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Une incidence rare sur les sociétés réglementées

Section II. La réalité : une source morcelée par sa diversité

B. Une incidence rare sur les sociétés réglementées

130. Des modèles légaux généralement remarquables par leur simplicité. Le régime disparate du droit commun des sociétés oblige les praticiens à vérifier le contenu de chaque texte spécial. La nécessité de cette démarche souligne un manque d’intelligibilité de la loi en l’absence de principes généraux gouvernant la procédure d’agrément, d’autant plus que les textes spéciaux recèlent parfois des spécificités insoupçonnables440.

Concernant la source de l’agrément, ces règles sont souvent l’opposé de celles du droit commun. Ainsi, elles ne mentionnent ni le fait générateur de la procédure d’agrément, ni le bénéficiaire du transfert des droits sociaux, préférant des expressions larges comme : « L’agrément de nouveaux associés est donné par les associés exerçant leur activité au sein de la société […] »441. Ou encore : « Toute cession est soumise à l’agrément du conseil d’administration ou du conseil de

surveillance »442. Ce type de formule est préférable à celles, pointilleuses, du droit commun des sociétés, lesquelles suscitent l’interprétation et, donc, l’insécurité juridique. En outre, elles expriment un principe cohérent et similaire pour toutes ces sociétés réglementées : celui de leur fermeture aux tiers. Ce phénomène de morcellement n’appartient toutefois pas exclusivement à la législation de l’agrément, il est lié à l’évolution même du droit des sociétés.

439 V. supra n° 127.

440 Par exemple, dans les sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées, l'agrément de nouveaux associés est donné par les associés exerçant leur activité au sein de la société à la majorité des deux tiers (L. n° 90-1258 du 31 décembre 1990, art. 10, al. 5). 441 L. n° 90-1258 du 31 décembre 1990, art. 10, al. 5 (société d’exercice libéral par actions simplifiée).

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§ II. Un morcellement lié à l’évolution du droit des sociétés.

131. Une atténuation progressive des différences entre chaque type de sociétés. Une

des critiques adressées au clivage existant entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux tient à la porosité de ses frontières443. Légalement, aucun type de sociétés444n’appartient véritablement à l’une ou l’autre catégorie à part deux exceptions : la SNC pour laquelle l’agrément des cessions de parts est requis impérativement, ainsi que les sociétés par actions cotées pour lesquelles l’agrément des transferts de titres est au contraire interdit445. En dehors de ces deux types, les contours de ces catégories traditionnelles peuvent tout autant être atténués par la volonté des parties que par le législateur.

132. L’intention du législateur. Si la motivation des parties peut aisément se comprendre

en raison d’un besoin d’adapter la forme sociale choisie à leur projet, en revanche, quelle est celle du législateur ? Son rôle ne devrait-il pas se réduire à définir précisément les éléments constitutifs de chaque société ? En réalité, sa motivation se calque sur celle des parties : son but est de permettre à la pratique d’adapter ces structures à leur besoin446. La première pierre posée en vue de réaliser cet objectif le fut par la consécration de la SAS. Toutefois, celle-ci réalisa un véritable « big-bang »447dont le droit des sociétés continue de ressentir les secousses. Afin d’y pallier et de maintenir l’attractivité des autres formes sociales face à la liberté conférée par cette dernière, le législateur a instauré une certaine concurrence entre les types sociétaires448. Concrètement, les réformes récentes la matérialisent par le mixage de diverses composantes, celles-ci se rattachant tantôt aux personnes, tantôt aux capitaux. Ces caractéristiques sont soit structurelles en ce qu’elles participent de la définition de chaque société, soit secondaires en ce sens qu’elles ne

443 V. en ce sens : GUYON (Y.), Droit des affaires, Droit commercial général et Sociétés, t. 1, Économica, 12ème éd., 2003, p. 224, n° 217, et plus récemment, GODON (L.), « L’éclatement des formes sociales », Rev. sociétés 2017, p. 267.

444 V. à propos de la notion de type : BUREAU (D.), art. préc., p. 57, spéc. p. 58, n° 3 : « […] la notion de type renvoie en effet à un nombre limité de figures sociétaires, dont la justification essentielle reposerait sur le besoin ressenti par le législateur d’adapter

cette branche du droit aux besoins de la pratique. À chacun sa société, à chacun son droit pourrait-on affirmer, comme par

transposition de l’analyse naguère développée par le doyen Carbonnier pour rendre compte de la diversité des modèles en vigueur au sein du droit de la famille ».

Adde ROCHFELD (J.), Cause et type de contrat, préf. J. Ghestin, L.G.D.J., coll. Bibliothèque de droit privé, t. 311, 1999,

spéc. p. 40, n° 43.

445 Comp. néanmoins, une étude révélant la présence de l’intuitu personae au sein des sociétés cotées : MORIN (A.), « Intuitus personae et sociétés cotées », RTD com. 2000, p. 299, spéc. n° 40 concluant ainsi sa démonstration : « Ainsi, arrive-t-on, en déjouant

les apparences trompeuses, à l’idée aussi audacieuse que surprenante, selon laquelle l’intuitus personae est parfois plus fort dans les sociétés cotées que dans les sociétés non cotées. Peut-être est-il temps de se convaincre que société cotée et intuitus personae ne

forment pas un couple impossible… ».

446 V. en ce sens, BUREAU (D.), art. préc., p. 59, n° 4.

447 L’expression emprunte le titre d’un article du professeur Paillusseau : - , « La nouvelle société par actions simplifiée. Le big bang du droit des sociétés ! », D. 1999, p. 333.

448 La SARL reste la société la plus utilisée en France (v. en ce sens les statistiques de l’INSEE mentionnées par MERLE (Ph.),

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modifient pas leur physionomie449. Ce mouvement n’épargne pas pour autant le régime de la SAS qui subit aussi l’influence de l’un ou l’autre modèle sociétaire.

133. Le mixage de caractéristiques structurelles. En premier lieu, un exemple bien connu de société mixte est d’abord celui de la société en commandite du fait de sa combinaison des deux types de responsabilité, limitée et illimitée. Ensuite, la SARL est également souvent qualifiée de société hybride car elle était initialement conçue comme une société de personnes, mais dont la composante dérogatoire résidait dans la responsabilité limitée des associés450. Enfin, la SAS donne encore une illustration de ce mixage structurelle par la forte place accordée à la personnalité des associés, alors même que cette société émet des titres négociables, actions et autres valeurs mobilières. Ce caractère est particulièrement marqué par l’admission légale des clauses d’agrément et d’exclusion451.

134. Le mixage de caractéristiques secondaires. En second lieu, un jeu d’attribution des caractéristiques secondaires d’une catégorie à une autre accentue leur rapprochement de deux façons.

- D’abord, il s’exerce en accordant davantage de liberté dans les options contractuelles appartenant à l’une ou l’autre catégorie. La SARL a ainsi fait l’objet de nombreuses modifications la rapprochant tantôt des sociétés de capitaux, tantôt des sociétés de personnes. Depuis l’ordonnance du 25 mars 2004, il est en effet possible, pour les plus importantes de ces sociétés, de créer des obligations452, mais aussi, de réunir jusqu’à cent associés et non plus seulement cinquante453. Cette société se rapproche toutefois des sociétés de personnes par l’octroi légal du droit de stipuler des clauses de continuation454. En revanche, la dimension de la SAS en tant que

449 Comp. BUREAU (D.), op. cit., loc. cit. : « Cette conjugaison de l’uniformité et de la diversité présuppose en effet une définition

précise des éléments constitutifs de chaque type sociétaire, quitte à renouer avec une tradition romaine – distinguant entre les

essentiala, les naturalia et les accidentalia–aujourd’hui largement occultée ».

450 V. en ce sens : BOUCOURECHLIEV (J.), avec la collaboration de HUET (N.), « De natura SARL », in Études à la mémoire

d’Alain Sayag, Litec, 1997, p. 177, spéc. p. 181 : « En fait, la SARL répond bien aux critères traditionnels des sociétés de personnes,

qui retiennent exclusivement l’intuitus personae et le régime des titres qui en découle logiquement – non négociables ni librement transmissibles - , à l’exclusion du régime de la responsabilité des associés. Et Savatier a pu, à quelques pages d’intervalle,

rapprocher la SARL des deux catégories puis la qualifier de société de personnes, tout en formulant immédiatement la réserve de la limitation de responsabilité ».

451 C. com., art. L. 227-19.

452 Pour les conditions posées, v. C. com., art. L. 223-11.

453 C. com., art. L. 223- 3. Certains auteurs doutent de l’utilité de la réforme car le nombre d’associés atteignait rarement

cinquante en pratique (v. en ce sens : MERLE (Ph.), avec la collaboration de FAUCHON (A.), Droit commercial, Sociétés commerciales, Dalloz, coll. Précis, 20ème éd., 2017, p. 213, n° 212).

454 C. com., art. L. 223- 13 et dont la rédaction fut d’ailleurs trop servilement recopiée sur le texte de la SNC, v. à ce propos infra

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société de capitaux a été accentuée grâce à un accroissement de ses possibilités de financement sur certains marchés455.

- Ensuite, le mélange des genres s’exerce également par l’alignement de certaines caractéristiques des sociétés. Par exemple, la suppression de l’exigence du capital minimum de la SARL a été étendue à la SAS, alors même que ce montant constituait la garantie corrélative de la responsabilité limitée des associés456. Typique des sociétés de personnes, l’autorisation de recevoir des apports en industrie a de même été successivement étendue à la SARL, puis à la SAS457. Plus récemment encore, un mouvement de personnalisation se remarque aussi à l’égard des sociétés anonymes dont le nombre d’actionnaires nécessaire pour sa constitution a été réduit à deux, comme pour l’ensemble des sociétés pluripersonnelles458. Cette mesure ne vaut toutefois, logiquement, que pour les sociétés anonymes dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, et pour lesquelles l’agrément est interdit459.

135. Le mixage par l’effet de l’agrément. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant de

retrouver ce mélange par l’effet de l’agrément. Une SAS, et surtout, une société européenne en raison du large champ d’application de son texte460, peuvent être aussi fermées qu’une SNC grâce à l’usage de la liberté conférée par la source conventionnelle de leur agrément, et cela alors même que le législateur a fortement rapproché la SAS de la société anonyme en autorisant de nouvelles modalités de financement461. Au contraire, une SARL pourrait être presqu’aussi ouverte qu’une SA puisque la source de son agrément est toujours conventionnelle, à l’exception des cessions destinées aux tiers sans liens familiaux avec l’associé, dont seul l’agrément est légal462. Enfin, pour le législateur, la SA apparaît, paradoxalement, comme étant la société la plus familiale puisque la

455 MERLE (Ph.), avec la collaboration de FAUCHON (A.), op. cit., p. 770, n° 686 : « Cependant, des ouvertures ont été réalisées, d’abord par l’ordonnance du 22 janvier 2009 qui a autorisé la SAS à faire coter des titres autres que des actions, à

recourir à des placements privés et à être admis sur un système multilatéral de négociation (art. L. 227-2 in fine). Puis, par

l’ordonnance du 30 mai 2014 sur le financement participatif qui a permis aux SAS d’offrir des titres au public par l’intermédiaire d’une plateforme internet de crowdfunding ».

456 C. com., art. L. 223-2 (SARL) ; art. L. 227-1, al. 3 (SAS).

Pour une appréciation critique de cette mesure et les références citées, v. MERLE (Ph.), avec la collaboration de FAUCHON (A.), op. cit., p. 214, n° 213.

457 V. notamment : MASSART (Th.), « Les apports de savoir-faire dans la SAS », inL’apport en société dans tous ses états, colloque du 17 novembre 2009, organisé par le Master 2 Juriste d’affaires de la Faculté Jean Monnet (Paris XI), Supplément thématique BJS 2009, p. 1154.

458 C. com., art. L. 225-1, al. 2. Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015 souligne que les sociétés familiales avaient souvent recours à des actionnaires de complaisance pour atteindre le nombre de sept. Par ailleurs, la France était en décalage par rapport aux autres pays européens car elle était la seule à avoir maintenu cette exigence sans fondement économique ni juridique.

459 V. supran° 43. C’est pourquoi ces sociétés ont été exclues de notre étude.

460 V. supra n° 100 et s., n° 120 et s.

461 Pour plus de précisions sur ce point, v. GODON (L.), « L’éclatement des formes sociales », préc., spéc. n° 9 et s. 462 Adde LE CANNU (P.), « La SAS dans la concurrence des formes de sociétés », Bull. Joly Sociétés 2008, p. 236.

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compatibilité des proches de l’associé avec l’intuitu personae de la société est imposée par l’interdiction des clauses d’agrément les visant ; cette interdiction visant non pas à renforcer le principe de la négociabilité des actions, mais à favoriser les transmissions familiales. La conclusion s’impose donc définitivement : si le clivage entre sociétés de personnes et sociétés de capitaux était à son origine difficilement justifiable463, il est aujourd’hui totalement dépassé eu égard, notamment, au domaine de l’agrément.

D’une manière générale, s’il n’est pas possible de savoir quel modèle domine actuellement les autres, le rapprochement des types sociétaires souligne un mouvement d’individualisation des sociétés, en fonction des besoins de leurs acteurs. La personnalisation de la société est l’un de ces besoins récurrents. En effet, la présence de l’intuitu personae est susceptible d’irriguer tous les rapports sociaux, que le groupement soit a priori défini comme un modèle ouvert ou fermé. Dès lors, plutôt que d’admettre au cas par cas la possibilité de contrôler le transfert de certains droits sociaux au profit de tel ou tel bénéficiaire, le Droit gagnerait en cohérence si un droit commun des sociétés fermées était élaboré. L’unification de l’agrément, à commencer par sa source, pourrait être le chemin d’élection de celui-ci464.

463 V. pour les difficultés à déterminer le critère de distinction entre ces catégories, supra n° 86 et s. 464 V. en ce sens les propositions faites, infra n° 137 et s.

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Conclusion Chapitre I.

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