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4. Pour une autre définition de la compétence interculturelle

1.3. Pédagogie des documents « authentique »

On peut distinguer trois tactiques pédagogiques visant à combler le dénivellement interprétatif que provoque l'introduction de documents dans une classe pour laquelle ils n'ont pas été prévus.

1. La première tactique (la plus ancienne et sans doute la plus répandue)

consiste à donner d'emblée le document aux étudiants (ou après une brève "mise en train"), puis à compenser le dénivellement interprétatif par les explications du professeur. Le document authentique constitue alors le point de départ et le support du cours de langue1.

F. DEBYSER remarque que les manuels qui suivent cette tactique "ont plus souvent été composés avec les étudiants dans le cadre de classes expérimentales que préparés à l‗avance à leur intention, le choix des thèmes et le recueil des documents étant en grande partie assurés par le groupe classe".

Mais cette procédure est difficilement généralisable : le professeur qui a simultanément la charge de plusieurs classes, qui a quelque difficulté à recueillir et à reproduire les documents adéquats se résigne presque toujours à utiliser les dossiers élaborés par des équipes "expérimentales". Il en résulte des classes qui ne différent que peu de celles qui s'organisaient à partir de recueils de "morceaux choisis". .

Deux procédures pédagogiques sont utilisées : l'une consiste à adapter à des textes non littéraires et à la classe de langue les techniques de la

1

Le Français dans le Monde, n° 133, op. cit. ; ou au compte rendu de Cl. GERMAIN : "L'enseignement individualisé, l'enseignement par objectifs de comportement et la formation des professeurs de langue Actes du 3eme, Colloque International S.G,A,V,, Paris, Didier.

traditionnelle "explication de texte"; l'autre à utiliser le document de départ comme support, et parfois prétexte à diverses manipulations linguistiques ou digressions informatives.

La première substitue à l'analyse le style des exercices grammaticaux mieux adaptes à la classe étrangère ( ce qui n‘existe pas dans notre cas, sauf pour quelques cas, comme par exemple les étudiants étrangers ). Elle remplace quelque fois les questions de compréhension globale par des tests de compréhension à choix binaires ou multiples. Elle est parfois suivie d'une phase de réemploi (résumé écrit, débat oral, etc.). Mais, comme dans l'explication de texte, le rôle du professeur reste dominant (même lorsque le travail se fait par petits groupe) il impose presque toujours sa propre "lecture" du texte et l'apprentissage de la langue étrangère se fait beaucoup moins à partir du texte de départ qu'à partir de closes, commentaires, explications qu'il donne aux étudiants. Il en résulte que cet apprentissage se modèle sur un langage essentiellement pédagogique et non sur celui du document qui a servi de prétexte au cours (annexe n°2).

La seconde plus "moderne " restitue quelque initiative aux étudiants. Il s'agit d'exercices divers (produire une version écrite d'un document oral ou l‘inverse, comparer plusieurs articles de journaux sur le même événement, confectionner un article à partir de dépêches d'agence, reconstituer un titre à partir d'un puzzle langagier, etc.) qui, quel que soit par ailleurs leur intérêt, ont tous la caractéristique d'exiger des étudiants une tache pédagogique dont le degré d'authenticité est très relatif par rapport aux réceptions du document primitivement prévues.

Appliquée systématiquement (quel que soit le document choisi), cette première tactique conduit trop souvent à un apprentissage qui se modèle sur un langage professoral tout aussi artificiel que celui des textes "fabriques" ou qui se construit à partir de t5ches qui n'ont que peu à voir avec des "lectures" ou des

"productions" authentiques. Le pédagogique qu'on prétendait refouler en dehors de la classe s'y retrouve alourdi de pesanteurs nouvelles.

2. La seconde tactique consiste à compenser le dénivellement interprétatif

en choisissant des documents dont les données référentielles et les pratiques discursives sont déjà connues des étudiants (dans leur langue maternelle ou une première langue étrangère). On pense ainsi réduire les difficultés d'apprentissage à des difficultés purement linguistiques, en "court-circuitant" l'implicite culturel et référentiel du document.

Cette tactique ancienne (la méthode directe y avait déjà recours) connait depuis quelques années un grande développement. Appliquée d'abord à un enseignement destiné à des publics adultes ayant des besoins langagiers précis, le plus souvent d'ordre professionnel, elle a été étendue à tous les publics. Elle s'inscrit souvent dans le cadre des approches dites fonctionnelles ou

communicatives1. Elle apparait comme une solution élégante à la problématique

de l'introduction d'un document authentique en classe de langue.

Elle se heurte cependant à des difficultés pratiques et théoriques. D'abord, l'apprentissage d'une langue étrangère ne saurait se confiner à l'étude des documents qui renvoient à la culture maternelle ou à la compétence professionnelle des étudiants. Ensuite, elle pose que les données référentielles (réalités ou concepts scientifique échappent aux structurations des langues de départ et de la langue d'arrivée ; en d'autres termes, elle postule que ces données Ont une certaine universalité, ce qui est probablement très contestable, sauf pour les sciences dites exactes. De plus, le travail demandé aux étudiants consiste essentiellement à apprendre à se "repérer" dans le document étranger, c'est-à-dire à reconnaitre sous quels travestissements étrangers se cache ce qu'on connait déjà : la langue étrangère est alors perçue comme une sorte de surcodage

1

D. LEHMA S. MOIRAND, F. MARIET, R. CATALAN = Lire en Français les Science économiques et sociales, Paris, Didier, 1979 (manuel exemplaire cette tactique) ou à Le Français dans le Monde n° 149. Pour des publics diversifiés, voir S. MOIRAND : Situation d'écrit, Paris, C{L.E. International 1979. Il existe par ailleurs une abondante littérature" en anglais sur cette option.

de la langue de départ c' 'est-à-dire qu'elle est réduite à un ensemble de signifiants qu'on apprend à substituer à ceux de sa propre langue. D'ou le renouveau du Vieux procédé de la "transparence" qui consiste à s'appuyer sur les signes qui ont des signifiants graphiques voisins dans les deux langues Il s'ensuit, à notre avis, que loin d'enseigner une réelle compétence communicative en langue étrangère, on enseigne une compétence linguistique étrangère (mutilée de sa partie sémantique) sur une compétence communicative qui reste

maternelle1. Cette tactique peut cependant être motivante pour les étudiants, en

les incitant à affronter, assez vite dans leur apprentissage, des documents d‗apparence linguistique difficile, (dépassant le niveau de leurs acquisitions). lls y puiseront une plus grande confiance dans leurs capacités, ce qui ne peut que les encourager. Pratiquée exclusivement, elle risque de les enfermer dans leur langue et culture maternelles et de ‗bloquer" ainsi tout apprentissage ultérieur véritable de la langue étrangère.

3. La troisième tactique n'est pas plus nouvelle que les deux premières.

Elle cherche à restituer en classe quelque chose des conditions primitives de réception avant de donner le document aux étudiants. Il s'agit, dans une phase préparatoire, de combler autant que possible le dénivellement interprétatif, afin que les étudiants abordent le document un peu comme l'aborderaient les récepteurs originels, sans que le professeur ait à donner de nombreuses explications et sans qu'il ait besoin d'en transformer la réception pédagogique en cours de langue. Didactiquement, le document sert à "tester" ce qui a été acquis antérieurement, en confrontant l'étudiant à un message qui n'a pas été conçu pour lui. Les procédures pédagogiques préparatoires peuvent être très diverses. A titre d'illustration, nous en décrirons brièvement deux, celle dite des "textes filtres" ou "sous textes", et celle préconisée dans Interlignes de H. Besse, F. Lapeyre.

La première, bien connue, consiste à déterminer a priori les difficultés (surtout lexicales) du document à traiter, puis à introduire ces difficultés dans des contextes larges qui en favoriseront la compréhension et l'acquisition par les étudiants. Ceux-ci, après avoir travaillé sur un ou plusieurs sous-textes ainsi fabriqués, seront mieux à même d'aborder le document. La faiblesse vient de ce que souvent on cherche à expliquer ce qui serait compris sans explication et on n'explique pas ce qui ne l'est pas. De plus, les sous-textes, conçus en fonction, du document terminal, traitent presque toujours du même sujet ce qui risque de lasser les étudiants. Enfin, la préparation Vaut ce que valent ces sous-textes, lesquels presque toujours prédéterminent une « lecture » particulière du document. Il y a souvent là un aspect "explication de texte a priori" qui nous parait avoir les mêmes inconvénients que l'explication a posteriori.

La procédure utilisée dans Interlignes, consiste à préparer beaucoup plus globalement les étudiants aux documents terminaux. Cette préparation s‘articule sur un ou deux "moment(s)" de la classe, traitant du même thème que ces documents, mais sur des sujets différents. On peut ainsi éviter partiellement de prédéterminer la lecture des étudiants mais il reste toujours des difficultés qu'il faut bien trait a posteriori, ce qui fait que la réception par les étudiants n'est que rarement identique celle des récepteurs primitifs.