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Une incidence complexe sur les sociétés de droit commun

Section II. La réalité : une source morcelée par sa diversité

A. Une incidence complexe sur les sociétés de droit commun

125. Plan. Ce morcellement a pour conséquence de conférer une importance variable à l’intuitu personae des sociétés de personnes (1), tandis qu’il lui accorde une importance ponctuelle dans les sociétés par actions (2). Or n’est-il pas paradoxal que les sociétés de personnes soient de la sorte en partie ouvertes, tandis que les sociétés par actions peuvent être en partie fermées ? L’analyse des conséquences du morcellement de la source de l’agrément sera l’occasion de s’interroger sur les motivations du législateur.

1. Une importance variable de l’intuitu personae dans les sociétés de personnes.

126. Des suppositions des rapports intuitu personae de diverses personnes avec la société. Dans ces sociétés pour lesquelles l’agrément est d’origine légale et impérative à l’égard des tiers422, le fait que la loi autorise un agrément d’origine conventionnelle caractérise, a contrario, l’existence supposée de l’intuitu personae des personnes visées par cette règle de droit (tels que le

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conjoint ou les descendants par exemple). Pour ces personnes, les parts sociales sont donc libres d’agrément, comme le seraient des actions. Cette constatation peut surprendre s’agissant de droits sociaux dont la nature contractuelle implique non seulement qu’un accord soit donné en raison de la modification réalisée par la cession, mais aussi, que de strictes formalités soient respectées. De la sorte, l’application d’un agrément, au moins supplétif de volonté, s’il n’est impératif, serait davantage cohérent que ne l’est l’actuel agrément conventionnel dont la loi fait bénéficier certaines personnes423.

126-1. L’intuitu personae des associés.L’agrément est ainsi conventionnel dans le cas des

cessions de parts sociales entre associés d’une SARL, ce qui suppose la permanence de leur intuitu personae. La solution choisie pour les cessions entre associés d’une société civile est toutefois intermédiaire, celle-ci consistant à poser une source légale, mais supplétive de l’agrément, c’est -à-dire, qu’ils peuvent dispenser leurs cessions de cette modalité s’ils estiment la réitération de la considération de chacun inutile.

126-2. L’intuitu personae du conjoint, des ascendants ou des descendants. Dans ces mêmes sociétés (SARL, société civile), la source de l’agrément est identique s’agissant des cessions réalisées au profit du conjoint de l’associé, c’est-à-dire, conventionnelle pour la SARL, légale et supplétive pour la société civile. En revanche, s’agissant des cessions faites aux ascendants ou aux descendants, cette source n’est plus légale et supplétive pour les parts de société civile, mais conventionnelle à l’instar des parts de SARL. Cette nature conventionnelle laisse ainsi supposer, comme précédemment, que la personnalité de ces personnes est compatible avec l’intuitu personae de la société.

126-3. L’intuitu personae des héritiers. Un degré de complexité supplémentaire s’ajoute à

cette législation dès lors que le fait générateur de l’agrément est autre qu’une cession. Par exemple, la transmission des parts d’un associé d’une société civile ou d’une SARL est libre d’agrément au profit des héritiers424. Elle l’est également à l’égard des héritiers de parts d’une SNC, auxquels une clause de continuation accorde le droit de continuer la société à la place de leur auteur425.

127. Observations conclusives du 1. L’importance de l’intuitu personae dans les sociétés de personnes et la SARL. Trois remarques générales résultent des précédents propos. 423 Pour plus de détails s’agissant de la qualité de ces personnes, v. infra n° 237 et s.

424 V. supra n° 115 et s. 425 V. supra n° 113.

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- En premier lieu, la cessibilité des droits sociaux à l’égard de certaines personnes de l’entourage familial revient de facto à réputer leur intuitu personae, et donc, la compatibilité de leur personnalité vis-à-vis de la société, peu important la teneur réelle de l’intuitu personae du cercle sociétaire. Plus généralement, le législateur pose de la sorte le principe du caractère familial de ces sociétés car il ressort effectivement des travaux parlementaires une volonté de favoriser les transmissions familiales426. Or ce postulat est discutable, sinon dangereux, car l’entrée d’un tiers, même s’il appartient à la famille d’un associé, peut avoir pour conséquence de nuire à la réalisation de l’objet social. Ce proche ne présente pas nécessairement les critères personnels ayant présidé à la formation de la société : les liens du sang d’un associé n’équivalent pas toujours au lien intuitu personae des autres associés. En outre, une source conventionnelle ne permet pas de sauvegarder les intérêts de la société si les statuts n’ont pas suffisamment anticipé ces questions. Au contraire, une source légale de l’agrément, et supplétive de volonté, semble plus protectrice car elle implique que les associés aient réfléchi à ses conséquences avant d’autoriser, antérieurement au transfert, une dispense de l’agrément. Elle a pour avantage d’éviter qu’un tiers ne profite de la négligence des statuts, pour entrer subrepticement dans la société.

- En second lieu, le législateur marque une plus grande méfiance à l’égard du conjoint de l’associé d’une société civile qu’à l’égard de ses ascendants ou descendants. Les liens du sang supposeraient donc davantage d’intuitu personae que les liens du mariage. Mais seulement dans cette société toutefois, car une telle supposition n’existe pas dans le cadre de la SARL. Pourquoi une telle différence ? Les travaux parlementaires ne l’expliquent autrement que par la volonté de favoriser les transferts familiaux427. La SARL aurait alors, semble-t-il, une physionomie familiale davantage marquée qu’une société civile. En dépit de la supposée légitimité de cette faveur, l’ensemble de ces subtilités ne facilitent guère la lecture des textes tant ils sont pointilleux.

- En troisième et dernier lieu, dans le cadre de la SARL, la source de l’agrément est toujours conventionnelle, sauf à l’égard des cessions projetées au profit de tiers pour lesquels il est imposé par la loi. De la sorte, cette société apparaît presqu’aussi ouverte que pourrait l’être une société par actions, dont seules les cessions faites aux tiers seraient conventionnellement soumises à l’agrément. Or, paradoxalement, le législateur pose, pour cette dernière, certains principes dont il résulte un intuitu personae encore plus fort que ne le suppose la législation des sociétés de personnes.

426 V. notamment en ce sens : JO Sénat CR, 27 avril 1966, p. 348. 427 Idem.

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2. Une importance ponctuelle de l’intuitu personae dans les sociétés par actions.

Le principe de la négociabilité des actions implique que leur transfert ne soit pas soumis à l’agrément de la société. Le cas échéant, celui-ci a une source conventionnelle en vertu de la liberté contractuelle. Or, par une immixtion dans ce domaine, le législateur suppose l’intuitu personae de certaines personnes envers la société. En outre, se pose la question de savoir si cette disposition de droit commun est applicable à l’ensemble des sociétés par actions.

128. L’intuitu personae des ascendants, des descendants, ou du conjoint d’un

actionnaire.La loi interdit de stipuler une clause d’agrément visant les hypothèses de cessions au profit d’ascendants, de descendants, ou du conjoint d’un actionnaire, ainsi que les hypothèses de sa succession ou de la liquidation de son régime matrimonial428. La conclusion suivante s’impose alors : l’intuitu personae est encore plus fort que celui posé à l’égard des sociétés de personnes, car l’interdiction implique obligatoirement l’entrée de ces personnes dans la société. Cette remarque n’est toutefois valable que s’il existe un intuitu personae entre les associés ; le cas échéant, cette interdiction ne fait que renforcer le principe de la libre cessibilité des actions. Mais telle n’était pas l’intention du législateur qui, par cette interdiction, projetait surtout de faciliter les règlements familiaux429.

Cependant, si l’intuitu personae existe entre les associés, ces interdictions sont susceptibles d’entrer en conflit avec leur conception de celui-ci430. Cet interventionnisme législatif, dans un domaine qui relève de la liberté contractuelle, n’est guère surprenant en raison du fort encadrement légal de ces sociétés depuis 1966, même s’il tend à s’assouplir, spécialement en matière d’agrément431. Une seule échappatoire s’offre alors aux associés désireux de pleinement maîtriser les transferts de titres : recourir à d’autres formes de société par actions. En effet, cette ingérence légale ne se constate pas dans les types sociétaires plus récents, que sont la société par actions simplifiée et la société européenne, et dont l’agrément est toujours conventionnel432. Toutefois, encore faut-il que ces sociétés échappent à l’application du droit commun en la matière, ce qui n’est pas certain pour la SAS.

428 C. com., art. L. 228-23, al. 2, sauf lorsque la société réserve des actions à ses salariés (art. L. 228-23, al. 4). Pour plus de précisions, v. supra n° 98.

429 JO Sénat CR, 27 avril 1966, p. 348, préc.

430 Pour plus de développements sur cette notion contractuelle, v. supra n° 14 et s.

431 En effet, l’ordonnance du 24 juin 2004 a libéré les cessions entre actionnaires de l’interdiction de stipuler une clause d’agrément, v. supra n° 43.

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129. Droit spécial ou droit commun des sociétés par actions ? La SAS et la société européenne sont les dernières sociétés intégrées dans l’ordonnancement juridique français. En matière d’agrément, leurs dispositions sont assez proches et se caractérisent par un certain libéralisme, rompant avec le droit commun des actions applicable jusqu’alors433. La coexistence de ces deux régimes suscite une question : les dispositions plus anciennes de l’article L. 228-23 du Code de commerce constituent-elles un droit commun, applicable à défaut de dispositions spéciales propres à la SAS et à la société européenne ? La doctrine est divisée sur la réponse à donner à cette question.

- En faveur d’un droit commun, est avancé le fait que ces dispositions sont placées au sein d’un chapitre ayant trait aux valeurs mobilières émises par les sociétés par actions, et plus spécialement d’une section intitulée «Des actions »434.

- Au contraire, ses opposants considèrent que l’existence de règles propres à ces sociétés (SAS, société européenne) les exclurait du droit commun435. À cet égard, l’article L. 227-14 du même Code ayant trait à la SAS illustrerait parfaitement ce caractère dérogatoire436. En effet, ce texte autorise beaucoup plus largement ses statuts à soumettre toute cession d’actions à l’agrément préalable de la société que ne le permettent les articles généraux, L. 228-23 et suivants du Code de commerce437. Or, si ce raisonnement était approfondi, puisque les dispositions légales de la SAS n’organisent pas le régime du refus d’agrément, cela signifie-t-il que les statuts soient libres de le faire ? Il est permis de douter de l’octroi d’une telle liberté car l’intention du législateur de 1966 fut, au contraire, d’encadrer strictement, par un ordre public de protection, le fonctionnement de la procédure d’agrément et, plus particulièrement, l’hypothèse de son refus438. Cette analyse exclut dès lors de considérer le droit de chaque société par actions comme étant indépendant des dispositions générales du Code de commerce.

433 Pour le détail de ces régimes, v. supra n° 98 et s.

434 V. notamment en ce sens : DONDERO (B.), « Les clauses d’agrément dans les sociétés par actions après la réforme »,

LPA 2005, n° 189, p. 44, spéc. n° 1 et les références citées.

435 CHARVERIAT (A.), COURET (A.), ZABALA (B.), avec le concours de MERCADAL (B.), Mémento pratique, Sociétés commerciales, éd. Francis Lefebvre, 2012, p. 885, n° 60700.

436 Une disposition analogue existe pour la société européenne à l’article L. 229-11 du Code de commerce.

437 V. notamment en ce sens : PORACCHIA (D.), « Les clauses d’agrément dans les sociétés par actions – Questions contemporaines », in Mélanges en l’honneur du Professeur Michel Germain, LexisNexis, L.G.D.J., 2015, p. 679, spéc. p. 680 : « Cette thèse ne nous convainc cependant pas, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si elle était juste, il aurait été inutile de préciser dans

l’article L. 227-14 du Code de commerce que les statuts peuvent soumettre (toutes) les cessions d’actions à l’agrément, puisque cela était déjà prévu par les textes précités. En outre, elle semble contraire à la volonté du législateur et plus précisément à celle de

l’Assemblée nationale qui a voté ce texte en considérant que par cette disposition elle faisait relever l’agrément des statuts et non de la loi ».

Pour la position adoptée, v. infra n° 467.

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Par analogie, ce droit commun, applicable à défaut de dispositions spéciales à la mise en œuvre de l’agrément, l’est également à sa source. Logique et conforme à l’adage « specialia generalibus derogant», cette conclusion aboutit pourtant à un résultat surprenant lorsqu’elle est appliquée à la SAS : en l’absence de mention de la possibilité de stipuler une clause d’agrément en dehors d’une cession d’actions, le régime de droit commun encadrant les autres faits générateurs est applicable, et notamment l’interdiction de soumettre à un agrément les héritiers de l’actionnaire439. Ce constat exprime ainsi une incohérence entre le contenu de la législation et l’intention ayant gouverné son édiction.

Pour retrouver une certaine cohérence entre la source de l’agrément et l’esprit l’animant, il faut, paradoxalement, s’intéresser aux textes des sociétés réglementées.

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