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Les éléments communs à toutes les sociétés

Sous-section I. Une procédure fonctionnelle

A. La description générale de la procédure d’agrément

1. Les éléments communs à toutes les sociétés

46. Plan. La nature juridique de l’agrément (a) et le déroulement global de sa procédure (b) sont communs à l’ensemble des sociétés.

a. La nature juridique de l’agrément en droit des sociétés.

47. Plan. La dualité de l’agrément (α) la distingue d’autres clauses voisines (β).

α. Une nature juridique duale.

Comme le remarque le professeur Barbièri, l’«[…] objet [de l’agrément] est de jeter un pont entre deux actes juridiques distincts, l’acte de société et l’acte de cession, afin de permettre au cessionnaire de

prendre place, ou de modifier sa place, au “ tour de table “ de l’acte de société, c’est-à-dire parmi les partenaires en société »204. De la sorte, se dégagent deux points de vue en fonction desquels l’agrément est susceptible de revêtir une nature juridique différente : celui des parties à l’acte de transfert des droits sociaux, ou celui de la société.

48. Du point de vue des parties à l’acte de transfert des droits sociaux : une

condition. Classiquement, l’agrément est considéré comme une condition de l’acte de cession.

soit ils font un renvoi à l’article L. 227-19 du Code de commerce, soit ils mentionnent l’exigence de l’unanimité, avec ou sans

référence au texte (DONDERO (B.), « Exigence de l’unanimité dans les SAS : conflit de lois dans le temps en vue ! »,

Gaz. Pal. 2017, n° 12, p. 66).

204 BARBIÈRI (J.-F.), note sous Cass., 3ème civ., 19 juillet 2000, n° 98-10.469, Madame Navarre c/ Madame Héraut et autres,

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Celle-ci peut être suspensive ou résolutoire : dans le premier cas, les effets de l’acte seront suspendus jusqu’à l’obtention de l’agrément, tandis que dans le second, l’acte sera au contraire anéanti en l’absence d’agrément205. Cependant, cette analyse est remise en cause par des précisions législatives récentes selon lesquelles la cession réalisée en violation d’une clause d’agrément est nulle206. Cette sanction a été instituée par le législateur afin de renforcer l’efficacité des clauses d’agrément. Si son intention est louable, il n’est pas certain, en revanche, que la nullité soit la sanction la plus adaptée207. Elle ne trouve pas davantage de justification du point de vue de la société pour qui, l’agrément a la nature d’une délibération sociale.

49. Du point de vue de la société : un acte unilatéral prenant la forme d’une

délibération sociale. Après avoir étudié la définition de l’agrément, il est dorénavant établi sans équivoque qu’il constitue un acte unilatéral208. Cette manifestation de volonté est néanmoins particulière car elle prend la forme d’une délibération sociale et est soumise, par conséquent, aux conditions de validité requises par le droit des sociétés, tel le respect de règles de vote par exemple209. Ses modalités d’adoption sont, en effet, strictement réglementées dans chaque forme sociale, mais la loi laisse les associés totalement libres des raisons de l’octroi ou du refus de l’agrément. Cette liberté en fait un droit purement discrétionnaire210, et le distingue d’autres clauses pouvant remplir la même finalité.

205 Monsieur le Professeur Barbièri (art. préc, spéc. n° 5) soulève la difficulté suivante : « Assez souvent, cependant, les parties à

l’acte de cession, tout en allant au-delà d’un simple projet, ne soumettent pas expressément l’opération à l’obtention d’un agrément […]. C’est la seule hypothèse qui engendre de véritables difficultés en l’absence d’agrément car dans les autres cas, il n’y a pas à s’interroger surla sanction d’un défaut d’agrément ».

206 V. pour la SA : C. com., art. L. 228-23, al. 4 (issu de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998) ; pour la société européenne : C. com., art. L. 229-11, al. 2 (issu de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005) ; pour la SAS : C. com., art. L. 227-15 (issu de la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994).

V. plus généralement les analyses faites par : COURET (A.) et PERRIER (C.), « Les effets d’une clause d’agrément érigée en

condition suspensive », Bull. JolySociétés 1999, p. 318.

207 V. par exemple : LÉCUYER (H.), note sous CA Paris, 3ème ch., sect. A, 6 décembre 2005, n° 04/22.426, Consorts S. c/ SCI Val Thorens et autres, Bull. Joly Sociétés 2004, n° 4, p. 521 : « Et l’on peut autant soutenir, d’une manière générale, que l’agrément

est un préalable à la rencontre efficace des consentements, et participe des conditions de validité du contrat, dont la sanction

naturelle est la nullité. Le fait que l’agrément soit légalement ou statutairement requis ne doit sans doute pas entrer dans le débat.

Même lorsque l’exigence est statutaire, la loi est derrière en ce qu’elle l’autorise. Au-delà, la volonté peut multiplier les conditions

requises pour la formation valable d’un contrat». Pour plus d’analyses sur ce point, v. infra n° 567 et s. 208 V. supra n° 8 et s.

209 À ce propos, v. infra n° 361 et s.

210 Pour la précision d’autres caractères de la décision d’agrément, v. infra n° 398 et s.

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β. Une nature la distinguant de clauses voisines.

50. Le droit d’exprimer une volonté discrétionnaire. La finalité de l’agrément est de

préserver l’intuitu personae inhérent à la société211, en lui permettant de contrôler les qualités du futur cessionnaire (lequel peut être un tiers ou un associé). À l’issue de ce contrôle, l’opération projetée sera refusée ou acceptée. D’autres techniques ou clauses peuvent avoir la même finalité, mais elles confèrent alors, le plus souvent, un droit à la société sur les parts sociales ou les titres du cédant.

51.Les clauses de sortie les plus courantes. Elles ont généralement pour objet de limiter la possibilité pour le cédant de céder ses droits sociaux à des tiers, ou à des personnes autres que celles désignées par la clause en question ; que cette dernière soit statutaire ou insérée dans un pacte d’associés212. Les clauses de préemption (ou de préférence)213 sont à cet égard courantes. Celles-ci stipulent qu’un associé désireux de céder ses droits doit en informer les autres, et que ceux-ci, ou certains d’entre eux, disposent d’une priorité pour les acquérir aux conditions offertes par la clause214. Ces stipulations sont néanmoins soumises à certaines conditions de validité posées par la jurisprudence215, tout comme les clauses d’inaliénabilité216. En raison de l’atteinte portée au droit de l’associé de céder sa participation, l’inaliénabilité doit être limitée dans le temps et justifiée par un intérêt social légitime. La clause d’exclusion exige elle aussi d’être justifiée par un tel intérêt car, lors de sa mise en œuvre, elle oblige un associé à céder ses droits à la société sous la forme d’un rachat217. Il est possible d’imaginer qu’une telle exclusion soit justifiée, par 211 V. en ce sens le but de l’agrément : v. supra n° 11 et s.

212 À propos des limites de la conclusion d’une convention d’agrément, v. infra n° 290.

213 V. pour la discussion à propos de la distinction de ces deux clauses : GAUDEMET (A.), « La portée des pactes de préférence ou de préemption sur des titres de société », Rev. sociétés 2011, p. 139, spéc. n° 1 ; SCHILLER (S.), « L’organisation du capital – La stabilité du capital », in La gouvernance des entreprises familiales, Actes du colloque du 17 juin 2010 à l’Université Paris-Dauphine, Litec, coll. Colloques et débats, 2010, p. 61, spéc. n° 16 et suivants.

214 V. en ce sens, ainsi que les nombreuses références bibliographiques : GERMAIN (M.), avec le concours de MAGNIER (V.),

Traité de droit commercial de G. Ripert et R. Roblot, Les sociétés commerciales, t. 2, L.G.D.J., coll. Traité, 21ème éd., 2014, p. 120, n° 1622 ; MAGNIER (V.), Droit des sociétés, Dalloz, 8ème éd., 2017, p. 96, n° 155. Adde MOULIN (J.-M.), Droit des sociétés et des groupes, Gualino, 2013, p. 152, n° 165.

215 SCHILLER (S.), art. préc., spéc. n° 17.

216 C. civ., art. 900-1 par analogie. Comp. C. com., art. L. 227-13 : « Les statuts de la société peuvent prévoir l’inaliénabilité des actions pour une durée n’excédant pas dix ans » (SAS).

217 Avec une réduction de capital, ou par un ou plusieurs de ses coassociés. V. sur ce point : DAIGRE (J.-J.) et alii, « Clause

d’exclusion dans les sociétés anonymes non cotées », Actes prat. ing. sociétaire1992, p. 5. Et récemment, à propos d’une SICA, Cass. 1ère civ., 28 septembre 2016, n° 15-18.482, P+B, JCP E 2017, n° 4, p. 1090, note (J.-B.) HAUGUEL ; précisant que la perte de la

qualité d’associé ne peut être antérieure au remboursement des droits sociaux. Leur valeur est évaluée le jour del’exclusion, par un

expert en cas de contestation.

Adde GALLOIS-COCHET (D.), « Cession de droits sociaux. L’obscure clarté du régime de l’exclusion statutaire »,

Dr. sociétés 2014, n° 12, étude n° 23.

Comp. pour la SAS : C. com., art. L. 227-16. Cette clause ne se confond toutefois pas avec une clause d’éviction (v. supra

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exemple, par la prise de contrôle d’une filiale par un concurrent. Il existe ainsi de nombreuses techniques pour maîtriser la composition du capital social218, dont l’une des plus radicales n’est pas contractuelle ou statutaire, mais réside dans l’utilisation de la société en commandite : le noyau dur composé par les associés commandités pourra alors être verrouillé à l’envie, en plus des dispositions légales restreignant d’ores et déjà la possibilité de céder leurs droits sociaux.

Plus généralement, ces alternatives sont parfois préférées à la mise en œuvre d’un agrément (lorsqu’il n’est pas imposé par la loi toutefois), car la procédure l’entourant peut être jugée trop contraignante, ou même trop coûteuse, puisque son refus entraîne, en principe, l’obligation pour la société de racheter les droits sociaux du cédant219.

b. Le déroulement global de la procédure d’agrément.

Depuis 1966, une procédure stricte encadre l’agrément du transfert de la majeure partie des droits sociaux220. Chaque étape procédurale a pour but de protéger les parties intéressées par la réalisation de l’acte juridique projeté. Deux temps dans cette procédure doivent être spécialement distingués : avant et après la décision de la société, dans l’hypothèse spécifique d’un refus d’agrément.

52. Avant la décision de la société. Les parties au projet doivent notifier une demande d’agrément à la société. Les textes soulignent la nécessité d’y procéder avant la conclusion de l’acte221. En principe, il appartient au cédant de réaliser cette notification, mais la jurisprudence a admis que son cessionnaire puisse remédier à sa défaillance222. Il s’agit d’un acte important à partir duquel les délais procéduraux commencent à courir, spécialement celui attribué à la société pour statuer sur cette demande. Le cas échéant, l’agrément sera réputé acquis. Pour cette raison, les

218 V. pour de nombreuses illustrations, notamment : SCHILLER (S.), art. préc., p. 61 ; GERMAIN (M.), avec le concours de MAGNIER (V.), op. cit., p. 440, n° 2174 (dans des pactes d’actionnaires) ; CHAMPAUD (Cl.), « Concept et statut des entreprises familiales – Le Fait et le Droit », in Entreprises patrimoniales et familiales, sous la responsabilité scientifique de DANET (D.) et

LIGER (A.), Revue Juridique de l’Ouest, numéro spécial, 2009, p. 5, spéc. pp. 33 – 34 : les clauses de rachat circonstanciel « […]

ont pour but de permettre à un associé de se faire racheter à un prix convenu une participation dans une entreprise sociétaire commune à laquelle il ne désire plus collaborer. Par rapport au binôme agrément/préemption, elles évitent au cédant-dissident de

chercher un tiers de complaisance, cessionnaire supposé dont on sait à l’avance qu’il ne sera pas agréé. En outre, elles ont l’avantage de préciser à l’avance les circonstances qui ouvriront l’option de sortie, ce qui permet des négociations préalables voire des procédures de conciliation ou d’arbitrage pour éviter les inconvénients d’une opération inopinée ».

Adde LE NABASQUE (H.), DUNAUD (P.), ELSEN (P.), « Les clauses de sortie dans les pactes d’actionnaires », Actes prat. ing. sociétaire 1992, dossier n° 5, p. 9.

219 Comp.la situation de l’associé cédant d’une SNC qui ne bénéficie pas du droit au rachat de ses parts sociales en cas de refus d’agrément, v. infra n° 467 et s.

220V. pour l’exposé du domaine de ce dispositif de rachat, infra n° 465 et s.

Adde MAGNIER (V.), Droit des sociétés, Dalloz, 8ème éd., 2017, p. 102, n° 161. 221 V. infra n° 323.

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juges n’admettent aucun formalisme de substitution à cette notification ; peu important la connaissance par les associés de l’acte projeté. En outre, la délibération sociale décidant de l’agrément, ou de son refus, est souvent soumise à des conditions légales précises. Ces dernières ne correspondent pas nécessairement aux conditions requises pour modifier les statuts, et cela, en dépit de la modification que réalise pourtant une décision favorable223. Au-delà de ces conditions, la décision présente également des caractères spécifiques. La jurisprudence a ainsi pu juger que l’agrément devait être pur et simple, global, et concerner une personne déterminée ou, tout au moins, déterminable. Mais elle a aussi affirmé son caractère discrétionnaire ; la société n’ayant aucune obligation de communiquer les raisons de son refus224.

53. Après le refus d’agrément. Avant la loi de 1966, aucune obligation légale n’imposait à

la société d’acquérir, ou de faire acquérir les droits sociaux du cédant en cas de refus d’agrément. Cette situation fut vigoureusement critiquée à propos des parts de SARL car elle aboutissait à un « bouclage des cessions […], l’associé […] prisonnier de ses parts, se trouv[ait] dans un véritable

carcan »225.

Ne se confondant pas avec un droit de préemption226, la mise en œuvre de cette obligation de rachat est strictement encadrée par la loi. La société doit d’abord désigner un acquéreur de substitution, lequel peut être un associé ou elle-même. L’acquisition peut, ensuite, s’exercer par le biais d’un rachat, suivi d’une cession ou d’une réduction de capital227. La détermination du prix de rachat, si elle est la cause de désaccords, trouve une résolution légale grâce au renvoi des textes à l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil228. De surcroît, cette obligation doit être exécutée pendant un délai légal, lequel peut varier d’une forme sociale à une autre. Le cas échéant, comme précédemment, l’agrément sera réputé acquis au cessionnaire initial, si tant est qu’il ne se soit pas désisté entre temps.

Enfin, le cédant dispose lui aussi du droit de renoncer à la cession ; droit dénommé par la doctrine comme étant un « droit de repentir ». Mais en l’état actuel des textes, les conditions de son exercice semblent différer d’une société à une autre pour lesquelles il a été consacré. En effet, le texte relatif aux actions admet la possibilité de son exercice à tout moment, tandis que celui de 223 V. infra n° 361 et s.

224 Pour l’exposé de l’ensemble de ces caractéristiques, v. infra n° 398 et s.

225 BOUCOURECHLIEV (J.), (sous la direction de), « Expérience et propositions : France », in Propositions pour une société fermée européenne, in Étude du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce de Paris, C.R.E.D.A., 1997, p. 153, spéc. p. 156 : « bouclage des cessions : face à un gérant tout puissant, alors pratiquement inamovible, l’associé éventuellement écarté de la

gestion et des profits réalisés par la société, prisonnier de ses parts, se trouv[ait] dans un véritable carcan ». 226 V. à propos de la discussion sur la nature du dispositif de rachat : infra n° 469 et s.

227 V. infra n° 470 et s. 228 V. infra n° 502 et s.

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la SARL suggère le contraire229. Regrettable, ce manque d’unité entre chaque société n’est pas spécifique à cet élément procédural : il est un défaut général de la procédure d’agrément.

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