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84. Plan. Une lecture intuitive du droit positif laisse supposer que, si l’agrément est une modalité du transfert des droits sociaux317, alors il serait dépendant de leur nature. Cette corrélation semble logique puisqu’il constitue un verrou à l’entrée de la société, sa source varierait dès lors nécessairement selon leur degré de cessibilité. A priori duale, cette source serait donc légale en présence de parts sociales ou relèverait, au contraire, de la liberté contractuelle des associés en présence d’actions (Section I). En réalité, elle est morcelée par divers critères grâce auxquels le législateur confère plus ou moins d’importance à l’intuitu personae dans chaque type sociétaire (Section II).

Section I. L’apparence : une source duale.

85. Plan. Cozian considérait les professeurs de Droit comme maîtres dans l’art de la taxinomie318. Le droit des sociétés se prête particulièrement bien à cet exercice de classement car il est presque possible de recenser autant de classifications des sociétés qu’il existe d’ouvrages les présentant319. Une qualification des plus traditionnelles se fonde sur l’importance de la considération de la personne des associés dans leurs rapports sociaux (§ I), laquelle coïncide avec 317 À propos de la nature de l’agrément, v. supra n° 47 et s.

318 COZIAN (M.), VIANDIER (A.), DEBOISSY (Fl.), Droit des sociétés, Litec, coll. Manuel, 29ème éd., 2016, p. 14, n° 25.

Les associés peuvent aussi n’avoir aucune affinité si la société est utilisée à des fins de défiscalisation.

319 GUYON (Y.), Droit des affaires, Droit commercial général et Sociétés, t. 1, Économica, 12ème éd., 2003, p. 221, n° 214, distinguant les

classifications traditionnelles, qualifiées d’inadaptées, parmi lesquelles sont classées les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux, après les sociétés civiles et les sociétés commerciales, et les classifications nouvelles (les sociétés faisant ou ne faisant pas

publiquement appel à l’épargne ; les sociétés privées et les sociétés appartenant au secteur public ; les sociétés de droit interne et les sociétés de droit communautaire).

DIDIER (P.), DIDIER (Ph.), Droit commercial, Les sociétés commerciales, t. 2, Économica, coll. Corpus droit privé, 2011, p. 3, n° 2 et suivants, distinguant successivement les sociétés à but lucratif des sociétés à but coopératif, les sociétés civiles des sociétés commerciales, parmi celles-ci, les auteurs distinguent les sociétés à risque illimité de celle à risque limité, mais aussi les sociétés par

parts d’intérêt et les sociétés par actions. Enfin, la dernière distinction mentionnée est celle différenciant les sociétés ouvertes des sociétés fermées.

COZIAN (M.), VIANDIER (A.), DEBOISSY (Fl.), Droit des sociétés, Litec, coll. Manuel, 29ème éd., 2016. Les auteurs choisissent de distinguer les sociétés à risque limité (p. 293, n° 635) des sociétés à risque illimité (p. 601, n° 1421).

LE CANNU (P.), DONDERO (B.), Droit des sociétés, Montchrestien, 6ème éd., 2015, p. 21, n° 3 et s. Les auteurs mentionnent plusieurs critères de distinction : le risque couru par le ou les associés, l’offre de titres au public, et enfin, un critère subsidiaire

comprenant les petites, moyennes et grandes sociétés ainsi que les sociétés du secteur public et celles du secteur privé. Par ailleurs,

ils considèrent que d’autres distinctions, dont la distinction entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux, ont surtout

un contenu formel mais qu’il est encore possible de « les utiliser comme appoint » (ibid., p. 20, n° 2).

MERLE (Ph.), avec la collaboration de FAUCHON (A.), Droit commercial, Sociétés commerciales, Dalloz, coll. Précis, 20ème éd., 2017, p. 169, n° 154 : les auteurs distinguent les sociétés de personnes, la société à responsabilité limitée, les sociétés de capitaux, les sociétés sans personnalité morale.

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la différence de nature de leurs droits (§ II). Ainsi nommées, ces distinctions devraient a priori

influencer la source de l’agrément.

§ I. Une source correspondant a priori au clivage entre les

sociétés de personnes et les sociétés de capitaux.

86. Une distinction fondée sur certaines caractéristiques des sociétés. En pratique, l’agrément est le principal critère utilisé pour déterminer le degré d’admissibilité des tiers dans une société. Or, abstraction faite des dispositions l’encadrant, le droit des sociétés ne mentionne pas explicitement l’importance de la considération de la personne des associés pour chacune de ses structures. Cela signifie alors que le législateur a dû mesurer cette importance à l’aide de critères indépendants de la législation de l’agrément. Or, précisément, les éléments constitutifs de la distinction traditionnellement faite entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux renseignent sur l’éventuelle présence ou l’absence de l’intuitu personae dans les rapports entre associés, autrement dit, sur le degré d’ouverture de leur groupement aux tiers. Certaines dispositions révèlent, de la sorte, une plus ou moins grande opacité de la personnalité morale face à la personnalité des associés.

86-1. Le niveau de responsabilité. Ainsi en est-il de l’intensité de leur obligation aux dettes sociales, limitée ou illimitée. Cette dernière est la première caractéristique de la présence de l’intuitu personaecar il est nécessaire, avant de s’engager, de porter un jugement non seulement sur la personnalité de chacun, mais aussi sur la teneur de leur patrimoine en raison du risque lié à l’engagement sociétaire320. Il semble dès lors logique d’imposer l’agrément dans les sociétés où les associés sont personnellement responsables des dettes. La SARL fait néanmoins figure d’exception en raison de sa physionomie de société de personnes à responsabilité limitée321.

86-2.L’influence de la mort d’un associé. La loi indique également l’influence sur la société de certains événements affectant la personne des associés, comme leur mort. En principe, celle-ci entraîne la dissolution de la société en vertu des effets de l’intuitu personae sur le contrat initial322. A contrario, l’absence de cette indication légale laisse supposer l’indifférence de cet événement sur le fonctionnement de la société. Toutefois,seul l’article L. 221-15 du Code de commerce relatif à la société en nom collectif illustre précisément cet effet.

320 Pour la démonstration selon laquelle le patrimoine figure parmi les éléments de personnalité des associés, v. supra n° 19-2. 321 BOUCOURECHLIEV (J.), avec la collaboration de HUET (N.), « De natura SARL », in Études à la mémoire d’Alain Sayag, Litec, 1997, p. 177.

322 Pour plus de précisions sur l’incidence de l’intuitu personae sur le contrat, v. supra n° 20 et s., et sur la nature de la société, v. infra n° 157 et s.

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De ces quelques caractéristiques, il est difficile de déduire précisément le critère sur lequel s’érige le clivage traditionnel entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux tant il existe des atténuations à leur généralité. En revanche, la nature des droits sociaux le marque plus nettement. La source de l’agrément semblerait davantage y trouver sa justification, et cela, d’autant plus qu’il est une modalité de la convention réalisant leur cession323.

§ II. Une source a priori déduite de la nature des droits

sociaux.

87. Un agrément légal applicable aux parts sociales, un agrément conventionnel

applicable aux actions. Les parts sociales des sociétés de personnes et de SARL ne sont pas aisément cessibles du fait de la présence de l’intuitu personae, tandis que les actions et les valeurs mobilières sont au contraire caractérisées par leur libre circulation, laquelle est justifiée par l’absence supposée d’intuitu personae entre les actionnaires324. Dès lors, les premières ne devraient être cédées qu’avec l’accord des autres associés, et après l’accomplissement de formalités d’opposabilité325, tandis que les secondes, titres négociables impersonnels, le seraient sans agrément ni formalité.

De l’obligation d’agréer dans les sociétés de personnes se déduirait ainsi, logiquement, une source légale applicable aux parts sociales, alors que sa simple faculté, dans les sociétés par actions, se traduirait par une source conventionnelle pour leurs titres326. Les sociétés illustrant parfaitement ces principes théoriques sont la SNC pour la première catégorie ; la SAS et la société européenne pour la seconde327. Cependant, l’harmonie de cette ligne directrice est rompue par les nombreuses nuances apportées par la loi à l’intensité de l’intuitu personae dans chaque société. Ces ruptures sont créées par l’attribution légale d’une source variable à l’agrément, en fonction de certains faits générateurs, ou de la qualité du bénéficiaire projeté des droits sociaux.

323 Sur la nature de l’agrément, v. supra n° 48 et s.

324 Pour davantage de détails sur l’incidence de l’intuitu personae sur la cession de droits sociaux, v. infra n° 165 et s. 325 C. civ., art. 1690. Pour les sociétés commerciales, il existe un certain allègement du formalisme : C. com., art. L. 221-14. 326 Pour l’admission historique de cette possibilité, v. supra n° 36 et s.

327 C. com., art. L. 221-15 (SNC) ; c. com., art. L. 227-14 (SAS), art. L. 229-11 (société européenne). Pour plus de précisions à propos de la source de l’agrément dans ces deux sociétés, v. n° 120 et s., n° 129 et s.

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Section II. La réalité : une source morcelée par sa

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