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4. Pour une autre définition de la compétence interculturelle

1.2. Une problématique du document authentique

Et pourtant, la cohérence, et partant l‘efficacité, d‘une pédagogie des documents authentiques dépendent, par hypothèse, de la manière dont on intègre ces quatre agrégats dans les pratiques de la classe.

1. Le transfert de l‘intégralité d‘un document dans la classe, quelles que

puissent être par ailleurs ses qualités ―naturelles‖ ou ―non pédagogiques‖, ne pose que des problèmes techniques, de reproduction (photocopies, enregistrements).

Il n‘en va évidemment pas de même en ce qui concerne transfert des conditions primitivement prévues pour sa réception ces conditions jouent un rôle capital dans le succès ou l‘échec sa transmission, particulièrement s‘il s‘agit d‘un document en relation aux medias. Le contexte plus ou moins proche détermine en partie les interprétations qu‘on peut en donner. Pour un article de journal exemple, sa place dans la page, le numéro de la page, les photos qui l‘accompagnent, sa confrontation avec les articles qui lui sont juxtaposés, la rubrique dans laquelle il apparaît, orientent et parfois imposent certaines lectures. La même pour les nouvelles d‘un journal radio ou télévisé de la moitié sont explicitement liées à des événements déjà connus des auditeurs par les émissions précédentes ; elles s‘intègrent dans des sortes de récits discontinus dont il faut saisir l‘enchaînement pour en mesurer la portée et, parfois même, pour en saisir la date de parution et l‘actualité événementielle dominante à la

date, le lieu d‘émission et les lieux de réception potentielle prévus ne sont pas indifférents.

C‘est souvent l‘intertextualité purement mémorielle qui donne sens aux articles. Intertextualité populaire faite de dictons, de phraséologies plus ou moins répandues titre ―Ouvrez l‘éventail !― au-dessus d‘une photo d‘une jeune femme en maillot de bains présentant en gros plan la plante de ces deux pieds, n‘est ―lisible‖ que si on le rapproche, plus ou moins consciemment l‘expression avoir les doigts de pied en éventail (prendre du recul, ―ne rien faire‖, ―se reposer‖).

2. Si nous nous sommes attardés quelque peu sur des exemples, c‘est pour

souligner l‘importance de ces conditions extra textuelles dans les interprétations acceptables d‘un document. Et comme leur présence dans la classe ne peut être assurée par le seul transfert de son intégralité matérielle, les étudiants ont tendance contraints par les règles inévitables de toute interprétation, à substituer à ces conditions qu‘ils ne connaissent pas ou mal et que l‘univers de la classe ne leur restitue pas, des conditions qui relèvent de l‘univers social, culturel, linguistique, événementiel qu‘ils connaissent. Par là, nous entendons la distance plus ou moins importante qui sépare la réception originellement prévue de celle qui s‘établi dans la classe.

La lecture de la presse algérienne d‘expression arabe, ne fait que refléter une certaine réalité déjà connu de la part de nos étudiants ; par contre celle d‘expression française, en réalité ne change rien, car ce qui changent c‘est le sens purement linguistique du mot, l‘interprétation se fait de la même façon comme au niveau de l‘arabe. Tout se passe comme si le document authentique loin d‘ouvrir la classe sur les réalités étrangères ne faisait que refléter celles que connaissent les étudiants dans leur culture maternelle.

Il faut sans doute y voir la conséquence d‘une caractéristique inhérente à toute communication linguistique mais trop minimisée par les théories de la communication: communiquer au moyen de mots, c'est aussi, et peut-être

d'abord, donner à son interlocuteur des repères codés qui lui permettent de retrouver dans son vécu ou ses connaissances ce dont on veut parler. Il n'y a pas transmission d'une information comme si celle-ci était une chose véhiculée par les mots (de l'esprit du locuteur à celui de l‗auditeur) mais codage de cette information et reconnaissance, sous ce code, de cette information si on la possède déjà, ou d'une autre plus ou moins analogue si on ne la possède pas. Ainsi, le dénivellement interprétatif que provoque l'extraction des documents (de leurs conditions extrinsèques originales de production, et de réception) et son introduction dans une classe d'étrangers, conduit souvent ceux-ci à retrouver des informations qui relèvent beaucoup plus de leur propre univers que de l'univers de la langue étrangère qu'ils apprennent.

Le maitre qui s'en tient aux sens attestés (dans le dictionnaire par exemple) des mots du document ne remarquera pas ces divagations interprétatives parce qu'elles restent souvent informulées par les étudiants. S'il n'utilise pas des procédures permettant leur explicitation (traduction non littérale en langue maternelle, paraphrases discursives, repérage explicite des actes de parole réalisés, etc...) elles resteront ignorées du maitre et des étudiants. Et le document aura produit dans la classe des "significations sociales" c'est-à-dire "la valeur sociale impliquée par l'usage d'un énoncé dans un contexte donné"1, insoupçonnées des interlocuteurs primitifs. Nombre d'entre elles risquent d'être erronées, par rapport à celles que ceux-ci avaient acceptées, sans que les étudiants s'en aperçoivent.

Méthodologiquement, ce n'est pas l'intégralité d'un document qui est intéressante (ou son plus ou moins grand "naturel") mais le dénivellement interprétatif que provoque ou ne provoque pas son transfert dans une classe de langue étrangère. Si le professeur ne parvient pas à restituer quelque chose des

1

J.P. BLOM et J.J. GUMPERZ : "Social Meaning in Linguistic Structure :Code-Switching in Norway", The Ethnography of Communication (J.J. Gumperz, D. Hymesed.), New-York, Holt, Rinehart and Winston, inc. 1972, p. 417. (Contexte a ici un sens très large, il inclut tout l'environnement non linguistique).

conditions de réception primitives, le document sera, ou bien réduit à sa dimension purement littérale (au sens attesté de chacun de ses mots) et perdra l'essentiel de ce qui fait son intérêt, ou bien le lieu d'interprétations plus ou moins erronées qui n'apprendront rien aux étudiants sur la culture étrangère, tout en les enfermant un peu plus dans leur propre culture.