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4. Pour une autre définition de la compétence interculturelle

2.4. Les stratégies discursives

Tout discours écrit ou oral se constitue dans la relation interlocutoire, avec, chez l'Emetteur, l'intention d'influencer, de convaincre son Récepteur. Un projet discursif sous-tendu d'une intention, s'organise autour d'un certain nombre

de stratégies mises en place par l'Emetteur et qui contribuent à préparer l'écoute, à faciliter la compréhension et la mémorisation, mais également à mettre tout en œuvre pour convaincre, de manière implicite ou explicite.

Tout discours se construit à une frontière déterminée par l‘émetteur dans son rapport à l'interaction, qui repose sur un pari de ce dernier à propos du préconstruit du Récepteur. L'image que l'Emetteur possède de son Récepteur détermine en partie un choix d'arguments, d'idées, d'exemples, de références, choix qui relève du pari. Ce fait que l'Emetteur soit sincère ou non, que son activité soit consciente ou non, n'entre pas dans le domaine exploré ici.

Toute stratégie mise en place dépend de la situation d'interlocution, du rapport entre Emetteur et Récepteur. Elle peut avoir différentes fonctions (prévenir l'objection, éviter l'interruption, etc.) et différents effets, variables. Il est en effet difficile de prévoir avec certitude les réactions d'un public à une stratégie.

Nous présentons ci-dessous cinq stratégies discursives.

a) Incidences des interventions dans l’échange langagier

Poser une question, apporter une réponse, faire une observation à autrui, ou, de manière plus complexe, discuter les propos de l'interlocuteur - critiquer, attaquer, s'opposer... - tous ces comportements font intervenir, à côté de l'intention de l'Emetteur (E) qui détermine un but discursif, et une stratégie (i.e. la façon qu'il juge la mieux adaptée aux conditions de l'interlocution pour atteindre ce but, de choisir et d'organiser des comportements langagiers), une incidence de l'intervention, comprise comme le lieu où porte l'intervention :

CL : 1) choix

2) organisation incidence sur le (Stratégie) discours d'autrui

Ce que nous voudrions tenter de mieux cerner ici, c'est précisément les diverses incidences d'une intervention sur le discours de l'interlocuteur.

Une telle approche prend place dans une étude pragmatique qui se donne comme principes les notions d'intention, de pari, de pertinence stratégique, et d'interprétation du discours de l'autre conçue comme une construction de la signification et non un décodage1.

Lieu de l'esquive et de la contre-attaque, confrontation des attitudes autant que du dit, la situation d'interlocution accueille des interactions où l'information qui doit passer n'adopte pas nécessairement la voie qu'on attend, le dit apparaissant bien souvent comme un terrain miné, l'attaque survenant du coté où l'interlocuteur s'y attend le moins. Seule une étude systématique de situations conflictuelles pourrait livrer une information détaillée à propos des incidences d'un discours sur un autre dans un échange. Ce que nous proposons ici n'a d'autre prétention qu'à poser un cadre général, certes rentable pédagogiquement, mais bien insuffisant encore.

Les distinctions entre les divers types de présupposés - de l'énoncé et de l'énonciation -, l'opposition entre l'implicite et le sous-entendu, l'insertion de l'intention dans le processus interprétatif sont précisés dans la construction de la signification.

b) L’incidence sur le posé

L'intervention traite le dit : "Pierre est parti." "-Mais non !"

1. L'incidence sur les présupposés de l'énoncé.

"- Monsieur Dupont, je vous demande de ne plus fumer dans ce bureau". "- Je n'ai jamais fumé dans ce bureau, Monsieur." La négation "ne plus" présuppose que Dupont a fumé dans ce bureau. La réponse porte non pas sur le posé (cette réponse aurait été par exemple "- Bien Monsieur") mais sur le présupposé de "ne plus".

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2. L'incidence sur les présupposés de l'énonciation.

Prendre la parole présuppose, du point de vue de cette énonciation, que le locuteur a le Pouvoir de prendre la parole. La CONNAISSANCE est également impliquée ici : apporter une information, c'est laisser entendre que l'on dispose d'une CONNAISSANCE relative au thème abordé. Cependant, le fait qu'un échange langagier peut se situer non pas uniquement dans un usage franc, où la relation intention 1 = comportement -I- 1 réalisé est codée, mais aussi dans un usage stratégique, où une intention 2 est par le locuteur mise en relation avec le comportement 1; (Donner des ordres non pour faire agit autrui, mais pour montrer qu'on détient le pouvoir), ce fait implique, au place des présupposés de l'énonciation, un champ stratégique potentiel. Ainsi à l'énoncé "- Va chez le coiffeur!" peut répondre : "-Qui/qu'est-ce qui te donne le droit de me parler sur ce ton ?", "tu te prends pour qui pour me donner des ordres ?" etc. réponses qui mettent en cause un des présupposés de l'énonciation. Autre exemple : "Si tu as mal à la tête, prends un comprimé de X et trois gouttes de Y". Réponse "- Tu es docteur ?" qui met indirectement en cause la compétence, donc ici la connaissance du locuteur.

3. Les sous-entendus

Le récepteur peut toujours greffer sur les propos de l'Emetteur un discours commentatif, déductif, qui le conduit à certaines conclusions. Celles-ci, à l'inverse des présupposés qui sont directement déductibles du posé, sont issues d'une conduite discursive : Le Récepteur peut parfaitement faire erreur, reconnaître dans le discours que lui adresse son interlocuteur des intentions qui n'y sont pas. Ce terrain du sous-entendu accueille facilement le discours réaction ("-Papa, je trouve que tu fais très jeune!". "- Tu as épuisé ton argent de poche ?" Le Récepteur pour construire ces sous-entendus se fonde sur des indices nombreux1 (l'attitude de l'Emetteur, ce qu'il sait de lui, ce qu'on dit de lui, etc.)

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comme souvent en ce qui concerne l'interlocution, nous sommes ici dans l'ordre du pari.

4. Le préconstruit.

Nous avons nommé préconstruit1 les conventions qui sont celles de/ou que l'on prête à l'interlocuteur, ses connaissances du sujet qu'il aborde, les préconçus qui sont les siens. Chacune de ces notions offre un domaine l'exercice de l'incidence discursive. A la phrase "-Je ne comprends pas que ta femme préfère aller travailler plutôt que de s'occuper de la maison", la réponse "- Ah, parce que pour toi c'est le rôle d'une femme de etc..." porte sur un préconçu de l'Emetteur.

5. L'intention de l'Emetteur.

Prendre la parole répond à une intention de l'Emetteur. (Intention qui peut être aussi bien faire remarquer sa présence que parler pour parler, etc.) Les réponses du type : "- C'est pour me faire de la peine que tu dis ça ?", "- Tu as l'intention de me vexer/flatter/faire taire... en disant ce que tu viens de dire ?" témoignent d'une incidence de réponse sur l'intention, les motivations du propos.

6. Les conséquences de la prise de parole.

Le Récepteur développe un discours logique (discours qu'il ne verbalise pas nécessairement) sur les propos qu'on lui adressa, orienté vers les conséquences possibles, et répond à l'Emetteur non pas sur le posé, mais sur ces conséquences ("- Demain, je vais au restaurant avec des amis qui fêtent leur anniversaire !" "- Et ta ligne ?").

7. Le lieu et le moment.

De tels propos "- Je vais te raconter ce qui m'est arrivé ce matin...", "- Tu ne vois pas que je suis en train de rédiger un devoir pour demain non ? ce n'est vrai-*ment pas le moment 1" ou "- Ah je suis content de vous rencontrer !" Je voulais vous parler de vos problèmes d'argent !" "- Peut-être ailleurs que dans

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On notera qu'avant de construire ces sous-entendus, le locuteur peut mettre en œuvre des comportements d'élucidation de l'intention de l'Emetteur en lui demandant de préciser ce qu'il veut dire, ou de confirmer/d'infirmer ce que lui, récepteur a compris.

l'autobus si vous voulez bien ?" illustrent que l'incidence discursive peut également porter sur la pertinence du moment et du lieu du discours.

8. L'attitude de l'Emetteur.

Si à l'énoncé : "- Maman, repasse moi mon jean I" la réponse est "- Quand tu me le demanderas poliment", elle porte sur l'attitude de l'Emetteur. On peut d'ailleurs à cette occasion remarquer combien les lieux d'incidences sont dépendants : faire porter l'incidence de parole sur l'attitude, c'est mettre en œuvre les conventions auxquelles on adhère, ou que l'on suppose être celles d'autrui. C'est aussi faire intervenir la pertinence ("- Je vais me présenter au chef du personnel pour cet emploi de comptable", "- alors, passes chez le coiffeur, mets ton costume gris et une cravate").

Les quelques remarques développées ici, comme l'ensemble des approches que nous avons proposées dans nos travaux se veulent des pistes de recherche à développer, à compléter, à affiner sur la base de corpus. Il n'en reste pas moins qu'une didactique de la parole peut se constituer sur ces bases et devrait inciter les enseignants concernés (professeurs de français langue étrangère s'adressant à un public très avancé, à concevoir leur activité comme devant conduire à une autonomie linguistique (au sens large) des apprenants.