.), (sous la direction de), Propositions pour une société fermée européenne, Étude du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce de Paris,C.R.E.D.A., 1997, p. 206, n° 284.

258 « Tout associé peut, dans les soixante jours où il apprend qu’une personne étrangère à la société a acquis, à titre onéreux, la part d’un associé, l’écarter de la société en remboursant à cette personne le prix de la partet les frais qu’elle a acquittés. Ce droit ne peut être exercé que dans l’année qui suit l’acquisition de la part ».

259 C. civ. italien, art. 2322 : « La quota di partecipazione del socio accomandante è transmissible per causa di morte.

Salvo diversa disposizione dell’atto costitutivo, la quota può essere ceduta, con effeto verso la società, con il consenso dei soci che reppreseńtano la

maggioranza del capitale. »

260 Cette disposition est également valable lorsqu’un droit de préemption a été stipulé. Code des sociétés belge, art. 510 : « Toutefois, lorsque la limitation résulte d'une clause d'agrément ou d'une clause prévoyant un droit de préemption, l'application de ces clauses ne peut aboutir à ce que l'incessibilité soit prolongée plus de six mois à dater de la demande d'agrément ou de l'invitation à exercer le droit de préemption. Lorsque les clauses visées à l'alinéa 3 prévoient un délai supérieur à six mois, celui-ci est de plein droit réduit à six mois ».

261 V. en ce sens : CAPRASSE (O.), Le statut des actionnaires (SA, SPRL, SC) – Questions speciales, Larcier, 2006, p. 37, n° 53. 262 Code des obligations suisse, art. 685 c, al. 1er

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la simplicité et d’éviter le contentieux lié aux désaccords sur le prix de rachat entre le cédant et la société, comme c’est le cas en droit français264.

72. En revanche, le droit luxembourgeois se rapproche de ce dernier lorsqu’il laisse la possibilité pour la société en commandite simple de prévoir statutairement la réduction du capital ou le rachat des parts d’intérêts de l’associé décédé265. Cette législation est toutefois plus souple que le droit français lequel ne prévoit cette possibilité ni pour la commandite simple, ni pour la société en nom collectif. Par ailleurs, lorsque ce dernier prévoit une procédure de rachat, celle-ci est imposée par la loi et non suggérée comme dans l’hypothèse de son homologue luxembourgeois. Ce dernier est néanmoins assez strict lorsque, en présence d’une société à responsabilité limitée, il indique la possibilité pour les héritiers refusés de provoquer la dissolution anticipée de la société266, à moins que les parts du défunt ne soient acquises par les associés, un tiers agréé par eux, ou encore, la société elle-même267. Ce droit est également précis en ce qu’il prévoit des modalités de détermination du prix de rachat des parts différentes de celles existantes en droit français268, de même que la suspension de l’exercice des droits du défunt jusqu’au moment de l’opposabilité du transfert à la société269. Cette précision pourrait inspirer le droit français, lequel suscite des questions à ce sujet270.

73. Enfin, le droit espagnol s’en rapproche aussi en instituant un délai de réponse de deux mois après la notification de la demande d’agrément ; le cas échéant, celui-ci est réputé acquis au cessionnaire271.

264 V. infra n° 502.

265 L. du 10 août 1915 luxembourgeoise concernant les sociétés commerciales, art. 21, al. 4 : « Le contrat social peut autoriser la gérance ou les associés à réduire ou à racheter, en tout ou partie, le cas échéant sur demande d’un ou plusieurs associés, les parts d’intérêts d’un ou plusieurs associés, et en définir les modalités ».

266 L. du 10 août 1915, préc., modifiée par la loi du 18 septembre 1933, art. 189, al. 4 : « Les héritiers ou les bénéficiaires d'institutions testamentaires ou contractuelles qui n'ont pas été agréées et qui n'ont pas trouvé un cessionnaire réunissant les conditions requises, peuvent provoquer la dissolution anticipée de la société, trois (3) mois après une mise en demeure signifiée aux gérants par exploit d'huissier et notifiée aux associés par pli recommandé à la poste ».

267 L. du 10 août 1915, préc., art. 189, al. 5 : « Toutefois, pendant ledit délai de trois mois, les parts sociales du défunt peuvent être acquises, soit par les associés, sous réserve de la prescription de la dernière phrase de l'art. 199, soit par un tiers agréé par eux, soit par la société elle-même, lorsqu'elle remplit les conditions exigées pour l'acquisition par une société de ses propres titres ». 268 L. du 10 août 1915, préc., art. 189, al. 6 et 7 : « Le prix de rachat des parts sociales se calcule sur la base du bilan moyen des trois dernières années et, si la société ne compte pas trois exercices, sur la base du bilan de la dernière ou de ceux des deux dernières années.

S'il n'a pas été distribué de bénéfice, ou s'il n'intervient pas d'accord sur l'application des bases de rachat indiquées par l'alinéa précédent, le prix sera fixé, en cas de désaccord, par les tribunaux ».

269 L. du 10 août 1915, préc., art. 189, al. 8 : « L'exercice des droits afférents aux parts sociales du défunt est suspendu jusqu'à ce que le transfert de ces droits soit opposable à la société. »

270 V. infra n° 397.

271 Ley de Sociedades Anònimas, art. 63, al. 3, in fine : « En cualquier caso, transcurrido el plazo de dos meses desde que se presento la solicitud de autorización sin que la sociedad haya contestado a la misma, se considerará que la autorización ha sido concedida. »

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En conclusion, comparé aux autres législations, le droit français apparaît comme étant très réglementé. Paradoxalement, il semble aussi susciter le plus de contentieux (ce qui est également le cas du droit belge, assez proche). Au contraire, en droit britannique, il n’existe aucune réglementation. Même s’il est inenvisageable que le droit français renonce à ses spécificités pour adopter celles de ce dernier, peut-être pourrait-il y trouver des clés de solution pour simplifier sa législation au regard de l’importance des enjeux liés à la mise en œuvre de l’agrément et, par conséquent, limiter ses causes de contentieux272.

§ II. Les enjeux de la mise en œuvre de la procédure

d’agrément.

74. Une double finalité. Tout comme sa nature juridique, la finalité de l’agrément se dédouble.

- En premier lieu, en tant qu’acte unilatéral, son but est de préserver l’intuitu personae au sein de la société et, à travers cette préservation, l’enjeu est très souvent de maîtriser la composition du capital social273. En effet, sa répartition entre les associés peut exprimer différentes forces d’opposition au sein de la société, et notamment le pouvoir de la contrôler274. Le pouvoir ainsi conféré revêt autant de colorations qu’il est possible d’en donner à l’intuitu personae. En pratique, il sera fréquemment l’expression du caractère familial de la société ; les petites et moyennes entreprises constituant la majeure partie du tissu économique français, mais aussi européen275. L’agrément jouera un rôle majeur dans la protection de ce caractère puisqu’il permettra d’évincer les étrangers à la famille. Ce pouvoir majoritaire peut également exprimer une certaine idée de l’activité sociale et de la gestion qu’il convient de lui donner276. L’agrément permettra, dans ce cas, 272 V. les solutions proposées, infra n° 182 et s.

273 À ce sujet, v. notamment : MORTIER (R.), Opérations sur capital social, 2ème éd., Litec, 2015.

274 À propos de la notion de contrôle, v. notamment : CHAMPAUD (Cl.), Le pouvoir de concentration de la société par actions, préf. Y. Loussouarn, Sirey, coll. Bibliothèque de droit commercial, 1969.

275 V. en ce sens : PRIEUR (J.), « Introduction », in La gouvernance des entreprises familiales, Actes du colloque du 17 juin 2010 à

l’Université Paris-Dauphine, Litec, coll. Colloques et débats, 2010, p. 1 : « En France, si elles sont surtout présentes dans les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, elles sont également majoritaires parmi les grandes structures. En effet, 63% des entreprises de 50 millions à 2 milliards de chiffre d’affaires sont contrôlées par des familles et leur importance est

croissante ».

LECOURT (B.), « La Societas Unius Personae, La nouvelle société unipersonnelle à responsabilité limitée proposée par la Commission européenne », Rev. sociétés 2014, p. 699, spéc. n° 8 : « Les autorités européennes ont pris conscience, ces dernières années, qu'il fallait adapter la réglementation aux PME qui représentent 99 % des entreprises de l'Union européenne ».

Plus généralement, à propos des problématiques posées par les sociétés dont le capital est majoritairement détenu par une famille, v. notamment : TANDEAU de MARSAC (V.), Guide pratique des entreprises familiales, Manuel opérationnel, juridique et fiscal,

Eyrolles, 2011 ; DANET (D.), LIGER (A.), (sous la responsabilité scientifique de), Entreprises patrimoniales et familiales, Revue

Juridique de l’Ouest, numéro spécial, 2009.

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d’éviter l’entrée d’un concurrent, ou même, de renforcer la position d’un associé dissident par rapport à la politique majoritaire. Plus généralement, la presse économique regorge d’exemples de sociétés fermées pour diverses raisons277. Mais, quelles qu’elles soient, le filtrage exercé peut s’exprimer tant à l’égard des mouvements externes des droits sociaux, vers les tiers, qu’à l’égard des mouvements internes, entre associés. Ces derniers ne doivent pas être négligés au motif que l’agrément leur a déjà été donné278. Leur personnalité est en effet susceptible d’évoluer, notamment sous l’influence de leur entourage279. De même, si l’associé est une personne morale, les détenteurs de son contrôle sont susceptibles de changer.

Une finalité similaire peut être observée dans les autres groupements de personnes que sont les associations280et les groupements d’intérêt économique mais toutefois, pour ces derniers, les conditions de mise en œuvre de l’agrément sont laissées à la discrétion des statuts281.

- En second lieu, en tant que procédure, sa finalité est de protéger les intérêts antagonistes présents lors de son déroulement : celui de la société, et celui du cédant qui, en vertu du principe de la prohibition des engagements perpétuels, ne saurait être tenu de rester dans la société contre son gré282. Cet ordre public de protection s’exprime par l’impérativité des règles procédurales. Leur respect est rigoureusement défendu par la Cour de cassation, que ce soit par une interprétation stricte des textes et des clauses statutaires corrélatives, mais aussi par le total rejet

277 BELLOUEZANE (S.), « Si tu es un jeune développeur de talent, appelle-nous … », Le Monde, 19 septembre 2015, p. SCQ2 ; MOLGA (P.), « Créer son entreprise à plusieurs, pour le meilleur ou pour le pire », Les Echos, 14 octobre 2015, p. sup2 ; WOITIER (Ch.), « Pourquoi Vivendi investit dans Ubisoft », Le Figaro Économie, n° 22147, 23 octobre 2015, p. 24 ; SALENTEY (P.), « Oscar A. KAMBLY : “La force des ETI [entreprises de taille intermédiaire], c’est celle de David contre Goliath“ », Les Echos, 6 décembre 2016 ; X., « Les entreprises familiales se placent en partenaires financiers de la vie locale », Les Echos Business, 18 mai 2016 ; CESSAC (M.), « La famille Tata veut chasser l’ancien patron de toutes ses sociétés », Les Echos, 13 décembre 2016, p. 19 ; ARRIVET (D.), « Les entreprises familiales, toujours au cœur de l’économie », Le Figaro, Entreprises et emplois, n° 22502, 14 décembre 2016, p. 2 ; PIERRON (V.), « Entreprises familiales ou détenues par leurs salariés, les clés du succès », Publinet, Banques des entreprises, 19 juin 2017, n° 305 ; CASTETI (C.), « Les multiples chemins de la transmission », Décideur Magazine, 1er juillet 2017 ; LANDRIEU (V.), « Ce que les ETI [entreprises de taille intermédiaire] peuvent nous apprendre », Les Echos Executive, 2 octobre 2017, p. 1.

Comp. De la TOUR d’ARTOISE (Th.), « Les entreprises familiales doivent ouvrir leur capital », Le Monde, Entreprises, 19 novembre 2016, p. SCQ7 ; FAY (P.), « La famille, un label qui plaît aux marchés », Les Echos, Finance et marché, 25 janvier 2017, p. 30.

278Comp.la situation résultant de l’interdiction de soumettre à l’agrément les transferts d’actions entre actionnaires : v. infra n° 118. 279 V. à ce propos, infra n° 237. Et pour les facilités leur étant offertes par le législateur pour intégrer la société, v. infra n° 92. 280 V. notamment à ce sujet : HELLERINGER (G.), « Ne pas renouveler une adhésion : une prérogative contractuelle », note sous Cass., 1ère civ., 6 mai 2010, D. 2010, p. 2413 : « Devient-on membre de l’association Gîtes de France comme on entre dans

un moulin ? Et cette collectivité a-t-elle des allures d’auberge espagnole ? Que nenni ! Les gîtes de France tiennent plutôt de la

forteresse, car il n’existe pas de droit à faire partie d’une association. Ne pas avoir pour but de partager des bénéfices ne signifie

pas nécessairement renoncer à sélectionner ses compagnons d’aventures. Comme d’autres groupements, une association peut être ouverte ou fermée, et n’accueillir alors que des membres dûment agréés. C’est ainsi que l’association Gîte de France limite statutairement toute adhésion à une durée donnée et s’autorise à refuser le renouvellement de ses adhérents. Ce dispositif permet

de contrôler les qualités de convivialité et de respect de l’environnement qui font sa renommée ».

281 C. com., art. L. 251-9, al. 1er (G.I.E.) : « Le groupement, au cours de son existence, peut accepter de nouveaux membres dans les conditions fixées par le contrat constitutif ».

282 Sauf en présence d’une clause d’inaliénabilité, mais l’associé est supposé avoir consenti aux effets de cette clause (v. supra

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d’un formalisme de substitution, ce que regretteront certains praticiens283. Cette rigueur est néanmoins bienvenue car chaque règle a une fonction bien précise. Mais cette interprétation littérale des textes pose aussi des problèmes, notamment lorsqu’il s’agit de définir le domaine de l’agrément. Ainsi, le mot « cession », souvent utilisé par les textes pour définir son champ d’application, exclut-il d’autres opérations telles que les fusions ou, les démembrements de droits sociaux ? Dans cette dernière hypothèse, l’agrément doit-il nécessairement viser l’acquisition de la qualité d’associé, ou l’acquisition de pouvoirs au sein de la société comme le peut, par exemple, l’usufruitier de droits sociaux284? Ces questions sont d’autant plus problématiques que les clauses statutaires ne comblent pas toujours les insuffisances de la loi, d’où la nécessité de conceptualiser la législation de l’agrément afin de l’unifier et de la simplifier.

Sous-section II. Vers un agrément conceptualisé ?

75. Plan. Afin d’assurer la stabilité de la règle de droit, le juriste doit se transformer en « “faiseur de système“, remontant du concret à l’abstrait, passant du multiple à l’un, s’effor[çant] de

ramener la pluralité des solutions données par la loi ou la jurisprudence à quelques formules qui en dégagent les aspects fondamentaux »285. Tel est l’objectif de la présente thèse qui s’efforcera d’atteindre ce but grâce au suivi d’une certaine méthodologie (§ II). Celle-ci permettra, in fine, de résoudre la problématique posée par l’agrément en droit des sociétés (§ I).

§ I. La problématique : unifier et simplifier la législation selon

une conception personnaliste de la société.

76. Plan. Cette problématique répond à une double constatation. D’une part, les règles actuelles manquent d’unité, ce qui est une source de complexité et d’incertitudes (I). Et, d’autre part, elles présentent néanmoins le point commun d’être applicables à l’ensemble des sociétés dès lors que la considération de la personnalité des associés exerce une incidence duale : non seulement sur leur formation mais aussi leur fonctionnement (II).

283 V. infra n° 304, n° 195.

284 Semblant implicitement accorder la qualité d’associé à l’usufruitier : Cass. com., 8 décembre 2008, D. 2009, p. 780, note (B.) DONDERO, citant l’arrêt : «que les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle, si une part est grevée d'usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, dès lors qu'ils ne dérogent pas au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives […] l'usufruitier aurait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts un usage contraire à l'intérêt de la société, dans le seul dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés » (v. également les références à ce

débat citées par l’auteur en note de bas de page n° 12). Contra, v. infra n° 231.

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I. Un manque d’unité générateur de complexité et

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