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La consécration controversée d’un agrément applicable aux transferts d’actions et de valeurs mobilières

Sous-section I. Une procédure fonctionnelle

B. Une consécration légale plus ou moins controversée

2. La consécration controversée d’un agrément applicable aux transferts d’actions et de valeurs mobilières

36. Plan. Les actions figurent parmi les valeurs mobilières150. Elles se caractérisent par deux éléments : d’une part, leur représentation d’une fraction du capital social attribué à l’actionnaire en contrepartie de l’apport réalisé et, d’autre part, leur négociabilité. La compatibilité de cette dernière avec la mise en œuvre d’un agrément suscita longtemps des interrogations car toutes deux semblaient contradictoires (a). Au XIXème siècle si, dans sa jurisprudence relative à l’autorisation gouvernementale des sociétés anonymes, le Conseil d’État y affirma son hostilité151, en revanche, la Cour de cassation l’admit en adoptant une conception plus contractuelle qu’institutionnelle de la société. Il fallut attendre le XXème siècle et la réforme des sociétés commerciales de 1966 pour que la validité des clauses d’agrément applicables aux transferts d’actions soit légalement consacrée, mais dans une certaine limite toutefois (b).

a. La raison de la controverse.

37. La libre circulation des actions. Dans ces sociétés, la personnalité du cessionnaire d’actions importe, en principe, aussi peu que celle du cédant, pourvu que le financement de leur capital social soit assuré. La mort, la disparition, l’infortune, ou simplement, le changement de volonté de l’actionnaire, les indiffèrent. Cette absence d’intuitu personae facilite alors doublement la libre circulation des droits de l’associé par rapport à ceux détenus dans les sociétés de personnes. Leur circulation est en effet accrue pour deux principales raisons : d’une part, grâce à un mode de transfert simplifié, rapide et peu coûteux, la négociabilité152 et, d’autre part, grâce à la liberté de l’actionnaire de céder ses titres. Maladroitement dénommée « libre négociabilité »153, cette dernière a rapidement été érigée en principe fondamental par le Conseil d’État au début du XIXème

150 Lesquelles sont définies à l’article L. 211-2 du Code monétaire et financier comme « les titres émis par des personnes morales, publiques ou privées, transmissibles par inscription en compte ou tradition, qui confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la personne morale émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine ».

151 V. infra n° 40.

152 Ce principe avait été consacré par le Code de commerce en 1807 aux anciens articles 35 et 36 lesquels mentionnaient le mode

de cession des titres au porteur et des titres nominatifs. Aujourd’hui, et depuis la réforme opérant la dématérialisation des titres, la négociabilité ne vise plus la circulation par tradition du titre en tant que document, mais le virement de compte à compte. V. en ce sens : LE CANNU (P.), DONDERO (B.), Droit des sociétés, Montchrestien, 6ème éd., 2015, p. 721, n° 1106.

153 LE CANNU (P.), DONDERO (B.), op. cit., p. 753, n° 1174. Les professeurs soulignent qu’il faut distinguer la négociabilité, qui est un attribut technique de l’action, et la libre négociabilité, qui représente pour l’actionnaire la liberté de disposer de son titre. V. également en ce sens : GUYON (Y.), Droit des affaires, Droit commercial général et Sociétés, t. 1, Économica, 12ème éd., 2003, p. 793,

n° 738. Certains auteurs préfèrent employer l’expression « libre cessibilité » afin d’éviter toute confusion (v. par exemple : BERTREL (J.-P.), « Fusions-acquisitions : une clause d’agrément est-elle applicable en cas de fusion ou scission ?», Dr. et patrimoine

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siècle154. Contribuant ainsi à l’institutionnalisation des sociétés anonymes, celui-ci défendit âprement ce principe face aux usages qui avaient pour habitude d’insérer des clauses introductives d’intuitu personae dans les statuts de sociétés censées en être dépourvues155. Toutefois, la Haute juridiction administrative n’en faisait pas une application absolutiste et se réservait la possibilité d’autoriser exceptionnellement de telles clauses156. Plus tard, en dépit de la suppression de l’autorisation gouvernementale par la première grande loi relative aux sociétés par actions, le principe subsista. Cependant, ce texte adopté le 24 juillet 1867 ne disait mot sur l’existence d’exceptions à celui-ci157, sauf une, notable. Mentionnée à son article 50, celui-ci autorisait l’insertion d’une clause d’agrément dans les statuts des sociétés à capital variable. Le silence de la loi à propos des sociétés à capital fixe n’empêcha pas la pratique de continuer à insérer de telles clauses158. Face à la ténacité de ces habitudes, la question se posa alors de savoir si la libre négociabilité des actions était compatible avec la mise en œuvre d’une clause d’agrément.

38. La controverse relative à la validité de la clause d’agrément. Par cette loi, qui allait

devenir le socle du droit des sociétés par actions pendant près d’un siècle, le législateur entérina

154 L’ancien article 37 du Code de commerce instituait un contrôle par le Conseil d’État de la constitution des sociétés anonymes. Plus précisément, ce contrôle visait à recueillir successivement l’avis de trois autorités administratives : celui de la préfecture, celui du gouvernement, et en dernier lieu, celui du Conseil d’État. Sa jurisprudence contribua dans une large mesure à l’élaboration du droit des sociétés anonymes, laquelle avait pour fondement tant les règles issues des usages que les principes consacrés par le Code de commerce de 1807. Le principe de libre négociabilité a ainsi été déduit des anciens articles 35 et 36 de ce code (v. pour la rédaction de ces articles : LEFEBVRE-TEILLARD (A.), op. cit., p.18).

155 LÉVY-BRUHL (H.), op. cit., p. 52 ; LEFEBVRE-TEILLARD (A.), op. cit., p. 175 et p. 201. Ces clauses étaient principalement

la clause d’agrément, la clause de retrait et la clause de préemption. Elles avaient surtout vocation à protéger les affaires de famille et leurs fondateurs. Cette pratique visait à obtenir le même effet de protection que celui obtenu par la structure de la commandite, modèle historique de la société par actions.

Comp. SALEILLES (R.), « Étude sur l’histoire des sociétés en commandite », Annales de droit commercial 1895, p. 10 et p. 49 ; et 1897, p. 29.

Ce visage de la société anonyme forgé par le Conseil d’État semble aller à rebours de l’idée actuelle selon laquelle il y aurait de nos jours une évolution de l’intuitu pecuniae vers l’intuitu personae : CACHIA (M.), « Le déclin de l’anonymat dans les sociétés

anonymes », in Etudes offertes à Pierre Kayser, P.U.A.M., 1979, t. 1, p. 213 ; PARLEANI (G.), « Les pactes d’actionnaires », Rev. sociétés

1991, p. 2 ; HELOT (S.), « La place de l’intuitus personae dans les sociétés de capitaux », D. 1991, chron. p. 143 ; PASCUAL (I.), « La prise en considération de la personne physique dans le droit des sociétés », RTD com. 1998, p. 273. Et déjà : ESCARRA (J.), « Les restrictions conventionnelles de la transmissibilité des actions », Annales de droit commercial 1911, p. 425 ; CAMERLYNCK (G.), De l’intuitus personae dans la SA, thèse Paris, 1929 ; BOURCART (G.), « De l’intuituspersonae dans les sociétés », J. sociétés 1927, p. 513 ; HOUPIN (C.), BOSVIEUX (H.), Traité général, théorique et pratique des sociétés civiles et commerciales et des associations (avec formules), t. 1, Sirey, 1935, p. 540, n° 456.

156 À partir de 1842, le Conseil d’État y devint clairement hostile et n’autorisait plus ces clauses qu’à l’égard des compagnies d’assurance (LEFEBVRE-TEILLARD (A.), La société anonyme au XIXème : du Code de commerce à la loi de 1867, histoire d’un instrument

juridique du développement capitaliste, P.U.F., 1985, p. 211). On retrouve l’existence de ces clauses dans les statuts de ces sociétés jusqu’en 1966 car il en a été fait mention lors des débats parlementaires relatifs à la réforme des sociétés commerciales (v. les propos du sénateur Dailly rapportés au JO Sénat CR, 27 avril 1966, p. 349 : « Pratiquement, il y a très peu de valeurs qui sont inscrites à une cote officielle et qui sont soumises aux clauses d’agrément. À Paris, ce sont essentiellement les compagnies d’assurances, parce qu’elles appartenaient, avant d’être nationalisées pour la plupart, à des groupes financiers différents qui ne

voulaient à aucun prix qu’on aille voir de l’un à l’autre comment se passaient leurs affaires »).

157 Un effet de la loi de 1867 est d’avoir enfermé toutes les sociétés anonymes dans le même cadre légal. Or, en dépit de son

apparence générale et contraignante, la jurisprudence du Conseil d’État était finalement assez casuelle et encline aux exceptions. Pour des exemples, v. LEFEBVRE-TEILLARD (A.), op. cit., p. 447.

158 LÉVY-BRUHL (H.), op. cit., p. 48 et p. 180 ; LEFEBVRE-TEILLARD (A.), op. cit., p. 211. Pour une constatation similaire depuis la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, v. JADAUD (B.), « Qui décide de l’agrément à la cession d’actions ? », JCP E 2001, p. 1946, spéc. n° 3 : « Pour toutes les sociétés anonymes de droit commun […], la clause d’agrément n’est qu’une faculté. Mais

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une part importante de la jurisprudence du Conseil d’État159. Cependant, sans l’autorisation gouvernementale, les sociétés anonymes perdirent leur spécificité et devinrent un type de sociétés parmi d’autres. D’institutions économiques, elles furent réduites à redevenir de simples contrats160. La doctrine civiliste s’interrogea sur ce nouvel objet d’étude, et plus particulièrement, sur la possibilité d’insérer des clauses dites restrictives de la transmissibilité des actions. Parmi elles, la clause d’agrément focalisa leur attention161. À la question précédemment posée de la compatibilité du principe de libre négociabilité avec la mise en œuvre d’une clause d’agrément, la réponse apportée était d’autant plus importante qu’elle intégrait un débat plus vaste : celui de la détermination du critérium de l’action162. En effet, la soumission du transfert de la propriété des actions à un agrément ne les fait-elle pas dégénérer en parts d’intérêts, entraînant, par là même, l’application du régime des sociétés de personnes (notamment l’application de l’article 1690 du Code civil en cas de cession des droits sociaux, ainsi que la responsabilité illimitée des associés)163 ?

Dès lors, le silence de la loi de 1867 s’interprétait-il comme une autorisation de ces clauses ? Ou au contraire, fallait-il déduire de leur mention spéciale, pour les sociétés à capital variable, une interdiction générale pour les sociétés à capital fixe164 ? Dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’État, les juges du fond furent plutôt favorables à cette dernière interprétation. Leur

159 Cette loi reprenait également le contenu de deux lois précédentes : une loi du 17 juillet 1856 relative aux commandites par actions et une autre du 23 mai 1863 relative aux sociétés à responsabilité limitée (à différencier néanmoins de la loi du 7 mars 1925 instituant la SARL).

160 Ceci eut pour effet de freiner considérablement leur évolution jusqu’à l’influence de certains juristes, tel Edmond Thaller à la fin du XIXème siècle. Adde LEFEBVRE-TEILLARD (A.), op. cit., p. 447 : cet « effet malheureux de la loi de 1867, qui livre la

société anonyme à une doctrine et dans une moindre mesure à une jurisprudence qui n’étaient en fin de compte pas prêtes à la

recevoir ». On citera à cet égard la jurisprudence dite des « clauses essentielles » qui exigeait un accord unanime pour modifier une clause essentielle des statuts (Cass. req., 30 mai 1892, D. 1893, 1, p. 107, note (E.) THALLER). La loi du 22 novembre 1913 y mit fin en faisant de la règle de la majorité le principe, tandis que l’unanimité devint l’exception.

161 Pour un résumé de ces débats, v. ESCARRA (J.), « Les restrictions conventionnelles de la transmissibilité des actions »,

Annales de droit commercial 1911, p. 432.

162 THALLER (E.), Traité élémentaire de droit commercial, Paris, Arthur Rousseau, 1898, p. 298, n° 487 : « Ainsi, quand même

l’associé pour transmettre jure civilisa part, constatée ou non dans un titre séparé, devrait obtenir l’autorisation du gérant seul, le régime des sociétés par actions deviendrait applicable. À plus forte raison, en serait-il de même, si les parts étaient cessibles sans aucune autorisation ».

Comp. LYON-CAEN (Ch.) et RENAULT (L.), Manuel de droit commercial, L.G.D.J., 8ème éd., 1906, p. 180, n° 178. Selon ces

auteurs, il n’est pas possible de dégager une règle absolue, tout dépend de l’importance de la restriction. Si la cession a un caractère

normal et ordinaire, alors la part d’associé restera une action. En revanche, si par exemple il a été stipulé que les associés ne

pourront céder leurs parts qu’à certains parents, alors elles ne sont plus vraiment cessibles, et doivent donc être qualifiées de parts

d’intérêt. Pour les autres critères, v. HOUPIN (C.), BOSVIEUX (H.), Traité général, théorique et pratique des sociétés civiles et commerciales et des associations (avec formules), t. 1, Sirey, 1935, p. 429, n° 355.

163 V. par exemple pour une décision ayant considéré que l’insertion de clauses ayant pour effet de rendre librement cessibles les

parts d’une SARL entraînait la nullité de la société, devenue alors une société par actions sans avoir observé les prescriptions de la loi du 24 juillet 1867 : CA Paris, 21 novembre 1951, S. 1952, 2, p. 105, concl. Gégout.

164 L’article 50 de la loi du 24 juillet 1867 disposait que : « Les actions ou coupons d’actions seront nominatifs, même après leur

entière libération. La négociation ne pourra avoir lieu que par voie de transfert sur les registres de la société, et les statuts pourront donner, soit au conseil d’administration, soit à l’assemblée générale, le droit de s’opposer au transfert». L’article 52, alinéa 2 précisait qu’«il pourra être stipulé que l’assemblée générale aura le droit de décider, à la majorité fixée pour la modification des

statuts, que l’un ou plusieurs des associés cesseront de faire partie de la société». Enfin, ce texte ajoutait qu’en cas de refus, l’actionnaire était remboursé de son apport.

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raisonnement se justifiait sur le fondement de la spécificité des sociétés par actions, ainsi que l’atteinte portée par ces clauses au droit de propriété des titres165. Telle ne fut pas, en revanche, l’interprétation retenue par la Cour de cassation.

b. Une consécration d’abord jurisprudentielle, puis légale.

39. Plan. La validité des clauses d’agrément visant les transferts d’actions fut d’abord admise par la Cour de cassation (α), puis par le législateur lors de la réforme des sociétés commerciales de 1966 (β).

α. Une première consécration par la Cour de cassation.

40. L’admission par la Cour de cassation de la validité de la clause d’agrément dans

les sociétés par actions. Ce problème ne fut tranché directement qu’en 1902 par un arrêt de la Chambre des requêtes166. Dans un attendu dont la motivation est particulièrement explicite, elle affirma que : « […] l’article 36 du Code de commerce indique les formes auxquelles est soumise, au moyen d’un transfert, la cessibilité des actions nominatives, mais qu’aucun article de loi n’empêche les statuts d’une société de subordonner la cession des actions à certaines autorisations, soit de l’assemblée générale, soit de son conseil d’administration ; - que , si cette restriction à la cessibilité des actions est

expressément autorisée pour les sociétés à capital variable par l’article 50 de la loi du 24 juillet 1867, elle n’est pas contraire à la nature, à l’essence des sociétés anonymes ordinaires; qu’il doit en être d’autant plus

ainsi quand cette société, comme dans le cas actuel, est non seulement un groupement de fonds, mais une

association de personnes dont la considération est de la plus haute importance pour l’existence et le

fonctionnement de la société (Req., 27 mars 1878) ; - Attendu que l’expérience a démontré, dans les

165 V. par exemple : Tribunal de commerce de la Seine, 9 avril 1894, Journ. sociétés 1895, p. 224 : « […] que ce caractère de

cessibilité paraît si bien être un caractère inhérent aux actions d’une société anonyme que la loi indique les formes légales de transmission des titres ; Attendu que si, dans une société en nom collectif ou en commandite, la considération des personnes

prime quelquefois la considération des capitaux, alors que les droits sociaux sont représentés par des parts d’intérêts et si, de ce fait, résultent nécessairement des restrictions à la transmission de ces parts d’intérêts, il en est autrement dans une société

anonyme, dans laquelle disparaît la considération de la personne des associés, lesquels transfèrent purement et simplement leurs droits sociaux à leurs cessionnaires, avec les titres qui les constatent […] ».

166 Cass. req., 29 mars 1902, D. 1904, 1, p. 49 ; S. 1905, 1, p. 89.

Comp. affirmant implicitement la validité de la clause d’agrément dans des litiges où cette question n’était pas posée

directement : Cass. req., 27 mars 1878, Société de la Belle Jardinière, D. 1878, 1, p. 1308. Dans cet arrêt rendu à propos d’une société en commandite par actions, la Cour de cassation estima que la cession des actions n’était pas affectée par la clause d’agrément, et que cette cession n’était pas soumise aux formalités de l’article 1690 du Code civil. Également : Cass. req., 19 février 1878, D. 1879, 1, p. 332 ; S. 1880, 1, p. 77 ; Cass., 4 janvier 1888, D. 1888, 1, p. 37 ; S. 1888, 1, p. 254 ; Cass., 20 février 1894, D. 1894, 1, p. 185.

Adde pour l’admission de la validité d’une clause de préemption : Cass. req., 13 mars 1882, D. 1883, 1, p. 1883 ; Cass., 14 mai 1895, Journ. Sociétés 1895, p. 312, « […] bien que les titres des sociétés anonymes soient, par essence, cessibles, il est permis à une société anonyme, quand les actions sont nominatives, d’en restreindre le commerce par une clause assurant un droit de

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sociétés de personnes, combien il importe qu’elles n’existent qu’entre personnes ayant des liens d’estime, de sympathie et appartenant au même monde […] ».

Contrairement aux juges du fond, la Cour de cassation estima qu’en l’absence d’interdiction expresse de la loi, le principe était celui de la liberté de stipuler des clauses restrictives de la cessibilité des actions167. Le fait que seule une disposition spéciale de la loi l’autorisait pour les sociétés à capital variable168n’excluait pas, pour autant, cette liberté à l’égard des sociétés à capital fixe.

Cette solution doit être approuvée pour deux raisons. D’abord parce que la variabilité du capital social n’est qu’une modalité applicable aux formes sociales existantes169, ce qui exclut l’application de l’adage «specilia generalibus derogant » comme le suggéraient les juges du fond. Sur ce point, la position de la Cour de cassation s’inscrit à rebours de la jurisprudence institutionnaliste de la Haute juridiction administrative. Ensuite, son raisonnement se justifie sur un fondement contractuel, celui du caractère intuitu personae du groupement170, soulignant de la sorte l’influence de ce dernier sur l’existence et le fonctionnement de cette « association de personnes »171.

Par ailleurs, cette motivation repose également sur une interprétation stricte du champ d’applicationde l’ancien article 36 du Code de commerce, celle-ci étant restreinte aux formes de transfert des actions nominatives alors que, par une interprétation souple, le Conseil d’État en déduisait le principe de la libre négociabilité des actions172.

Cet arrêt a, par conséquent, créé une nette rupture avec la SA institutionnelle façonnée par la jurisprudence administrative, laquelle se caractérisait par son hostilité à la considération de la personne des actionnaires. Depuis lors, seule la SA cotée semble être la véritable héritière de ce modèle institutionnel173, même si la loi du 24 juillet 1966 a largement conféré cette physionomie à la SA non-cotée.

167 Un tel raisonnement a été récemment repris à propos de la possibilité d’insérer des clauses d’agrément visant les opérations

de restructuration, fusion et scission. En effet, en l’absence de précision légale, la doctrine s’est demandée s’il fallait interpréter le silence de la loi dans le sens d’une interdiction ou d’une autorisation (v. infra n° 147 et s.).

168 Loi du 24 juillet 1867, art. 50.

169 V. également en ce sens : MORTIER (R.), Opérations sur capital social, 2ème éd., Litec, 2015, p. 72, n° 84. 170 À propos du caractère éminemment contractuel de cette notion, v. supra n° 20 et s.

171 Expression utilisée dans l’arrêt commenté.

172 V. les références citées par : LEFEBVRE-TEILLARD (A.), La société anonyme au XIXème : du Code de commerce à la loi de 1867,

histoire d’un instrument juridique du développement capitaliste, P.U.F., 1985. p. 18. V. supra n° 37 et s. ainsi que les références en note de bas de page.

173 Rappr. CONSTANTIN (A.), « L’application des clauses d’agrément en cas de fusion ou scission : le poids des mots, le choc des principes », Bull. Joly Sociétés 2003, p. 742, spéc. n° 9 : « Le principe de libre négociabilité est davantage aujourd’hui, de l’essence

du marché boursier. Or, les sociétés anonymes ne sont pas encore réservées par la loi aux entreprises cotées, et peuvent toujours se présenter comme des sociétés fermées ».

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β. Une seconde consécration par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 relative aux sociétés commerciales.

41.L’organisation de la procédure d’agrément par le texte de 1966. Lors de cette réforme,

l’objectif du législateur était de coordonner et de simplifier des dispositions éparses, ainsi que de trier les solutions d’une jurisprudence devenue abondante depuis 1867. Par cette loi, celui-ci reconnaissait explicitement, après la Cour de cassation, la validité d’une atténuation au principe de la libre négociabilité des actions174.

Quant au régime de l’agrément, celui-ci résultait d’un compromis entre un Gouvernement favorable à la protection de l’intuitu personae175 et un Parlement partisan d’un libéralisme accru, évidemment favorisé par le principe de la libre circulation des actions176. Certains points de ce régime suscitèrent de longues discussions lors des débats parlementaires, en particulier celui du

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